Loïc Guermeur 🌊⚓️🔱🌐🏉 Profile picture
Histoire navale⚓️mili. Monde maritime et portuaire. Navigateur, Cap-Hornier x2. Ex-Marine Nationale . Les grandes histoires navales de la WW2 Éd. Plon.

Sep 25, 2022, 58 tweets

#CeJourLà 25 septembre 1940. Fin de l’Operation Menace, cette opération dont on parle peu est l’échec le plus retentissant deGaulle, et lui a longtemps porté préjudice.
Je vous raconte cette histoire navale peu connue. 🧶 🧵🌊⚓️

Retour en arrière. Juin 1940. L’Allemagne envahit la France. Mais l’Empire colonial et la Marine française constitue une force encore une force importante. À Dakar, en juin, l’esprit est à la continuation des combats aux côtés de l’Angleterre.

Mais le 3 juillet 40, les Britanniques attaquent la flotte française à Mers El Kebir, suscitant la stupéfaction notamment à Dakar.

D’autant que le 8 juillet, Dakar, et surtout le cuirassé Richelieu est attaqué à son tour par les Britanniques dans le port de Dakar.

Le Richelieu, fleuron de la Marine Nationale, a quitté Brest le 18 juin, juste avant l’arrivée de l’armée allemande, alors qu’il est terminé à 90% seulement. Il manque des travaux sur l’artillerie notamment et n’a pas beaucoup de munitions.

L’attaque du 8 juillet l’endommage fortement. Après l’échec d’une opération commando de nuit, le porte-avions Hermes envoie des avions torpilleurs Swordish dont les torpilles créent une brèche importante à l’arrière du bâtiment, au mouillage dans la baie de Dakar

Cette attaque achève de retourner une grande partie de l’opinion contre les Britanniques, les alliés d’hier. Vichy en profite pour remplacer les fonctionnaires locaux un peu trop enclins à continuer le combat, notamment le gouverneur de Dakar, leon Cayla.

A Londres, le général deGaulle tente avec + ou - de succès, de rassembler autour de lui les français refusant l’armistice.
Cherchant à prendre pied sur une terre française pour gagner en légitimité, Dakar semble tout indiqué.

Peu légitime à ce moment, deGaulle est en plus discrédité pour avoir justifié l’attaque sur Mers El Kebir dans deux allocutions radiophoniques. Relativement isolé, Il lui faut faire un « coup » pour s’affirmer.

Churchill est aussitôt enthousiasmé par l’opération sur Dakar. Port stratégique sur l’Atlantique, Dakar permettrait de protéger le trafic maritime remontant désormais par le cap de Bon Espérance, vers le Royaume Uni, la Méditerranée étant devenue dangereuse.

Le montage du plan est compliqué. 2300 soldats français doivent prendre pied à Dakar, appuyés par la Royal Navy dont le porte-avions Ark Royal, deux cuirassés âgés, le Barham et le Resolution, des croiseurs mais aussi deux avisos français

A Londres, on est persuadé que l’opération se fera sans heurts. En effet, l’Afrique Equatoriale Française (Gabon, Tchad) s’est ralliée à la France Libre fin aout 1940, et les rapports (datant de juin) montrent que Dakar est mûre pour le ralliement.

Autre motivation, à Dakar sont stockés les stocks d’or polonais, belges et une partie de l’or français. Cette manne financière permettrait de financer la guerre de deGaulle et de Churchill auprès des Etats Unis

L’opération est montée à la va vite. Le convoi appareille fin août alors que les modalités de l’opération ne sont pas claires. De Gaulle privilégie une action rapide évitant les tirs fratricides. Pour le Richelieu,un bataillon de 76 hommes doit investir le navire (1500 équipages)

Une compagnie de la Legion Étrangère doit investir le quai pour interdire la communication du cuirassé avec la terre.
Force pas assez nombreuse en cas de problème, mais dispositif agressif incitant peu au ralliement amical, le plan est maladroit.

DeGaulle n’a aucun contact local pour encourager la sédition. Les anglo gaullistes avancent donc en aveugle, sur la base de mauvais renseignements, avec une opération mal montée. Je rappelle qu’en 40, les opérations amphibies sont loin d’être au point comme en juin 44.

Dans le même temps, Vichy s’organise pour éviter que toute l’Afrique ne bascule, et envoie la force Y composée de navires modernes (croiseurs Georges Leygues, Montcalm, Gloire et contre torpilleurs Le Fantasque, Le Malin et l’Audacieux)

Franchissant Gibraltar sans encombre, les navires français ne sont pas signalés à Londres par la Royal Navy de Gibraltar, qui n’est pas au courant de l’opération sur Dakar. La Royal Navy tente d’intercepter la Force Y mais elle est trop rapide et se réfugie à Dakar.

Alors que l’opération Menace est basée sur la surprise, tout le monde à Dakar, s’attend à une attaque Britannique. Sur le Richelieu, le capitaine de vaisseau Marzin, commandant du navire fait préparer la défense.

Aube du 23 septembre. Les navires anglais croisent au large de Dakar, masqués par une forte brume. L’action se divise en 3 axes : neutralisation de l’aéroport, action psychologique et envoi d’émissaires.

Les gaullistes se posent sur l’aéroport mais l’opération est mal menée et les gaullistes sont faits prisonniers.
Tandis que Dakar reçoit un message radio de deGaulle sonnant maladroitement comme un ultimatum...
La brule masque la flotte anglaise et l’effet de surprise est raté

Enfin, D’argenlieu, émissaire de deGaulle, arrive en vedette sur le quai afin de parlementer. Mais reçu à coups de mitrailleuses, il doit rebrousser chemin.
L’alerte générale est donnée. Mais l’opération se poursuit.

Deux avisos gaullistes tentent d’entrer dans le port afin d’y débarquer des troupes. Sonnant le « garde à vous babord » pour rendre honneur au Richelieu, celui-ci tire deux coups de semonce et les avisos rebroussent chemin....

9h. La brume se lève, dévoilant la force britannique.... l’amiral Landriaux, chef de la Marine à Dakar, organise la défense. Constatant l’échec gaullistes, les Britanniques décident de bombarder la ville, les cuirassés s’avancent mais le sous marin Persée tente de les intercepter

Mais le sous-marin français est repéré. Alors que les tubes sont parés à lancer leurs torpilles, le sous-marin est attaqué par le croiseur HMS Dragon. Criblé par la flotte anglaise, il coulé à 11h37

De Gaulle tente d’empêcher les Britanniques d’intervenir mais il n’y parvient pas. Les communications sont mauvaises et la situation dégénère. Les batteries côtières touchent le Hms Cumberland ! La canonnade est lancée et les obus tombent dans les quartiers civils de la ville...

De son côté, le contre-torpilleur l’Audacieux, qui tente d’empêcher les navires ennemis de s’approcher est coulé également dans l’après-midi. Le bilan est lourd et les cadavres sont récupérés jusqu’à 20h30

L’opération du 23 est un échec total. Le gouverneur de Dakar, vichyste, en profite pour faire basculer l’opinion publique dans une allocution radio tandis que la force M se retire pour la nuit.
Mais l’opération ne s’arrête pas là.

La disproportion des forces interdit à la Marine de Vichy le combat en haute mer. Mais la situation défensive est particulièrement bonne, appuyée notamment par les canons de l’île de Goree. Au matin du 24 septembre, le poste de combat est sonné

Le Malin et le Fantasque appareillent vers 5h et patrouille en baie de Rufisque

L’aube se lève, brumeuse, la mer est agitée, et les navires français abattent les premiers avions anglais!

Un aviateur anglais est fait prisonnier. Lors de l’interrogatoire, il est stupéfait d’apprendre qu’il n’y ani allemand, ni italien à Dakar.

09h30. Les cuirassés Britanniques s’avancent de nouveau afin de bombarder Dakar, ouvrant le feu à 14 km

Le Richelieu s’apprête à riposter à 09h40 de ses puissantes pièces de 380 mm. objectif : le cuirassé Barham. Mais dès la première salve, la pièce 7 vole en éclats, le tube arraché projeté à une 20aine de m de haut!

Ce n’est pas un coup britannique qui est responsable de l’incident mais l’obus du Richelieu qui a explosé lors de la manipulation

Le Barham a eu chaud! D’autant que le Richelieu continue à tirer avec ses pièces secondaires de 152 mm touche le britannique

Dans la baie, la bataille est générale entre les contre torpilleurs et les Britanniques. Le Malin est touché à son tour d’un obus de 203 et doit ralentir ! Les cuirassés britanniques s’attaquent désormais au Richelieu

Le Hardi deploie un rideau de fumée devant le port!
Pendant une heure, Les cuirassés anglais ont tirés 160 projectiles de 381mm pour aucun coup au but

De leur côté, les britanniques ont essuyé des coups. Le Bahram a encaissé encore quatre coups de 240 et le Resolution a été légèrement touché. Les avions britanniques revenus sur le porte avions déclarent que la DCA du Richelieu est d’une « précision indécente «

L’attaque du 24 septembre cesse. 400 obus de 381 mm ont été tirés pour un maigre résultat... même s’il y a des pertes françaises.
De Gaulle lance de nouveaux appels, totalement inaudibles,

Tandis qu’une nouvelle attaque aérienne sur les croiseurs français est un échec total, L’amiral Cunningham songe à abandonner l’opération, deGaulle également .
Mais Churchill insiste : »Que rien ne vous arrête « 
A Toulon, le cuirassé Strasbourg a appareillé

La matinée du 25 septembre débute comme la précédente et l’amiral Landriaux ordonne au sous-marin Beveziers de se positionner sur la route empruntée la veille par les cuirassés britanniques

Commandé par le capitaine de corvette Lancelot (!), le sous marins s’avance, non détecté à 2500 m du Barham et tire 4 torpilles

Les cuirassés anglais viennent à droite toute afin de les éviter mais la Resolution est touchée, embarquant des tonnes d’eau

Les échanges d’artillerie et le Barham est encadré par le Richelieu !
L’anglais est même touché et doit ralentir.

Voyant la tournure de l’opération, Churchill fait enfin cesser le combat.
Les anglo gaullistes batte en retraite.
Le sous-marin Beveziers (nom d’une célèbre victoire française sur la Royal Navy en 1690) revient sous les hourras

Bilan. L’opération coute de gros dégâts matériels aux anglais (notamment le Resolution), 36 morts. Côté France Libre, 2 morts sont à déplorer. 98 défenseurs de Dakars sont morts, et, 68 malheureux civils.

Les journaux américains, français et anglais se déchaînent contre Churchill qui est à deux doigts d’être destitué à la Chambre des Communes

Côté Vichy, la résistance de la Marine permet d’assouplir les clauses de l’armistice. Hitler en profite pour accentuer la pression et menace d’envoyer la Wehrmacht en Afrique du Nord française, sans lendemain.

DeGaulle fut profondément ébranlé par cet échec. Le président Roosevelt garda l’échec de Dakar en mémoire bien longtemps, affectant la crédibilité du général.

Ce thread s’achève. Diverses Sources notamment ce livre anglais. Mais aucun livre dédié en France. On trouve nombreux témoignages dans différents livres en revanche.

Post scriptum. L’affaire couta son poste à l’amiral Britannique North. Déjà « coupable » de virulentes critiques contre Churchill après Mers El Kebir, il ne signala pas assez tôt le passage de la force Y devant Gibraltar

Enfin, j'espere que le format vous plait. J'ai été obligé de faire ce thread anniversaire avec mon téléphone, rencontrant toujours des soucis informatiques sur ordi.

PS 2 : DeGaulle était déjà mal vu par la Marine Française après avoir justifié l'attaque de Mers El Kébir à la radio, cette attaque à laquelle il participa, malgré ses tentatives pacifiques, accentua définitivement le fossé

Ce montage de qualité (thread fait à l'iphone, encore désolé pour les accrocs) est sponsorisé par @DontesEdmand 😅

Ps3. Begarie et Huan ont fait cet ouvrage dont je ne soupçonnais pas l’existence. Erreur réparée, et livre commandé. Les éditions Economica, une mine d’or!

Pour aller plus loin, le récit d'un des marins de l'Audacieux dont le navire a coulé en baie de Rufisque .

Et puisque vous êtes très gentils, des photos rares du Richelieu lors de la bataille de Dakar poke @TVaisset @Trois_Ponts @MarineNationale

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