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Aug 30 25 tweets 7 min read
Thread : la main dans le cambouis

Pourquoi les traders pensent plus que les autres que les politiques monétaires des banques centrales ont amplifié la hausse des matières premières via la spéculation ?

Pourquoi les économistes ont du mal à faire ce lien ?

Fil à dérouler...
Un trader est confronté à la réalité du terrain.

Quand j'étais trader dérivés sur actions, pendant la crise de 2008, l'appétit au risque des banques s'est soudainement affaibli. Le capital nécessaire à la prise de risque venait à manquer.
Certains de nos clients devaient couvrir leurs positions. Ils étaient dans une position défensive. C'est le cas des fonds de retraites qui doivent respecter des lignes directrices très strictes concernant leur politique d'investissement.
Mais d'autres clients plus requins étaient plutôt dans une position offensive. Ils cherchaient constamment les opportunités de faire de l'argent dans un marché volatile. C'est le cas des fonds spéculatifs (hedge funds).
Or si la banque manque de capital, la capacité d'un trader de satisfaire un fond spéculatif est limitée. La taille des trades devient plus petite et les spreads s'élargissent.
L'appétit au risque de la banque est affaibli : le spéculateur est limité dans son action prédatrice.
Ce que je viens d'évoquer dans l'activité de facilitation de la banque dans le trading, je peux le transcrire aussi à l'activité de prime brokerage : plus une banque a du capital ou plus son bilan est allégé, et plus elle peut faciliter l'activité spéculative d'un Hedge Fund.
Concrètement, les banques ouvrent plus facilement des "lignes de crédit", ce qui permet au Hedge Fund de faire du leverage. La banque donne accès aussi à une panoplie de services qui facilitent l'activité spéculative du Hedge Fund.
investopedia.com/articles/profe…
En schématisant, la banque transfert une partie de son bilan au hedge fund contre une rémunération (en frais, commissions, et intérêts).
Pour parler concrètement, avant 2008, dans mon activité de flow trading sur dérivés actions et indices, c'était la "fête du slip".

Les traders étaient poussés à prendre des positions énormes et risquées face aux clients, et parfois même en compte propre !
Dans mon activité, c'était la mode des variances swap, des outils ultra spéculatifs, purement financiers et complètement déconnectés du réel.

Les banques poussaient les traders et les clients à dealer sur ces produits car les marges étaient bien supérieures à celles des options.
Les banques et les fonds spéculatifs sous-estimaient les risques. La tempête de 2008 a révélé aux apprentis sorciers que leurs modèles étaient imparfaits et que les pertes et les remous pouvaient être hors de contrôle !
Un trader de la caisse d'épargne l'a appris à ses dépens 😏
La crise de 2008, qui fut une crise de liquidités et de capital, est venue remettre les pendules à l'heure.

Les modèles de risque ont été repensés et le capital venait à manquer. Les banques devenues averses au risque ne pouvaient plus satisfaire les fonds spéculatifs.
Concrètement, les tailles des deals proposés étaient plus petites, les bid/offer plus larges, et le panel de produits plus restreint.

C'est ainsi que sur mon activité, les transactions sur variance swap se faisaient beaucoup plus rares et pour des petites tailles.
Ce qui est vrai pour mon activité, peut être retranscrit pour l'activité de prime broker, et plus généralement pour toutes les facilitations offertes par les banques aux investisseurs et aux spéculateurs.
Personnellement, j'ai longtemps cru que les banques avaient appris de leurs erreurs passées. La cicatrice de 2008 était encore vive.

Mais une politique monétaire non conventionnelle va venir changer la donne : le fameux argent magique des banques centrales...
Dès 2010, la #Fed lance un programme de rachat d'actifs connu sous le nom de quantitative easing.

Sous ce nom barbare censé rebuter le grand public, se cache une forme d'impression monétaire d'un nouveau genre : la Fed imprime de la monnaie pour alléger le bilan des banques...
En résumé, la Fed crée de nouveaux dollars centraux tout frais qu'elle échange contre les titres de dettes du gouvernement et des multinationales détenus par les banques commerciales.

Très vite, la Bank of England et la BCE la suivront sous des formes plus ou moins différentes.
Ainsi, les banques voient leur bilan s'alléger et leur appétit au risque revenir.

En même temps, les cicatrices du passé se referment, l'oubli prend place, et les pratiques du passé repartent de plus belle : c'est le retour de la prise de risque et des fonds spéculatifs !
Le Quantitative Easing était censé revigoré le crédit, il servira surtout à relancer les activités risquées à fort effet de leviers.

Oubliées les erreurs du passé, les banques faisaient à nouveau la cour aux fonds spéculatifs.
Les volumes sur les produits financiers ont explosé à la hausse sur la dernière décade, avec une accélération marquée en 2020 suite aux milliers de milliards injectés par les banques centrales dans les marchés financiers !
Les volumes traités sur les marchés financiers sont liés à l'appétit au risque retrouvé par les agents financiers, lui même permis grâce à l'allègement du bilan des banques commerciales, lui même permis à son tour grâce aux milliers de milliards créés par les banques centrales !
Même les volumes sur les contrats futurs et les options sur les matières premières ont augmenté fortement depuis 2020.

Que ce soit de vrais agents économiques cherchant à se couvrir, ou des spéculateurs profitant de la situation, les volumes de trading ont fortement augmenté.
C'est cette capacité de couverture ou de spéculation permise par un bilan allégé des banques commerciales que les "économistes de salon" ne perçoivent pas. Bilan des banques lui-même allégé par les politiques monétaires des banques centrales.
L'argent gratuit des banques centrales coule à flots et tous les financiers cherchent du rendement.

C'est cette frontière poreuse entre les marchés financiarisés des matières premières et l'économie réelle que les économistes ne perçoivent pas !
La monnaie en excès cherche toujours une brèche où s'immiscer : il est fort probable que le marché des matières premières fut la brèche à laquelle les banquiers centraux ne s'attendaient pas.

Avoir eu la main dans le cambouis aide un peu à saisir ce que la théorie ne capte pas !

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Aug 31
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Pour améliorer notre monde, commençons par faire le lien entre création monétaire démesurée, crise géopolitique, spéculation, et #inflation !
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Aug 28
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Aug 27
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1/4
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2/4
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