Avant-hier, un journaliste disait au sujet des profs : ils sont lâches, regardez les soignants, ils y vont, eux.
Hier, une autre journaliste : les soldats, ils y vont, eux.
Un autre chroniqueur encore : les prêtres, lors des dernières épidémies, ils y sont allés, eux.
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Hier, une autre journaliste : les soldats, ils y vont, eux.
Un autre chroniqueur encore : les prêtres, lors des dernières épidémies, ils y sont allés, eux.
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Je suis professeur et maman et ce sera sans doute #SansMoiLe11Mai et #SansMonEnfant. Vous me jugez lâche ? Soit. Sachez que je me fiche pas mal de ce que vous pensez de moi, mais je vais quand même vous expliquer pourquoi, dans les conditions actuelles, je m'autorise à l'être
Il y en a qui, petits déjà, ou plus tard, rêvaient de sauver des vies. Ils s’imaginaient le stéthoscope autour du cou et porter l’uniforme blanc, bleu ou vert chaque jour. Ceux-là ont fait médecine et certains ont prêté serment. Ils sont dans les hôpitaux
Il y en a qui, petits déjà, ou plus tard, rêvaient de défendre leur pays. Ils s’imaginaient l’arme au poing et porter l’uniforme kaki, bleu marine ou noir chaque jour. Ceux-là ont fait Saint-Cyr ou Chaumont et certains se sont engagés. Ils sont dans les casernes
Il y en a qui, petits peut-être, ou plus tard, rêvaient de servir un dieu et ses fidèles. Ils s’imaginaient prier et porter la soutane, le qamis ou l’éphod chaque jour. Ceux-là ont étudié les Évangiles, le Coran ou la Bible. Ils sont dans les églises, mosquées ou synagogues 
Ils rêvaient tous, à leur manière, d’une vie d’héroïsme et de sacrifices. Ils ont tous fait des études et ont choisi une vie en adéquation avec leurs aspirations en toute connaissance de cause et notamment, des sacrifices possibles à venir. Ce sont des héros. Gloire à eux
Et puis, il y a moi qui, petite déjà, et plus tard, rêvais de devenir maîtresse. Je m’imaginais le cartable en bandoulière et le stylo rouge à la main chaque jour. J’ai fait des études de lettres classiques et j’ai signé un contrat avec l'Etat. Je suis professeur de latin
J’ai pour mission de transmettre un savoir à mes élèves, de faire en sorte qu’ils grandissent et s’épanouissent, leur fournir quelques modestes pierres et contribuer à la construction de leur avenir d’adulte, les aider pour qu'ils puissent se tenir debout dans ce monde de cinglés
Tout au long de ma carrière, j’ai accepté que mon métier évolue et qu’il devienne polymorphe : je suis souvent, sans en avoir vraiment les compétences mais avec toute mon énergie, éducatrice, assistante sociale, psychologue, réparatrice de photocopieurs ou informaticienne
Mais je ne serai pas l’héroïne dont vous semblez avoir besoin. Je n’ouvrirai pas ma classe le #11mai sans garantie car mon devoir est là : responsable de la sécurité de mes élèves dès qu’ils sont dans ma classe, je dois veiller à ce qu’ils ne soient pas en danger
Le rôle de mon employeur, l’Etat, est de garantir ma sécurité et celle de mes élèves. Il est le garant de cette sécurité et doit me fournir les conditions matérielles et morales de cette sécurité. Pour l’instant, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il est aux abonnés absents
Je ne parle pas de communication. Là, il est irréprochablement présent. Trop. Je parle d’actes, de faits et gestes : l’état se doit de garantir la sécurité de tous ses personnels et quand on voit de quelle manière il a traité ses personnels soignants, il m’est permis d’en douter
Depuis le début de ma carrière, mon employeur ne m’a jamais garanti ne serai-ce que le matériel nécessaire à l’exercice de ma fonction. J’ai toujours tout acheté : fournitures de bureau, ordinateurs, imprimantes, encre, papier, matériels pour ma classe et mes élèves sans compter
Cette fois-ci, NON. Je n’achèterai ni ne fabriquerai de masques pour mes élèves ou moi-même. Non que je sois à quelques dépenses sanitaires près, (je fournis déjà les mouchoirs) mais je ne porterai pas la responsabilité et refuse de me sentir coupable en cas de contamination
Je ne rouvrirai pas ma classe, si il n’y a pas de SHA dans ma classe, si elle n’est pas régulièrement désinfectée, si mes élèves et moi-même n’avons pas de masques (l’un sans l’autre n’a pas de sens) et si la distanciation physique n’est pas garantie
Si l'Etat répond enfin présent, livre masques et GHA ou savon en quantité suffisante avant la reprise, s'il réussit enfin le miracle tant attendu de réduire les effectifs des classes alors je pourrai remplir la mission qui est la mienne et accueillir mes élèves en toute confiance
Sinon, tous les @PascalPraud et @ELevyCauseur, pouvez bien me traiter de lâche, tous les @JeudyBruno et @R_Bachelot pouvez bien vous indigner de ma décision, tous les chroniqueurs du dimanche et autres @MariestellPech me traiter de feignasse et participer à la vindicte populaire
Vous n'avez aucune leçon à donner à aucun de mes collègues enseignants, AESH, AED, personnels administratifs, d’entretien, de direction, de santé. Vous n’avez aucune leçon d’héroïsme à donner, vous qui êtes tranquillement assis à l’abri derrière vos bureaux de rédaction
Vous savez quoi ? Vous voulez des héros ? Allez-y le #11mai. Levez vos fesses de vos fauteuils. Vous êtes experts en médecine, allez dans les hôpitaux et experts en éducation, allez dans les écoles. Sans masques, sans casques, soyez des héros, de vrais correspondants de guerre
En attendant, lâchez-moi la grappe, laissez-moi faire mon boulot parce que la feignasse de prof que je suis, malgré les vacances, assure cette belle #continuitépédagogique que vous encensiez hier en même temps que le ministre mais que vous décriez aujourd’hui, comme lui
La suite ne vous concerne plus, elle s’adresse à tous les haters et autres trolls, les bouffeurs de profs que vous excitez avec vos déclarations quotidiennes. Ne perdez pas votre temps à vomir votre fiel et votre mépris ici, je vous bloquerai comme je ne l’ai encore jamais fait
La fin, je l’adresse à mes collègues, tous, où que vous soyez, ceux que je connais ici, ceux que je croise IRL, tous dont je connais la souffrance face à ce mépris public, médiatique, institutionnalisé : ne nous laissons pas atteindre. Soyons fiers de la mission qui est la nôtre
Nos élèves ont besoin d’adultes responsables, devant eux, à côté ou derrière leur écran et qui les accompagnent vers l’autonomie tout en les protégeant. Ils n’ont pas besoin que nous soyons leurs héros, ils ont besoin que leurs parents, grands-parents et profs restent VIVANTS.
