[Thread] 4e fil de notre thread sur l’incroyable comédie des Etats généraux :
Comment préparer la plus grande réunion politique du siècle avec mille députés déterminés, dont la moitié y voit la chance de sa vie d’entrer dans l’histoire (ou de gratter un emploi).
Pour rappel, voici le chapitre 3, relatant le joyeux bazar du pays avant les états généraux :
Le roi, dans sa sincère bienveillance (niaiserie ?), est ouvert à des propositions assez révolutionnaires, jusqu’à l’éventualité d’un texte proche d’une constitution. Les 3 ordres viennent pleins de projets svt opposés, face à un souverain ouvert certes, mais surtout indécis...
Une élection de députés déjà open : pour voter, il faut être français, d’au moins 25 ans, et payer des impôts. Des femmes peuvent voter (il faut par exemple posséder un fief, ou faire partie d’une couvent, d’un corps de métier...). C’est le dernier vote de celles-ci avant 1945.
Ces députés rédigent d’abord des cahiers de doléances, où ils expriment librement leurs idées pour réformer le royaume.
Les 60 000 cahiers sont ensuite synthétisés en vue de leur utilisation aux états généraux, pour éviter l’effet bureaucratique suivant :
Le Duc d’Orléans s’invite dans la rédaction des cahiers, en publiant des « Instructions », 8 pages pour dire aux rédacteurs ce qu’ils doivent demander (libertés diverses...), et notamment la possibilité pour les états généraux de perdurer, et de virer des ministres #oklm
L’abbé Sieyès en remet une couche, avec un document réclamant l’abolition des privilèges, la limitation du pouvoir royal, ainsi que le transfert du pouvoir législatif à des élus du peuple.
Ce genre d’écrits réclament ni plus ni moins qu’un changement de régime politique.
Toujours aussi cool, le roi s’agace simplement qu’on donne des directives aux rédacteurs des cahiers.
La révolution semble être davantage préparée qu’improvisée. On rapporte l’existence en Bretagne de régiments de sept cents hommes en uniforme et marchant sous une bannière sur laquelle est inscrit « Liberté », et le « T » de Tiers.
Des controverses éclatent, entre tiers et noblesse, déjà échaudés par l’affaire Réveillon (voir fil précédent), concernant le règlement électoral des députés de Paris.
Ces derniers ne sont toujours pas élus lors de l’ouverture des états généraux !
Certains cahiers de doléances font du bruit : celui des merciers-drapiers de Versailles réclame la formation d’une armée de soldats-citoyens, l’aliénabilité du domaine royal, et... une taxe pénalisant les célibataires de 30 à 50 ans
Pour vous faire une idée, on attend environ 1200 députés à Versailles : 600 pour le Tiers, 300 pour le clergé, 300 pour la noblesse (la haute noblesse et le haut clergé bretons refusant de députer, on en compte 1154 à l’ouverture, en plus des non-élus de Paris !..)
Les députés doivent se loger à leurs frais (façon de les encourager à bosser rapido). Le prix des locations (et de la nourriture...) flambe : entre 40 et 200 livres par mois (multipliez par 10 pour l’avoir en euros), et les propriétaires réclament d’emblée trois mois de loyer.
À cause de ces prix, beaucoup doivent se débrouiller autrement : couvents pour le clergé, colocations, hôtels...
Le roi s’en charge personnellement, en laissant des dépendances du château au tiers, et les ailes du château à quelques nobles et hauts clercs.
Le 26 avril, de nbrx députés voient un opéra-comique (Sargines) censé renforcer leur attachement à la couronne, mettant en scène Ph. Auguste à bataille de Bouvines. La représentation, son but et son effet sur eux sont une vraie mise en abîme de la royauté portée par Louis XVI :
Quelques députés du tiers sont surpris par la discrétion du pouvoir ; ce dernier craint d’être accusé de despotisme, et leur laisse ainsi une entière liberté aux états généraux, y compris sur la vérification des pouvoirs, dont les contours ne sont toujours pas définis.
À comprendre absolument pour la suite : la vérification des pouvoirs consiste à vérifier (ah !) que chaque député a bien été élu selon les règles, et que l’élection s’est déroulée légalement. Indispensable avant d’entamer les débats.
Deux ministres demandent au Conseil du roi d’établir des règles claires pour savoir comment vérifier ces pouvoirs ; mais le roi s’en tient à ce qu’il avait prévu : laisser les états généraux libres d’en décider.
L’effet-papillon qui en découle, vous le verrez, est inimaginable.
Des clubs de députés se réunissent avant les EG par affinités politiques, sans distinction d’ordre chez les libéraux.
Deux exemples doivent retenir notre attention : la Société des Trente, où l’on trouve La Fayette (noblesse) ou Le Chapelier (tiers), et... 1/2
2/2 ... un club de 47 députés du tiers de Bretagne (dont 1/3 franc-maçon), future Société des Amis de la constitution, et donc, futur club des Jacobins... Celui-là compte 200 membres juste avant l’ouverture des EG, et un millier d’adhésion fin 1789.
Ces députés bretons sont des professionnels de la politique, qui viennent recruter et apprendre leurs techniques de débat aux autres : « pas des novices en politique, ils sont exercés dans une longue lutte contre l’aristocratie » (d’après Dumont, collaborateur de Mirabeau).
Les délibérations auront lieu à l’hôtel des Menus-Plaisirs (actuel 22 avenue de Paris), ce qui nécessite des travaux pour en doubler la surface, travaux qui s’achevèrent en un temps (et un coût : 213 871 livres) record.
Le tiers passa le début des états généraux à s’indigner de la différence apportée par le protocole entre eux et les deux autres ordres. Première vexation à venir : la disposition des ordres dans l’hôtel des Menus-plaisirs... 1/2
Sur de longues banquettes et quelques chaises, la noblesse est prévue à la gauche du roi, le clergé à sa droite. Le tiers est installé en face, séparé du monarque et des deux autres ordres par une balustrade. Dans l’esprit de tous ces gens, c’est un symbole majeur de la société.
En revanche, chaque ordre a sa propre salle pour les débats.
Le roi ne perd pas ses habitudes : visitant le chantier, il manque mourir piégé par une planche en hauteur qui casse sous son pas. Il s’agrippe à ce qu’il peut, et un ouvrier le tire d’affaire.
Fin de ce quatrième fil et chapitre ! Nous plongerons la prochaine fois dans la cérémonie d’ouverture des états généraux, où les députés marchent en procession, se jalousent, s’observent en chiens de faïence, prêts à en découdre.
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