J'ai promis d'analyser cette étude dont le contenu détaillé raconte une histoire assez différente de celle des "stéréotypes".
Un (long) fil 🧵
Ce qui a donné de la visibilité à cette étude, c'est un édito Nature, écrit comme un appel à une action politique pour rétablir l'égalité en maths dans l'enseignement. Dans cet édito, la large étude est présentée comme une découverte du "point de bascule" dans le sexisme.
Car l'observation de l'étude (on y vient), c'est que le niveau en maths est identique chez les garçons et les filles en début de CP, mais les garçons prennent progressivement l'avantage en cours d'année. Ce qui pousse l'édito à demander une "intervention" égalitariste dès le CP.
Parlons de l'étude, donc. Elle est réalisée sur plusieurs cohortes d'élèves de CP (N=2.7M), entre 2018 et 2021, en partant des données d'un test national dit EvalAide () qui comprend des tests de maths et de français. Nous y reviendrons un peu plus loin...eduscol.education.fr/2295/evaluatio…
Voici la mesure : on observe au test T1 (début CP) un niveau de math égalitaire, un léger avantage au test T2 (mi-CP) et un avantage marqué au test T3 (début CE1, soit 12 mois après T1).
La métrique utilisée ici est le Cohen's d. (d=0.3<=>effet faible à moyen<=>4.5 points de QI)
Les chercheurs n'observent pas de motif particulier dans la répartition des écarts en France (il y a des variations, mais elles fluctuent d'une année sur l'autre).
Le découpage par type d'école fait relativiser un peu l'écart. Quand la différence de niveau est de d=0.2 entre un garçon et une fille d'un même type d'école (e.g. privée), la différence de niveau entre deux garçons l'un du privé favorisé, l'autre en éducation REP est de d=0.6.
L'étude essaye de remonter à des facteurs explicatifs suivant le niveau d'éducation des parents, le type d'école ou le type de famille, mais vous constaterez que dans les grandes largeurs, l'évolution T1-T2-T3 reste rigoureusement identique.
Parmi les rares variables qui modulent l'observation, on a la taille de la classe et l'hétérogénéité du niveau dans la classe. Lecture : une petite classe uniformise mieux le niveau en math garçon/fille et une classe très hétérogène est plus égalitaire sur le critère du sexe.
Venons-en aux limites de l'étude et aux éléphants dans la pièce.
1- le principal écart mesuré (entre T2 et T3) intervient après des vacances scolaires. On ne sait pas ce qui s'est produit pendant les 2 mois qui précèdent et le rôle de l'enseignement peut-être remis en question.
2- l'hypothèse explicative du sexisme est testée par l'étude et s'avère systématiquement non-conclusive.
L'idée du "premier de classe comme rôle modèle" n'a par exemple aucun impact sur l'évolution T1-T2-T3.
De même dans le premier graphe tout à droite, l'influence du ratio fille/garçon ne change que marginalement l'évolution.
En testant les professions de la mère et du père, on n'observe pas de différence de comportement si la mère a un emploi plus scientifique par exemple.
3- un écart favorisant les filles en langue est observé également (il n'a pas fait parler de lui dans l'édito). L'argument ici est qu'il "pré-existe" et n'est pas augmenté pendant la scolarité. On va revenir sur l'interprétation de cet écart plus loin.
4- le plus gros éléphant dans la pièce, toutefois, c'est que l'épreuve de test utilisée a changé "qualitativement". Le test T1 mesure la reconnaissance de chiffres et la comptabilité jusqu’à 10 de dessins. T2 puis T3 mobilisent des opérations mathématiques avec des symboles.
Les chercheurs de l’étude traitent tous ces tests comme des déclinaisons plus ou moins difficile d’un « même » test de maths, et non pas comme des tests différents mobilisant des compétences légèrement différentes (le premier test est-il plutôt un test de mémoire/langage ?)
Comment interpréter l'étude alors ? Je trouve pour ma part très surprenant (et contradictoire) d'analyser comme un avantage "inné" le biais linguistique des filles mais d'analyser comme un avantage "acquis" le biais mathématique des garçons.
Rien ne supporte, dans l'étude elle-même, la conclusion que c'est le sexisme (réel ou intériorisé) des enseignants (à majorité des femmes, en passant) ni des parents qui crée ce biais mathématique. Par contre, il est probable que les types de tests ne soient eux, pas neutres.
Si nous partons du principe que les garçons soient plus à l'aise sur des opérations et les filles sur des compétences linguistiques, il est possible que le test T1 ne fasse que "dissimuler" ce biais mathématique par le type même d'exercice...
Sources :
nature.com/articles/d4158…
nature.com/articles/d4158…
nature.com/articles/s4158…
reseau-canope.fr/fileadmin/user…
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