, 35 tweets, 5 min read
My Authors
Read all threads
⬇️ Beaucoup de bêtises sont racontées dans les médias sur la décroissance, par des économistes ou des éditorialistes. @timparrique, spécialiste du sujet, met les choses au point dans cet entretien passionnant. Les meilleurs passages dans ce fil.
bonpote.com/imaginer-lecon…
Cette adoration que nous portons au PIB est un problème à bien des égards. Pour commencer, la calculatrice du PIB n’a qu’une seule touche : un +.
Il n’y a donc pas de différence entre les activités désirables (installer des panneaux solaires, payer des médecins) et les activités néfastes (les coûts du nettoyage d’une marée noire, la vente d’antidépresseurs).
Et puis certaines formes de richesse ne sont pas comptabilisées ; c’est le cas des activités non-monétaires comme s’occuper des enfants, l’autoproduction, ou le bénévolat.
Si on voulait maximiser le PIB, il suffirait de se payer l’un l’autre pour garder nos enfants 24 heures sur 24 – c’est absurde, bien évidemment.
Le PIB fait aussi abstraction de la nature : l’arbre n’a de valeur que quand il est coupé et la disparition des abeilles booste le PIB car il faut les remplacer par des travailleurs.
Autre limite, le PIB ne nous dit rien sur les inégalités. Le PIB peut augmenter alors que la pauvreté s’aggrave si ce sont les hauts revenus qui s’enrichissent (c’est d’ailleurs le cas en France depuis 2006).
Pour résumer : le PIB nous dit à quelle vitesse roule l’économie mais pas où elle va. Le fétichisme du PIB, c’est de l’économie à la Fast and Furious – ça finit soit dans le mur (écologique), soit à la casse (sociale).
La croissance économique est limitée par trois aspects. Commençons par la limite écologique. L’économie a une réalité biophysique qui fait que toute production demande des matériaux et de l’énergie.
Une croissance infinie n’est pas possible dans un monde fini car plus on produit, plus on extrait et plus on pollue.
Certains parlent de « découplage » et de « croissance verte, » mais ce n’est qu’une hypothèse théorique sans confirmation empirique en dépit de plus de trois décennies d’expérimentation (d’où ma comparaison de la croissance verte avec le monstre du Loch Ness).
Le deuxième problème, c’est la « stagnation séculaire. » Les économies dites « développées » ont vu leurs taux de croissance ralentir depuis plusieurs décennies.
Problème : nous savons maintenant que la croissance ne réduit pas les inégalités ; le plus souvent, elle les augmente. Non seulement la croissance peut détruire des emplois (robotisation), mais il est tout à fait possible de créer des emplois sans croissance, par ex. avec la RTT.
Les études empiriques nous disent que la croissance fait le bonheur, mais seulement jusqu’à un certain seuil – un seuil qu’un pays comme la 🇫🇷 a largement dépassé. La croissance peut même se retourner contre le bien-être si elle engendre une dissolution des relations sociales.
En début de pandémie, avons-nous cherché à augmenter les interactions physiques en espérant découpler les câlins du risque de contagion ? Non, nous avons fait le choix du confinement : réduire les interactions physiques autant que possible.
Pourquoi agir différemment pour le changement climatique ? Disons-le clairement, nous avons besoin d’un confinement climatique, c’est-à-dire de réduire les activités polluantes autant que possible.
La décroissance veut dire réduire la production et la consommation pour limiter les dégâts sociaux et environnementaux. Plus précisément : c’est un ralentissement et un rétrécissement de la vie économique au nom de la soutenabilité, de la justice sociale, et du bien-être.
on parle de dé-croissance dans le sens d’une dé-croyance : abandonner l’idéologie de la croissance et sa vision matérialiste du progrès, celle qui dit que plus, c’est toujours mieux.
La décroissance, ce n’est pas seulement une critique du capitalisme, du productivisme, de l’extractivisme, du consumérisme, du néolibéralisme, et j’en passe ; c’est un désir pour une société frugale, conviviale, plus juste, démocratique, et en harmonie avec la nature.
Cette utopie, je préfère l’appeler postcroissance – l’idée d’une société où le bien-être ne dépend plus de la production matérielle.
L’économie, c’est un peu comme les lego : tout ce qui a été construit peut être déconstruit et reconstruit. L’économie est fondamentalement politique, c’est une invention humaine composée d’institutions sociales, par exemple les marchés, l’Etat, la monnaie.
Dès lors, cessons de croire que le capitalisme est l’horizon naturel de toutes les sociétés humaines.
la propriété, le travail, et la monnaie ; les trois institutions fondamentales de tout système économique. Dans l’idéal-type capitaliste, elles prennent la forme de la propriété privée, le travail salarié, et la monnaie à usage général.
Une transition vers la décroissance changerait profondément chacune de ces institutions.
Aujourd’hui, l’État emprunte sur les marchés parce qu’il ne peut pas créer sa propre monnaie ; cela engendre des coûts qui rendent la croissance nécessaire pour payer les intérêts de sa dette (en macroéconomie écologique, on appelle ça un impératif de croissance).
Ce système n’est pas adapté pour assurer le bon fonctionnement d’une économie stationnaire, et des changements structurels seraient nécessaires pour que l’État puisse accompagner la transition au lieu de résister.
C’est précisément parce que la décroissance est controversée qu’elle permet de créer de nouvelles discussions. Et puis cette résistance acharnée contre le concept n’est pas bégnine : détester la décroissance fait ressortir une certaine dévotion pour la croissance.
Les gens qui fustigent la décroissance pour son caractère soi-disant « anti-innovation » ne font pas la différence entre l’innovation et le progrès. Une innovation n’est pas forcément un progrès – pensons aux armes biologiques ou aux techniques de spam sur Internet.
Une innovation, c’est une nouvelle réponse à un problème. Mais le problème de qq’un peut être la solution de qq’un d’autre. Par exemple, les innovations en termes d’optimisation fiscale sont une solution pour les entreprises qui paient moins de taxe, mais un problème pour l’État.
Et puis l’innovation ne prend pas tout le temps la forme d’un produit à vendre. L’innovation sociale, par exemple, participe au progrès si elle permet de réduire la pauvreté, l’exclusion, et la pollution.
Les monnaies locales, les réseaux de partage d’objets, les coopératives, et bien d’autres, voilà le genre d’innovations que promeut la décroissance.
La décroissance, c’est se concentrer sur des problèmes qu’on veut résoudre (e.g. comment organiser la mobilité active) et pas les problèmes du capitalisme (e.g. comment repérer de nouveaux gisements de pétrole en Arctique).
la croissance verte est en fait l’équivalent économique du transhumanisme : une tentative d’échapper à la réalité biophysique.
Certes les niveaux de vie ont explosé en un siècle, du moins ici en France, mais l’amour de l’argent (que Keynes considérait comme une « morbidité répugnante ») est plus fort que jamais. C’est ce que j’appelle l’idéologie de la croissance.
Voilà pour ce fil. L’entretien est très abordable. Je le recommande donc, notamment à tous ceux qui ignorent totalement ce qu’est la décroissance mais en parlent pour la fustiger.
Missing some Tweet in this thread? You can try to force a refresh.

Keep Current with LucAl

Profile picture

Stay in touch and get notified when new unrolls are available from this author!

Read all threads

This Thread may be Removed Anytime!

Twitter may remove this content at anytime, convert it as a PDF, save and print for later use!

Try unrolling a thread yourself!

how to unroll video

1) Follow Thread Reader App on Twitter so you can easily mention us!

2) Go to a Twitter thread (series of Tweets by the same owner) and mention us with a keyword "unroll" @threadreaderapp unroll

You can practice here first or read more on our help page!

Follow Us on Twitter!

Did Thread Reader help you today?

Support us! We are indie developers!


This site is made by just two indie developers on a laptop doing marketing, support and development! Read more about the story.

Become a Premium Member ($3.00/month or $30.00/year) and get exclusive features!

Become Premium

Too expensive? Make a small donation by buying us coffee ($5) or help with server cost ($10)

Donate via Paypal Become our Patreon

Thank you for your support!