Ma première pensée est que ça va changer de Max Pecas... et ma seconde est que, de toute façon, tout le monde est mort à la fin de l'histoire inspirée par le film de Max Pecas. 😁
#1J1T (1) 23 juin 2023. Le sismographe indique un séisme de puissance 9 sur l’échelle de Richter, en plein dans la faille de San Andreas. La Californie est sans doute rayée du monde. À quoi bon s’inquiéter? Ça fait plus d’un an que tout le monde est mort là-bas. Et ailleurs.
#1J1T (2) Je pointe un doigt désespéré vers ce hublot d’où j’ai vu et dominé Eyjafjöll, jeune volcan de 700 000 ans, déplaisamment imperméable à toute domination. Les enfants que je n’ai pas eus savent enfin où j’ai prié quand le vol CDG vers RKV a atterri pour la dernière fois.
#1J1T (3) La carcasse de mon avion est le lieu de culte de ma nouvelle religion. Sans lui je serais mort, et lui n’est qu’une carcasse sans vie. J’essaie de me souvenir de ce jour de janvier 2022 où j’ai ouvert la bonne boîte de céréales, pour gagner ce voyage en lieu hostile.
#1J1T (4) Paysage à couper le souffle (de la vie). Soleil de minuit (annonçant un jour sans fin). Aurore boréale aux reflets émeraude (un coup des Martiens). Source d’eau chaude (pour me cuisiner). C’était gratuit, et la mort pointait son corps en entier, alors la parano… non.
#1J1T (5) Leur mort était tellement stupide. Leur cerveau ne savait plus comment commander aux poumons d’inspirer. Alors leur corps s’effondrait, tel un robot dont les piles sont déchargées. Le pilote souriait en regardant ma main tremblante, tenant ce billet d’avion salvateur.
#1J1T (6) Le pilote de notre minuscule avion, frais émoulu d’une école d’aviation en faillite, tournoyait autour de Katla comme le pôle sud d’un aimant vers son pôle nord. La dizaine de passagers était fascinée. Moi, je me demandais pourquoi il voulait aussi nous tuer. Le volcan.
#1J1T (7) Après un atterrissage de fortune brillamment maîtrisé, le pilote a levé deux doigts signant sa victoire. À ce moment, la fortune ne lui a plus permis de respirer. C’était notre chance, et un minibus nous a conduits vers le village de nos «vacances». Notre salut, plutôt.
#1J1T (8) Le minibus nous déposa à l’arrière de l’église, dans le seul village non contaminé. C’est avec consternation que je contemplais le lieu où je mourrai assurément. Cendres noires et épaisses, eau glaciale et mouvementée, c’était un avant-goût de l’enfer. Un dernier arrêt.
#1J1T (9) Mon bain à l’eau troublée par les cendres de Katla, au parfum de soufre insufflé par Katla… et sa chaleur tiède... et lorsque je ferme les yeux sous l’eau, il m’emmène dans notre monde d’avant, où on ne tuerait pas pour un bain chaud. Ici non plus. Mais moi, oui.
#1J1T (10) Ma coloc involontaire se moque de mes bains quotidiens, préférant dominer sa peur de ce qui se cache dans l’eau troublée de mon bain, avec la douce assurance que le filet d’eau saumâtre qui coule du robinet est inoffensif. Le danger est pourtant dans l’air invisible.
#1J1T (11) Chaque soir, ses doigts jouent une marche funèbre, qu’elle soit de Chopin, Berlioz ou Schubert. Elle la joue pour les autres villageois. Je me demande ce qu’elle jouera si je cesse de respirer avant elle. Sinon, moi, je sais juste jouer au clair de la lune, à un doigt.
#1J1T (12) Chaque matin, Ása arpente le cimetière où vivent ceux qu’elle a connus. Elle semble croire qu’ils reviendront à la vie, tel qu’indiqué à l’entrée du cimetière. «Parce que moi je vis, vous aussi vous vivrez». Je suis bien seule si tout le monde est supposé être en vie.
#1J1T (13) Alors qu’il époussette les cendres qui s’amassent sur le toit de sa maisonnette, il me lance un regard qui impose garder une distance. Nous ne sommes vraisemblablement plus que trois en vie sur Terre, et pour préserver notre vie, nous choisissons d’être seuls au monde.
#1J1T (14) Ása contemple souvent les flots trompeusement calmes de la mer et pense à ses ancêtres métazoaires. Elle me confie vouloir les rejoindre. Pourtant ces pauvres métazoaires se sont battus pour qu’on vive. Je ne savais pas que c’était la dernière fois que j’observais Ása.
#1J1T (15) Une vache est étendue sur son lit de cendres. Elle n’est pas plus vivante que les résidents du cimetière favori d’Ása. Elle me regarde d’un œil globuleux qui brille comme les vitraux de l’église du village, abandonnée par son Dieu et ses fidèles. Mais où est Ása?
#1J1T (16) J’ai erré dans les rues sinueuses du village à la recherche d’une âme qui vive. Le type louche qui balaie les cendres de son toit n’est plus là. Ma coloc pianiste a disparu trois jours plus tôt. Je cherche un remontant dans la pharmacie. Nivea bille ou coton-tige?
#1J1T (17) Le détecteur de fumée sonne depuis quelques minutes. Il est le seul à m’alerter que mon lait bout trop. Je le regarde bouillir jusqu’à la production d’une odeur insupportable de lait brûlé. C’est mon volcan. Les autres, dehors, rugissent de manière bien plus menaçante.
#1J1T (18) Depuis trois semaines je cherche vainement Ása, et je cherche même le type louche du toit. Quand on est tout seul au monde, même trouver un type louche qui balaie son toit et fait signe de dégager, ça ferait battre mes deux cœurs qui ne battent plus que pour RIEN.
#1J1T (19) J’ai communiqué avec mon Dieu, parce que je n’ai plus personne à qui parler. Il me confirme ce que je refusais de croire. Il me confirme que je suis la Christophe Colomb du 21e siècle. Sauf que moi j’ai anéanti toute vie humaine. Seuls mes deux cœurs battent encore.
#1J1T (20) Derrière les poils de sa crinière, ses yeux laissent couler des larmes de sang. Pleure-t-il la perte de ses maîtres humains? Ou sont-ce des larmes de joie? Lorsque je m’approche de lui, il fuit, bien que je sois assurément une chevalière de l’apocalypse. Sans monture.
#1J1T (21) Je voulais juste visiter la Terre, je ne voulais pas croire mes mentors. Je voulais juste me sentir à proximité de ces êtres dont je partage 0.5% de patrimoine génétique. Je ne voulais pas les contaminer. Ils m’ont fui en mourant, et les vivants me fuient en galopant.
#1J1T (22) Le labo épuise ses dernières réserves d’énergie fossile. Tous les instruments, toutes les sondes s’éteignent tour à tour, partout dans le monde. Elles produisent toutes la même information. Les bipèdes ont disparu de la chaîne alimentaire terrienne. Par ma faute.
#1J1T (23) J’ai trouvé refuge dans une caverne où une eau qui bulle a solidifié la lave. Maintenant que je suis le seul être vivant de ce monde qui peut encore pleurer, je me terre dans cette caverne pour y pleurer bruyamment. L’écho de mes larmes me fait sentir moins seule.
#1J1T (24) En insérant une aiguille à tricoter dans mon oreille, j’ai activé la partition mécanique de mon cerveau. À l’école, ils nous disaient de plutôt choisir de mourir, parce qu’en allumant la balise de secours, on alerte aussi nos ennemis, avides de ressources à épuiser.
#1J1T (25) Le marc de café est aussi cruel que le tarot ou les runes. Je les ai tous consultés puis jetés dans les flammes du foyer. Tous les trois m’accusent de n’avoir su accepter une mort par solitude, et pour cela, par millions les animaux mourront aussi. Moi y compris.
#1J1T (26) « Une balle pour papa. Une balle pour maman. Une balle pour le petit frère. Une balle pour la grande sœur. Et une balle pour toi . » Ils sont là. Ils ont laissé ce mot sur mon lit, avec le revolver adéquat, et la balle adéquate. Ils ont tué ma famille. C’est mon tour.
#1J1T (27) Je pensais me voir infliger la mort par ce virus, mais non. Je pensais me voir infliger la mort par ces volcans, mais non. Les uns après les autres, les animaux se voient amputés de leur cortex temporal. Si j’avais su, je n’aurais pas activé cette maudite balise.
#1J1T (28) Ce n’est pas un nuage de dioxyde de soufre ni un nuage de gouttelettes d’eau. Il fait passer l’agent VX pour une dose d’hélium. Mon peuple m’a abandonnée. Nos ennemis ont ce truc en plus que nous n’avons pas, jamais ils ne doutent du bien-fondé d’exterminer les autres.
#1J1T (29) 63°37'58.80" N -19°03'0.00" W. Alors que les filtres de mon masque s’épuisent inexorablement, ces coordonnées scintillent sur mon bracelet. Mon peuple va sauver celle qui a conduit la Terre à sa mort. Jamais j’aurais dû douter de lui. Je cours vers Katla!
#1J1T (30) J’ai envie de pleurer. La masse gélatineuse est le vaisseau ennemi. C’est un piège. «Merci Cassiopéenne, pour cette victoire facile, et ces délicieux animaux. Ensemble, nous allons conquérir l’univers.» Dans un soupir, je contemple la dernière balle de mon revolver.
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