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Aug 21, 2019 40 tweets 7 min read Read on X
Un article publié cette semaine dans l’Opinion s’est penché cette semaine sur le chapitre 5 “sécurité alimentaire” du dernier rapport du Giec, afin d’éclairer pour le public l’une des (multiples) pistes énoncées par les experts

[fil 🔽]
comme offrant possibilité de changer le modèle agricole dans un contexte de changement climatique: l’amélioration génétique.
docs.google.com/viewer?url=htt…
Dès le chapô, cet article propose une vision très sélective de ce qu’est l’amélioration génétique (“genetic improvements” dans le rapport, en P6 L8 et P55 L6 du chapitre 5).
En effet, la reformulation opérée: “l’amélioration génétique. Autrement dit: les OGM” conduit l’auteure de l’article à laisser de côté toutes les autres stratégies possibles d’“amélioration génétique”, à commencer par la sélection.
aquaportail.com/definition-995…
warwick.ac.uk/fac/sci/lifesc…
Pourtant, ce terme de “sélection” est bien employé par l’auteure à la troisième ligne du premier paragraphe “les faits”… avant qu’elle ne revienne quelques lignes plus loin au même dérapage de définition dans le chapô.
L’auteure entreprend ensuite de présenter deux techniques de modification du génome des plantes de nouvelle génération, baptisées “New Breeding Technologies” ou NBT, comme elle l’avait déjà fait dans un précédent article daté du 26 juin.
fr.wikipedia.org/wiki/New_Breed…
Toutefois, comme dans son précédent article, l’auteure démontre en chemin son incompréhension complète des techniques d’édition du génome dont elle traite.

La première technique citée est la mutagenèse dirigée.
À la première lecture, j’ai été surprise de trouver cette technique datant de 1978 parmi les NBT, avant de comprendre que l’auteure avait raccourci le nom de la méthode qu'ele évoquait:
La mutagenèse dirigée par oligonucléotides (ODM), qui elle, se classe parmi les NBT.
Cette erreur de terme est assez gênante; toutefois, aucune des deux techniques ne correspond à la description qu’en donne l’auteure: il est difficile de comprendre ce qu’elle veut dire par “grâce à des enzymes”, ni “peut favoriser des modifications de l’ADN”...
ni “de façon à faire ressortir des caractéristiques intéressantes”.

Pour bien comprendre, commençons par la technique de mutagenèse dirigée classique. Je vous renvoie vers Wikipedia pour sa description détaillée.
fr.wikipedia.org/wiki/Mutag%C3%…
En très bref, cette technique consiste à employer de tous petits morceaux d’ADN simple brin (des olignucléotides) pour, d’une part, amplifier en grande quantité l’ADN que l’on souhaite muter, et d’autre part, introduire la mutation souhaitée dans cet ADN, au site exact désiré.
L’amplification elle-même repose sur le principe de la PCR (réaction de polymérisation d’ADN en chaîne), qui permet à partir d’un morceau d’ADN d’en obtenir des milliards identiques.

Cette PCR nécessite effectivement des enzymes...
c’est à dire des protéines dotées d’une activité catalytique (on les appelle ADN polymérases, parce qu’elles polymérisent l’ADN. i.e. le copient), mais ce ne sont pas les enzymes qui “favorisent la mutation”.
Bien au contraire: elles sont très fidèles,
et copient exactement ce qu’on leur demande.
Ce qui permet la mutation, c’est le fait d’introduire dans la réaction un oligonucléotide avec une mutation au site approprié.
De plus la mutation est introduite dans la séquence, précisément. Elle n’est pas “favorisée”.
Dans la méthode classique, on fait aussi agir d’autres enzymes, des enzymes de restriction, qui permettent en fin de réaction de couper en petits morceaux (et donc d’éliminer) les restes éventuels d’ADN de départ qui ne porteraient pas la mutation souhaitée.
[Cette partie de la réaction est marginale; on peut même s’en passer en pratique]

Toute cette première étape a été réalisée in vitro (dans des tubes), et on est maintenant en possession d’un morceau d’ADN muté.
Une fois que l’on a l’ADN muté, la partie plus complexe du processus est de ré-introduire le gène muté dans l’organisme (ici la plante) que l’on souhaite modifier. Il y a différentes stratégies pour ceci (dont désormais CRISPR/Cas9, ce n’est pas exclusif).
Mais en aucun cas, la mutagenèse dirigée ne consiste à faire directement agir des enzymes sur les plantes.

Quant à “de faire ressortir des caractéristiques intéressantes”, cette formulation est aussi maladroite que surprenante.
Puisque l’on introduit la mutation souhaitée exactement au site que l’on souhaitait, a priori c’est que l’on avait déjà une petite idée de ce que pourrait faire cette mutation, et du bénéfice que l’on pourrait en tirer.
Les caractéristiques ne “ressortent” pas, telles des escargots la tête de leurs coquilles. Elles correspondent exactement à la mutation introduite.
Lorsque l’objectif est de tirer au hasard sur le génome et d’espérer que quelque chose d’intéressant se passe, que l’on pourra sélectionner ultérieurement, on utilise au contraire de la mutagenèse aléatoire.
La technique dite de “mutagenèse dirigée par oligonucléotides” (ODM), plus récente, correspond — un peu mieux — à la définition de NBT, mais toujours par à sa description par l’auteure.
hautconseildesbiotechnologies.fr/fr/system/file…
Dans cette technique, plus question d’amplification fastidieuse in vitro avant d’introduire l’ADN muté et purifié dans la plante. Cette fois, ce sont directement des oligonucléotides, portant la modification souhaitée, qui sont introduits dans la plante.
Les mécanismes de réparation du génome de la plante vont utiliser cette information génétique apportée de façon exogène pour essayer de “corriger” le génome à l’image de la mutation introduite dans l’oligonucléotide.
L’outil employé n’est donc pas “des enzymes”, mais “des oligonucléotides”, c’est à dire deux types de macromolécules biologiques de nature très différente.
Concernant le fait de “favoriser les modifications” et de “faire ressortir les caractéristiques”, les points que j’ai précédemment soulignés sont toujours valables.
La seconde technique citée est l’édition du génome grâce auc désormais très médiatiques ciseaux Crispr-Cas 9. Cette technique permet de cliver très précisément l’ADN à un site donné du génome.
De multiples approches sont ensuite possibles pour obtenir la modification génétiques souhaitées. Certaines d’entre elles ne nécessitent pas d’ajout de matériel génétique exogène: on laisse la plante réparer la cassure;
lors de la réparation, il peut se produire des erreurs, qui vont conduire à une mutation du gène ciblé, sous une forme désirable ou non, qu’il faudra ensuite sélectionner.
D’autres reposent sur l’introduction dans la cellule d’un ADN modèle qui va guider la réparation suivant les plans souhaités par l’expérimentateur. Ce peut être un morceau d’ADN purifié provenant d’un génome d’une variété de plante de la même espèce, d’une variété proche,
ou bien quelque chose de tout à fait différent: la possibilité de choix est vaste. Dans le cadre des NBT, on limite en général les modifications à des ajouts d’ADN provenant de la même espèce, ou d’une espèce proche.
En quelques lignes, l’auteur essaie d’expliquer cette technique médiatisée. Toutefois, elle se contredit lorsqu’elle affirme que l’on “n’ajoute aucun matériel génétique à la plante”, puisque trois ligne plus haut, elle écrit “et d’insérer des gènes de la plante”.
Si l’on insère un gène, c’est qu’a fortiori, on a ajouté du matériel génétique (l’ADN modèle, de la même espèce ou d’une autre, comme je viens de l’expliquer).
En conclusion, s’il est intéressant de vulgariser l’intérêt indéniables que pourraient constituer les NBTs à l’avenir, pour peu que l’on sache les maîtriser à la hauteur des espoirs qu’ils suscitent, que l’on s’affranchissent de leurs risques et écueils techniques résiduels...
et que l’on connaisse suffisamment le système biologique complexe que l’on souhaite modifier pour ne pas se heurter à une multitude d’effets secondaires indésirables des modifications apportées...
il serait judicieux au préalable de s’assurer que l’on comprend le sujet dont on traite, ou au moins, de faire vérifier la pertinence de son propos par des experts avant publication.
Enfin, on pourrait également souhaiter que la parole d’autres experts, ceux du Giec, ne soit pas déformée par quelques sauts réductionnistes dans les définitions.
* indéniable
* grâce aux
* que dans le chapô.

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Nov 11, 2019
Merci de votre contribution, @StoekleC. Comme chacun sait, *vous* ne faites pas de politique.
Et certainement par sous couvert d'une casquette scientifique. N'est-ce pas?

Et pour l'excellente raison que *vous* savez distinguer la Science de la Morale. Et la Vérité du Bien.
N'est pas bioéthicien qui veut!
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