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Prof - threads d’Histoire et de Géopolitique plus longs que les livres qu’ils résument - fuit la politique sur Twitter.

Aug 20, 2021, 34 tweets

DOSSIER #2 : Quand KLAUS BARBIE bossait pour la CIA après la Seconde guerre mondiale, un thread ⤵️

Ce thread est le 2e fil de l’ensemble de threads sur les dossiers noirs de la CIA. Le premier était ici ⤵️

En 1945, dans une Allemagne vaincue, les Américains et les Soviétiques se disputent discrètement les savants nazis… et les autres spécialistes, en n’importe quel domaine.

Le projet « Paperclip », programme de recrutement d’anciens nazis, est censé écarter les « grands criminels de guerre ». Le flou de cette notion permet en fait de prendre n’importe qui…

Ces nazis sont des recrues faciles, puisqu’ils essaient de sauver leur peau — ou d’éviter la prison — en proposant leurs services, et sont de farouches anticommunistes, ce qui tombe très bien pour les États-Unis de l’époque.

Ce sont aussi des recrues qui apportent une vraie plus-value : les Allemands ont inventé l’avion à réaction à la fin de la guerre, et sont pionniers en matière de recherche sur les missiles. Pour préparer la Guerre froide, leur expertise est pour le moins attractive…

Dans ce contexte, les Américains décident d’enrôler le général Reinhard Gehlen, ancien dirigeant des services secrets allemands, et le placent à la tête d’un réseau chargé d’espionner les Russes en RDA.

Le réseau du général Gehlen est pris en charge par la CIA à partir de 1949, et fait naître le tout frais BND, services secrets de l’Allemagne de l’Ouest.

Problème : les Américains ignorent qu’ils viennent de recruter un réseau… déjà pénétré par les Soviétiques. De grandes déconvenues et pertes en furent les conséquences, mais c’est une autre histoire.

À côté de Gehlen, Klaus Barbie est perçu par les Américains comme un nazi « moyen », de second ordre, ayant simplement profité du système.

Klaus Barbie entre aux jeunesses hitlériennes en 1933 à l’âge de 20 ans, avant d’être recruté par les SS deux ans plus tard, dans un service affecté à la Gestapo.

Sous-lieutenant en 1940, affecté au renseignement, il débarque à Amsterdam, chargé de surveiller les intellectuels et les juifs, et se rend déjà coupable de brutalité envers ces derniers.

1942 : Klaus Barbie commence le chapitre le plus noir de son existence, en étant nommé à Lyon. Il se rend relativement célèbre en torturant et en exécutant le coordinateur de la Résistance Jean Moulin.

Il est également l’auteur de la première rafle de l’Union générale des juifs de France, en février 1943, mais aussi du massacre de 41 enfants juifs réfugiés à Izieu (Ain), en 1944.

Le « bourreau de Lyon » quitte le navire en août 1944, apprenant le débarquement allié de Provence (15 août), et se fait passer pour un simple soldat. Prisonnier des Américains, il s’évade et entre en clandestinité.

Jusqu’en 1947, il passe entre les gouttes via un réseau d’entraide clandestin d’ex-SS, repéré et démantelé cette année-là. Il en réchappe de justesse et essaie de reprendre contact avec d’ex-nazis en cavale.

En avril 1947, il tombe par hasard sur un ancien collègue des services secrets allemands, Joseph Merck.

Celui-ci s’en est très bien sorti : il anime un réseau d’informateurs pour le CIC (Counter Intelligence Corps), officiellement rattaché à l’armée américaine, mais en réalité dépendant de l’OPC.

L’OPC (Office of Policy Coordination) est un organisme d’opérations secrètes intégré à la CIA en 1948 (et davantage indépendant en 1950). C’est en quelque sorte son bras armé, et ultra-confidentiel.

Grâce à Merck, Klaus Barbie intègre le CIC, qui lui rédige un rapport favorable. L’officier traitant du CIC évoque Barbie en ces termes : « homme honnête, à la fois intellectuellement et personnellement, maître de lui et ne connaissant pas la peur…

…Il est fortement anticommuniste, c’est un nazi idéaliste dont les idées ont été trahies par les nazis au pouvoir »(!).
Son « expertise » en matière de maintien de l’ordre public, de répression, et de connaissance des communistes, intéresse les Américains.

Barbie devient un intouchable membre de l’OPC.
Un peu plus tard, des officiers du contre-espionnage militaire se rendent compte qu’un criminel de guerre est dans les rangs de l’OPC, ce qui contredit les consignes du type de recrutement de nazis autorisé.

Mais l’officier traitant de Barbie le protège, arguant que ce dernier est indispensable à leur activité. Le CIC réclame son renvoi en 1949, mais la demande est rejetée.

Cependant, en 1950, la justice française réclame Barbie aux Américains avec insistance, et commence à perdre patience.

La SDECE, ancêtre de la DGSE, pourrait capturer Barbie et faire tomber des têtes à l’OPC, vu que les Américains veulent maintenir leur amitié avec les Français.

Cette éventualité, et la peur de fâcher l’opinion publique française (et de gâcher l’amitié nouée avec la France, importante dans la stratégie d’endiguement du communisme en Europe), finit par faire lâcher l’affaire aux protecteurs de Barbie.

Enfin, lâcher l’affaire, presque : les Américains l’exfiltrent vers l’Amérique du Sud, où il pourrait rejoindre les réseaux d’ex-nazis installés là depuis 1945. Klaus Barbie s’installe donc en Bolivie en 1951, et se trouve effectivement un réseau.

La suite est plus connue : repéré en 1972 au Pérou par les époux Klarsfeld, chasseurs d’ex-nazis non condamnés, il parvient à s’échapper.

Ses activités en Amérique du Sud sont assez floues, bien qu’il soit presque certain désormais qu’il ait été intermédiaire de trafics d’armes.

En 1980, il intègre les services secrets boliviens et dirige une petite armée internationale de néofascistes de 2.000 hommes, les « fiancés de la mort », qui travaille à la fois pour le gouvernement, et pour les cartels de drogue….

La junte militaire au pouvoir à La Paz tombe en 1982, et entraîne dans sa chute le réseau de Barbie et sa petite armée.

1983 : Klaus Barbie est enfin arrêté, pour fraude financière, seul motif trouvé par les enquêteurs pour lui mettre la main dessus. Le gouvernement français obtient son extradition, pour que puisse s’ouvrir son procès, en 1987.

Voilà comment, pendant plusieurs années, Klaus Barbie a travaillé au sein du CIC, département de la CIA, et a été protégé par des officiers traitants d’un cynisme étonnant, pour ensuite être exfiltré loin de la justice.

Voilà comment, à cause d’eux, Klaus Barbie a pu donner ses bons conseils en matière de répression à des régimes autoritaires, faire du trafic d’armes et protéger des cartels de drogue, après avoir été un bourreau de la Seconde guerre mondiale. Une impunité de plus de 40 ans.

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