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Jan 3, 2023, 27 tweets

🧵 Récit d’un crime néocolonial

L’État cambodgien et l’entreprise #Socfin, propriété des milliardaires Vincent Bolloré et Hubert Fabri, se sont définitivement accaparés les terres et la forêt des communautés autochtones #Bunong pour les transformer en plantations industrielles.

Les Bunong sont un peuple autochtone de langue Mnong résidant dans la région reculée des hauts plateaux de l’Asie du Sud-Est (Sud du Laos, Ouest du Vietnam, Est du Cambodge)

Animistes, ils sont notamment connus pour leur habileté à vivre en bonne intelligence avec les éléphants. twitter.com/i/web/status/1…

Les Bunong pratiquent une agriculture itinérante de subsistance sur des parcelles (« mir ») régies par une forme de propriété d’usage collective et temporaire (et non par la propriété privée qu’ils considèrent comme une aberration).

Les peuples des hauts plateaux sont restés insoumis jusqu’en 1930, protégés par la forêt luxuriante. Certains comme les Cau Maa’ ont refusé tout contact avec les non-autochtones jusqu’en 1950. Puis ils ont rencontré le napalm, l’agent orange, les missionnaires et le capitalisme.

En 2008, l’État cambodgien, dirigé depuis 37 ans par le 1er ministre Hun Sen (ex-khmer rouge, chef du parti unique), a octroyé 3 concessions (12'000 ha situés dans la province de Mondol Kiri, au cœur des terres Bunong) à Socfin-KCD (80% Socfin / 20% KCD sous contrôle de Hun Sen).

L’octroi des concessions à Socfin s’est fait sans consultation préalable des communautés autochtones.

En 2009, des ONG alertaient déjà sur cette opération qui bafoue à la fois la loi cambodgienne et les droits humains reconnus par le droit international. fidh.org/IMG/pdf/resume…

Malgré les manifestations rassemblant des centaines de Bunong qui réclamaient la restitution de leurs terres, Socfin a commencé à raser leur forêt et leurs parcelles cultivées dans la localité de Busra dès 2008 pour y développer des monocultures intensives de palmiers et d'hévéas

Cet écocide se double d’un ethnocide : privation des moyens de subsistance, destruction de cimetières, de lieux de culte et d’arbres centenaires considérés par les Bunong comme des personnes intégrées à leur société, et conversion forcée à l’économie de marché.

Socfin a mis les Bunong devant ce choix :

-200$/ha d’indemnités
-des terres de substitution lointaines et moins fertiles
-bénéficier du programme «Petits Exploitants» : emploi précaire dans les plantations + s’endetter auprès de Socfin pour payer les engrais et les pesticides.

Dépossédés de leur terres, les Bunong doivent désormais travailler pour le Capital pour survivre. Krey Quin, 48 ans, a emprunté de l’argent pour la 1ère fois en 2019 pour acheter une moto et du riz en ville. Pour payer les intérêts, il récolte le caoutchouc pour Socfin.

Un cycle de négociations de plusieurs années avec l'État et Socfin, initié par une association autochtone, la BIPA (Bunong Indigenous People's Association - bunong.org), a pris fin en 2016, les ressources financières de l’association s'étant épuisées.

Au même moment apparaît le projet de médiation 'Mekong Region Land Governance' cofinancé par les États Suisse, Allemand et Luxembourgeois, et piloté par l’entreprise IMG. Dès le départ, un village où des familles ont osé se joindre à un procès contre Bolloré en a été exclu.

En 2019, 11 Bunong se sont rendus en France, au tribunal de Nanterre, pour faire valoir leurs droits contre Socfin. L’action a été jugée irrecevable en 2021 faute de titres de propriété valables, et les plaignants condamnés à payer 20.000€ de frais de justice à Bolloré.

Or, le droit international de protection des peuples autochtones n'exige pas de formalisation de la propriété car ces peuples ne s’organisent pas sous le régime de la propriété privée contrairement aux colonisateurs.

Les juges français ont bafoué le droit au bénéfice de Bolloré.

Au final, seul un petit nombre de familles a été consulté par l’entreprise contractée pour organiser la médiation. Un accord de confidentialité imposé par l’entreprise empêchait les familles de communiquer entre elles sur la médiation - diviser pour mieux régner.

Fin septembre 2022, les coordinateurs de la médiation ont publié une déclaration affirmant qu’un "Joint statement on dispute settlement through independent mediation" avait été signé entre "les communautés locales" et Socfin.

La déclaration est une sorte d'accord-cadre qui renvoie à de nombreux sous-accords qui restent secrets. On ne sait pas à combien ni à quelles familles ni à quelles terres se réfèrent les accords.

De plus, les accords sont rédigés en khmer - une langue étrangère aux Bunong.

@FIANista et BIPA ont eu accès à 4 accords conclus avec des familles d'un village concerné. Ces accords stipulent que ces familles ont été pleinement informées, qu’elles ne causeront pas de perturbations et qu’elles ne réclameront pas d'indemnités ou de restitution de terres.

C’est un succès total pour Socfin : l’accaparement illégal de terres est légalisé en apparence et les familles concernées n’ont obtenu en contrepartie qu’une simple promesse de budgets de 'développement communautaire' flous et limités.

Au final, selon les ONG, les quelques 200 familles impliquées dans la médiation ont abandonné leurs terres et leurs droits sans recours possibles et n’ont quasiment rien obtenu en retour.

Plus de 800 familles spoliées ne se sont pas impliquées dans cette mascarade.

@FIANista et BIPA tentent de remettre en question la validité des accords signés en rassemblant des preuves que les familles impliquées ont participé à un processus qui leur était étranger et que la multinationale leur a forcé la main tout en dévastant leur terre.

Sur cette base, il faudra mettre en place un nouveau processus de résolution du conflit, strictement basé sur les droits humains, afin d’obliger l’État cambodgien à révoquer les concessions de terres, à les restituer aux communautés et à indemniser ces dernières. Peu probable.

En novembre 2022, le journaliste Jack Brook de @cambojanews a enquêté sur place et a publié un article où des représentants Bunong disent avoir été forcés par Socfin, qui peut désormais utiliser leurs terres pendant 50 ans avant de les remettre à l'État. cambojanews.com/after-rubber-f…

Plusieurs représentants Bunong se sont dits épuisés par cette bataille judiciaire et ont déclaré "s'être sentis obligés d'accepter les conditions de l'entreprise pour ne pas risquer de n’obtenir aucune des terres revendiquées" - ce qui s'est précisément produit.

Cette médiation, cofinancée par des États où Socfin est basée (Suisse, Lux), a été un outil de spoliation néocolonial utilisé pour donner un semblant de légalité à un vol de terres, un écocide et un ethnocide avec l’appui de la dictature cambodgienne et de la justice française.

De la Sierra Leone au Nigeria en passant par le Cameroun, la Guinée, la Côte d’Ivoire ou le Cambodge, les communautés autochtones et paysannes vivant à proximité des plantations de Socfin luttent pour survivre au néocolonialisme et pour leurs droits. asso-sherpa.org/plantations-de…

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