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Comme il est toujours bon de le rappeler, voici un thread sur comment les libraires choisissent les livres qui sont proposés sur les tables

(et ça me permet de mettre la petite flèche, là, qui fait toujours son petit effet)
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En préambule, je vais parler de ma situation à moi. Il y a des exceptions. Moi je suis spécialisé, ce qui fait que je vois passer 95% de la production et que je suis considéré "niveau 1" (donc je vois des représ). J'ai choisi aussi de bosser les nouveautés (offices)
Ce n'est pas le cas de toutes les librairies, certaines préférant se focaliser sur le fonds, et ne pas avoir cette pression côté éditeurs. A noter que c'est assez rare (les remises accordées sont bien plus faibles), et généralement plutôt le fait de petites structures
Petit rappel de la chaîne du livre:

L'éditeur accepte un projet et le fait imprimer
Le diffuseur (regroupe plusieurs éditeurs)est chargé de le proposer en librairie
Le distributeur (regroupe parfois plusieurs diffuseurs) les stocke et les fait acheminer par le transporteur (A/R)
Le libraire (ça, c'est moi) le met à la vente pour que le public l'achète. Voilà pour la simplification. Je vais donc parler des diffuseurs
La diffusion, c'est ce que dans le jargon nous appelons nos représ (représentant.e.s). Ce sont nos interlocuteurs principaux, qui font le lien avec les editeurs et les responsables commerciaux. C'est une vraie relation humaine qui s'installe,j'en connais depuis 15 ans, d'ailleurs
Les livres nous sont présentés grosso modo 2 à 3 mois avant leur sortie. La diffusion organise des présentations en interne dans lesquelles les editeurs, voire les auteurs, viennent parler des livres qu'ils devront vendre à leur tour. C'est une manière de tâter le terrain
Les projets ne sont généralement pas terminés (en Bd et jeunesse, tout du moins, en roman c'est différent), les livres ne sont pas accessibles, sauf quelques planches et le pitch/synopsis. Le but sera de nous répéter tous ces arguments lors de la vente
J'ai tout le temps des rdv, mais 90% de ce que je présente est diffusé par 5 structures (dont Delsol et Media, qui forment quasi 60% à eux 2). Un rdv Delsol peut durer jusque 4 heures (je suis bavard, mais quand meme), avec 300 références à montrer (2 mois de ventes).50 sec/livre
Tous les livres ne naissent pas libres et égaux, et il existe évidemment des enjeux commerciaux, sur lesquels on va passer plus de temps. Le destin d'un ouvrage peut se jouer sur 5 secondes, en fait, en fonction de ce qui a été donné à la base par les éditeurs
Il n'est pas rare qu'on me propose un livre avec juste le nom de l'auteur. Pas de pitch, pas de dessin, un vague projet de couverture, et débrouille toi avec ça 'ben heu je vais en prendre 1, pour voir?'. Ca, c'est jamais une phrase qu'un repré veut entendre.
Le libraire est libre de choisir les quantités qu'il souhaite. Après, c'est une relation commerciale, avec ce que ça implique comme négociations et comme terrain d'entente. La confiance joue pour beaucoup, aussi, et je peux me laisser convaincre par qqn qui ne me survend pas tout
Le gros avantage de la bd, c'est qu'il y a le dessin. Et le dessin permet une vraie premiere impression, bien plus intéressante qu'une simple 4eme de couverture. Je connais très bien ma clientèle et mes ventes moyennes, donc je vais rarement me planter.
L'important étant de ne pas être trop frileux et de savoir laisser sa chance à un titre quand il le mérite. De toute façon, le risque est minime, puisque nous pouvons renvoyer tout ce qui n'a pas été vendu (il s'agit juste d'un décalage de trésorerie)
Il y a un côté frustrant à voir que certains livres sont jetés en pâture, défendus par absolument personne (autre que l'éditeur en début de chaîne), avec une mise en place de quelques centaines d'exemplaires envoyés au casse-pipe
Mais on s'habitue assez vite (et cyniquement) à se focaliser sur ce qui semble intéressant et à faire l'impasse sur le superflu (je travaille un nombre de titres hallucinant avec le mot "confiné" dedans, par ex), tout en proposant un panel large de ce qui existe et peut plaire
Et donc là, depuis le déconfinement, je ne vois plus de représ. J'ai juste des fichiers Excel à remplir, seul devant mon ordi, sans mise en perspective, avec un pdf qui l'accompagne. C'est un gain de temps, mais c'est laborieux de remplir 1000 lignes par semaine
Moi je suis assez attentif à mes objectifs et à 'faire le chiffre' chez chaque diffuseur, donc je fais au mieux, mais la tentation est grande de juste prendre au minimum et de voir ce que ça donnera. Mais là où je prends 1ex, ptet j'en aurais pris 2 ou 3 avec une argumentation
ça parait peu, mais c'est ce qui fait la différence au niveau national entre une mise en place réussie et une mise en place foirée. Car il y a tellement de livres qui sortent, avec une durée de vie de 8 à 15 j, que s'ils ne sont pas visibles le jour J,ils ne le seront plus apres
Trop de libraires voient les commerciaux comme l'ennemi, celui qui veut "caser" le plus de livres possibles et détruire notre trésorerie. Alors que non. Moi ce sont mes meilleurs amis (façon Petits Malins, tourne le bouton, tout ça). Ils ont un boulot de dingue et tjs à l 'ecoute
j'en connais qui doivent gérer plus de 100 librairies à la fois, à répéter les mêmes pitchs, prendre les mêmes routes, répondre à des mails à n'importe quelle heure, gérer les râleurs (le libraire râle beaucoup), parce qu'ils sont en première ligne
Je dois avoir une douzaine de diffuseurs en tout, pour 5 000 sorties par an. Chez les generalistes, c'est plutot une cinquantaine, pour 60 000 sorties. C'est plus la même choucroute. Le principe est le même, mais les impasses bien plus nombreuses, et les rdv plus courts
Pendant le confinement, de nombreux éditeurs appelaient justement à une réflexion autour de ce système, pour que les livres ne soient plus montrés en 30 secondes, mais que chacun puisse être défendu à se juste valeur (on peut présenter un livre en temps négatif?)
mais bon, ça je n'y crois pas trop, certaines mauvaises habitudes sont dures à briser
Je tiens à préciser que le mode de travail tend à changer. On reçoit de plus en plus souvent les livres en amont, par exemple, et les diffuseurs accordent des préférences de paiement (à 120 jours par ex) pour nous aider à faire des piles. Ca permet de prendre 6 mois de vente.
Les editeurs ont de plus en plus compris qu'il ne suffit plus de juste mettre des petites piles de livres à droite à gauche, et que rémunérer les commerciaux à la mise en place était contre productif. Il y a une vraie amélioration des relations depuis 5 ou 6 ans
Quand j'ai commencé, en 2006, il n'était pas rare qu'un commercial me dise bon, tu as vendu 50 ex du dernier Lanfeust, mon objectif c'est de t'en caser 70 du prochain.

Heu...oui mais non
Allez, un dernier chiffre pour finir:

le taux de retour moyen de la profession se situe autour de 22 % (plutot 25/27% chez les spé). Autrement dit, près d'un livre sur 4 ne se vend pas et est renvoyé, parfois pour être directement détruit.

Mais ça c'est une moyenne
Sur la nouveauté (ce qu'on appelle l'office), on se situe plutôt entre 40 et 70% de taux de retour.

Il n'est pas facile de se faire une place sur les tables
Le prob de ce système étant évidemment une uniformisation de l'offre. Je tente de me différencier, mais il faut que je mette en avant des choses qui vont se vendre, en fonction de ma clientèle. Il y a tellement de choix, que je sais que je vais vendre, de tt façon
mais je n'ai pas la place physique pour mettre en avant des choses plus 'en marge', car elles ne concernent que 1% des lecteurs. Je le fais de temps à autres, en créant des tables thématiques (l'été notamment), mais c'est pas ideal.
Ah, et rien n'empêche un commercial de décider arbitrairement de m'envoyer bien plus d'exemplaires que ce que je souhaitais (ça s'appelle la fourchette, dans le jargon).

Il n'y a rien que je déteste plus au monde (le racisme, la faim dans le monde, c'est de la rigolade à coté)
C'est une méthode qui a quasiment disparu des radars, et tant mieux. Car on s'en rend toujours compte à un moment ou un autre. J'ai beau commander 4 000 nouveautés par an, si j'en reçois 6ex au lieu de 4, une alarme sonnera dans ma tête. Il y a une logique dans mes quantités
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