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Réussir son confinement avec @ant_mis1 : Les Économistes et la fin des énergies fossiles (1865-1931).

Pour m'occuper, je vous propose un petit exercice de synthétisation de 66 ans d'histoire de la pensée économique en quelques tweets.
La thèse d'@ant_mis1 se penche sur la période entre
Jevons - The Coal Question (1865)
Hotelling - The economics of Exhaustible Ressources (1931)
Cette fenêtre temporelle est passionnante, car on fait souvent démarrer l'économie des ressources naturelles à l'article de 1931
L'article d'Harold Hotelling va en effet profondément influencer les travaux ultérieurs et les questions que se poseront par la suite les économistes : un problème micro d'allocation intertemporelle d'actif, résolu par optimisation.
On est à mille lieux de la question telle qu'elle était posée par Stanley Jevons 66 ans plus tôt : face au problème de la finitude des ressources en charbon, Jevons et ses contemporains s'inquiétaient des conséquences macroscopiques sur le reste du système économique.
À l'époque, les britanniques redoutent l'épuisement des mines de charbon qui risque de stopper net la croissance de l'Angleterre. Son charbon domestique, peu onéreux, de très bonne qualité, permet un avantage compétitif extractif et industriel sur ses voisins.
Alors que la demande croît de façon exponentielle, l'épuisement provoquerait (1) un décrochage de l'offre et (2) une hausse des prix. Ce double mécanisme aurait des implications en cascade sur l'industrie et toute l'économie britannique, fortement dépendante au charbon.
C'est dans cette circonstance que The Coal Question (1865) est publié. On n'en retient souvent que l'effet rebond.
Une ⬆️ de l'efficacité énergétique (permettant une ⬇️ l'utilisation d'énergie/charbon) peut entraîner une ⬆️ de la demande (qui surcompense l'effet efficacité)
La solution à l'épuisement ne peut donc être technique : en améliorant les procédés, on permet à de nouvelles utilisations de devenir rentables, et on augmente en fait la consommation ! Le progrès technique est partie prenante du problème de l'épuisement, et non une solution.
Mais l'ouvrage de Jevons est bien plus vaste. Il est surtout le premier à poser le problème en termes véritablement économiques, et son ouvrage va avoir un fort effet de cadrage sur les travaux ultérieurs, notamment sur le mouvement conservationniste américain.
Préoccupés non par un déclassement relatif par rapport à leurs voisins (UK), les conservationnistes (US) redoutent que l'épuisement des ressources ne condamne toutes les générations futures à un avenir noir. Ils n'appellent néanmoins (1) ni à préserver la nature pour elle même
(2) ni à s'empêcher toute extraction. Mais il faut que la puissance publique empêche les gaspillages afin de ralentir l'inéluctable, et que l'on investisse les rentes minières pour dédommager les générations futures (rembourser la dette souveraine, investir dans l'éducation)
À partir de 1900, découverte de nouveaux gisements + arrivée du pétrole = inflexion du pessimisme
D'autre part, tournant théorique (théorie autrichienne du capital, marginalisme)
Ces deux facteurs vont pousser vers un focus micro associé à un changement d'objet : la rente.
Chez les Classiques, la rente minière est une partie de la rente foncière. => discutable, car si la terre se régénère, les mines s'épuisent
Cependant le principe différentiel ricardien va être repris par les premiers marginalistes et généralisé à l'ens des facteurs de production
Chez Ricardo, les terres mises en cultures sont de moins en moins fertiles. La terre marginale a une productivité faible, et sert d'étalon. Toutes les autres terres, plus productives, permettent donc un surplus. Ce dernier capturé par les propriétaires = Rente différentielle
On entre dans une phase de bouillonnement intellectuel passionnant ou chacun tâche d'intégrer le caractère épuisable à sa définition afin d'enfin expliquer comment doit être rémunéré le propriétaire du sous-sol. En plus de la part différentielle, il faut considérer :
(1) rente fixe : dépendant du rapport de force propriétaires exploitants
(2) rente proportionnelle : dépendant du volume miné (= rémunération de la dégradation de l'actif sous-sol)
(3) droit de passage pour rémunérer l'utilisation du sol (machines extractives)
Paradoxalement, ces réflexions sont jetées à la benne en 1920 avec un retour à une application stricte du principe ricardien différentiel, qui résulte d'une volonté de généralisation et d'unification théorique qui doit pouvoir traiter tous les objets avec les mêmes outils.
Les travaux sont alors influencés par (1) les controverses autrichiennes autour du capital, et notamment par Böhm-Bawerk et son capital comme détour de production. La question du temps devient alors centrale. Le capital, c'est un sacrifice maintenant pour un gain futur.
(2) les définitions britanniques très larges du capital comme richesse (notamment chez Fisher) permettent de considérer les réserves minières comme un stock d'actifs, un capital naturel mobilisable dans la production et valorisé uniquement en fonction des besoins des Hommes.
L’exploitant doit arbitrer entre :

(1) Extraire le plus vite possible afin de placer les fonds et être rémunéré par le taux d’intérêt (tant que les ressources sont dans le sol, mon capital ne « travaille pas »)
(2) Ralentir l’extraction afin de :
[a] Ne pas gâcher trop de ressources à cause des rendements décroissants
[b] Attendre le renchérissement des minerais. Les ressources étant finies, elles se renchériront à l’avenir à mesure que le stock restant diminue
Si Gray (1913, 1914), Cassel (1914 traduit en 1932) et Ive sont encore marqués par des relents normatifs teintés de conservationnisme, ils présentent néanmoins un modèle d’arbitrage intertemporel cherchant le meilleur rythme d’extraction très proche de celui d’Hotelling (1931).
Plutôt qu’une disruption dans l’objet ou dans le discours, Hotelling réalise surtout un saut dans la méthode. Par ailleurs, la structure argumentative et mathématique (optimisation d’intégrales) de son analyse présente des similitudes avec la théorie du capital de Ramsey (1928)
Hotelling (1931) marque la fin des préoccupations macroscopiques et systémiques pour se concentrer sur une analyse positive, certes plus précise et détaillée, mais consacrée à des problèmes fondamentalement micro. On ne répond plus du tout aux mêmes questions que Jevons.
Je ne résiste pas à l’envie de clore ce fil avec la dernière phrase du livre

Pourvu que [les économistes] fassent preuve de suffisamment d’« audace », comme le disait Jevons, pour résoudre les problèmes tels qu’ils se présentent, et non pas tels qu’on aimerait les comprendre.
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