1⃣Vous avez toujours rêvé d'être une petite souris pour voir comment se déroulait en temps réel une «affaire» dans une grande entreprise ? C'est possible avec les rapports de l'Autorité de la concurrence, qui reproduisent des mails internes 🧵
2⃣ L'@Adlc_ vient de publier un rapport de 151 pages sur sa décision de sanctionner Essilor à hauteur de 81 millions d'€ pour avoir « entravé le développement en France de la vente en ligne de verres correcteurs » durant + de 11 ans. Extraits choisis. ⬇️
autoritedelaconcurrence.fr/sites/default/…
3⃣En 2011 la directrice marketing suggérait «un plan d’action +ambitieux si nous voulons réduire l’impact médiatique &commercial de la vente sur Internet». Un ppt prévoyait l'essor de celle-ci vu «l’absence d’entrave réglementaire, des prix extrêmement élevés sur le marché tradi»
4⃣ En 2013 une présentation identifiait les sites de vente en ligne comme un « danger potentiel », pour les motifs suivants : « Parti-pris différent d’Essilor : le prix, la remise, le look »
5⃣ Comme le résume l'@Adlc_, Essilor a communiqué, aussi bien en interne qu’à destination du public, en vue d’entraver la vente en ligne de verres optiques dans le pays avec comme principal argument «une supposée interdiction de la vente en ligne de verres correcteurs en France»
6⃣ S'ensuit une opposition truculente entre les services chargés de la communication et les services juridiques.
7⃣ Un groupe de travail interne propose comme EDL, en réponse à la question « ESSILOR va-t-il se lancer dans la vente en ligne en France ? » : « Cette question ne se pose pas car la vente d’équipement optique en ligne est interdite en France ».
8⃣On imagine l'embarras de la directrice des affaires juridiques, qui indique par courriel au PDG que des « études confirment la possibilité de pratiquer les ventes en ligne dans le respect d’un certain cadre réglementaire (qui est le même que pour des ventes “en dure”) »
9⃣Un doc interne de comm propose d'ébaucher de toutes pièces une étude afin de permettre l'EDL : « Une étude commandée par Essilor révèle que xx % des équipements progressifs vendus en lignes sont moins bien adaptés que les équivalents délivrées [sic] par un opticien physique »
🔟 En 2011, Essilor détaille dans un CP les services que "la vente à distance ne permet pas de garantir; c’est pourquoi nous avons décidé de ne pas associer les verres Essilor aux sites de vente de lunettes en ligne ». La responsable juridique l'apprend après sa publication 🤓
11. Elle s'en inquiète dans un mail interne : « D’un point de vue juridique, en l’état de la réglementation et de la jurisprudence, nous ne pouvons ni interdire la revente de nos produits sur internet, ni refuser de vendre nos produits aux opticiens en ligne ». Wait for it...
12.«Cette question est particulièrement sensible notamment pour les autorités de concurrence(plusieurs décisions ont été rendues pour sanctionner des fournisseurs refusant la revente en ligne de leurs produits ou leur imposant de mettre en place des conditions de vente en ligne)»
13. « Aussi, la phrase “nous avons décidé de ne pas associer les verres de marque Essilor aux sites de vente de lunettes en ligne” nous semble maladroite, et ne pourra pas être mise en application. » C'est dit.
14. Qu'importe, plusieurs messages internes à Essilor insistent sur la nécessité de diffuser ce communiqué, et dans un mail le directeur régional des ventes dans l'Est écrit : «Bravo, très bien j’ai déjà eu des retours positifs de notre soirée Krys». #nightlife
15. Le rapport montre aussi comment peut réagir une grande entreprise face à l'arrivée d'un jeune challenger. Comme dans ce cas, le site de vente en ligne de lunettes Sensee, créé par le fondateur de Meetic Marc Simoncini.
16. «SENSEE a le potentiel a rapidement prendre le leadership sur le marché Français ... savoir faire / équipes /Capital / + médiatique X…) » dit un mail interne. « Décidément, ils ont l’influence et les moyens. Pas bon pour le business. Notre stratégie internet devient urgente»
17. Une étude interne souligne que Sensee pratique des prix inférieurs de centaines d’€ aux prix moyens des opticiens physiques. « Expérience extensive du e-commerce, immense puissance financière et expertise de pointe de l’équipe dirigeante dans le secteur de l’optique »
18. Or en 2012 Sensee contacte Essilor pour référencer ses verres et travailler sur un partenariat. « La position d'Essilor est de refuser avant même d'amorcer les discussions », relève l'@Adlc_
Le DG d'Essilor France cherche alors des arguments pour refuser...
19. Mais la direction des affaires juridiques avertit que « Compte tenu du caractère potentiellement anti-concurrentiel et abusif des restrictions de revente sur internet, il est nécessaire d’être particulièrement vigilants dans notre réponse à Sensee ». Ça ne s'invente pas.
20. Alors que Sensee le relance, Essilor lui envoie par courriel les « mesures actuellement mises en œuvre sur le marché français pour assurer la bonne commercialisation des verres Essilor », dont la conception de ceci :
21. C'en est trop pour Sensee, qui rappelle qu' « Essillor n'a aucune qualité ni mandat pour se substituer à une autorité régulant les conditions d'exercice de la profession d'opticien en France », d'autant que le groupe vend à des opticiens en ligne dans d'autres pays
22. Dans un mail qui aurait pu venir de nombreuses start-up ces dernières années, Sensee souligne qu'il ne « saurait exercer ses activités dans des conditions de concurrence normale sans être fourni dans les mêmes termes que ceux accordés à nos concurrents des réseaux physiques »
23. Branle-bas de combat chez les juristes, qui demandent à la R&D une «note détaillée pour consolider l'argumentaire technique». «-Qu’entends-tu par-là ? répond le chef. Comme je le comprends, hors verres personnalisés, tous les verres sont a priori “ compatibles techniquement”»
24. La direction juridique est alors obligée de préciser l'objectif implicite, à savoir de protéger de la concurrence internet une gamme de verres d'Essilor.
25. Cette direction est parfaitement consciente que «Toute interdiction globale et de principe serait vraisemblablement considérée comme une pratique anticoncurrentielle»
26. Détail truculent. La direction juridique suggère de possibles problèmes de mesures à distance pouvant provoquer des maux de tête mais juge «douteux que des maux de tête soient jugés suffisants (ou assez impérieux) pour permettre de justifier un refus de vente sur internet»
27. A partir de 2013, Essilor vendra finalement ses verres à plusieurs sites d'opticiens en ligne mais leur interdira de mentionner la provenance Essilor, faire figurer ses logos ou mentionner ses marques.
28. Pour l'@Adlc_, les pratiques d'Essilor sont d'autant + graves «qu’elles sont intervenues dans un secteur de la santé publique, caractérisé par des prix élevés et la volonté des pouvoirs publics d’encourager un mode de commercialisation propice à une baisse des prix».
29. «Elles ont engendré un dommage à l’économie certain, car l’accès aux produits d’Essilor et la communication sur ce point présentaient un enjeu crucial en termes de crédibilité pour le canal émergent de la vente en ligne, au regard de la notoriété inégalée de ces produits ...
30. ...et où, d’autre part, elles ont pu favoriser le maintien de prix élevés et limiter le choix et l’information des consommateurs ».
L'@Adlc_ pense toutefois «qu’en l’absence des pratiques incriminées, le canal de vente en ligne serait demeuré minoritaire sur la période»
@Adlc_ 31/31. Pour voir comment Essilor a défendu son cas devant l'Autorité de la concurrence, et ce que celle-ci a répondu, rendez-vous pages 57 à 150 du rapport 🤓
autoritedelaconcurrence.fr/sites/default/…
END.
Share this Scrolly Tale with your friends.
A Scrolly Tale is a new way to read Twitter threads with a more visually immersive experience.
Discover more beautiful Scrolly Tales like this.