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[THREAD] Je suis sincèrement désolé, mais il y a un gros problème avec les « résultats » présentés dans cette nouvelle enquête publiée par la Fondation Jean Jaurès.
Plusieurs points sont éminemment critiquables pour tout∙e chercheur∙se ayant travaillé un tant soit peu sérieusement ce sujet. #complotisme #antimasque
Disclaimer 1 : je ne connais pas l’auteur de cette enquête et je n’ai rien contre lui. Le gros problème c’est la Fondation @j_jaures et le ramdam médiatique qu’ils déclenchent à répétition avec des « enquêtes » mal ficelées, au mieux approximatives sur le "complotisme".
Disclaimer 2 : je suis convaincu depuis plusieurs années que la défiance de franges croissantes du grand public envers les savoirs institués et leurs producteurs (État, scientifiques, médias) est un phénomène important, parfois inquiétant, qui mérite qu’on s’y penche sérieusement
Là n’est donc pas le problème : nous coordonnons un numéro spécial de @journal_reset sur ces nouvelles formes de scepticisme avec @isiles et @HenriBoullier, avec des vraies enquêtes de fond dedans (sortie prévue début 2021 pour celleux que ça intéresse).
Disclaimer 3 : je suis moi-même pour le port du masque en public, n’ai aucun problème avec les consignes de distanciation sociale. Si je critique cette étude, ça n’est donc pas parce qu’elle heurterait mes convictions.
Ce qui pose problème ici est la méthode suivie. Là encore, on peut bien sûr mesurer des formes d’opinion extrêmement intéressantes via les médias sociaux et notamment les groupes Facebook. Sauf que pour ça, il existe des méthodes, documentées dans une abondante littérature.
On peut faire une analyse qualitative des publications, en identifiant les types d’arguments échangés, les acteurs concernés, la dynamique générale des échanges, comme si on observait in situ les discussions des internautes.
Dans ce cas, on devrait avoir des citations, des captures d’écran, des récits et des typologies de ce que se racontent les participants.
On peut aussi faire des analyses plus ou moins automatisée des textes produits, sur un mode plus quantitatif, avec des outils de lexicométrie, d’analyse de sentiment, de word embedding, ce qu’on voudra, pour identifier les expressions significatives, les sujets marquants, etc.
On peut enfin quitter le domaine de Facebook, et faire des enquêtes statistiques à grande échelle, par sondages, avec un questionnaire et un échantillon rigoureusement construits.
Là c’est le jackpot : on n’a aucun des trois. On a un questionnaire auto-administré à une population dont on ne sait rien par ailleurs, avec donc aucun moyen de redresser l’échantillon, et zéro représentativité au final.
Ce qui est écrit ici ferait rigoler n’importe quel évaluateur d’une revue un peu sérieuse sur le sujet :
Quelle « ampleur » ? 1000 personnes auto-désignées, qui sont donc logiquement parmi les plus véhémentes dans ces groupes ? Sacrément big data, dites-donc. Et qu’est-ce qui nous permet d’en faire des « leaders d’opinion » dans leurs familles et amis ?
Quel accès « qualitatif » aux « arguments » échangés par les internautes quand tout le papier est construit sur des questions fermées ?
Ce type d’échantillon est nul et non avenu. Dire que « ça n’est pas-représentatif-mais-quand-même », ça marche si vous êtes sur une étude qualitative (qui aurait été très intéressante). Dire 'je ne suis pas représentatif', et envoyer des pourcentages derrière, n'a pas de valeur.
Cette façon de faire, c’est justement du Didier Raoult. C’est dire : je n’ai suivi aucune procédure méthodologique sérieuse, mais regardez quand même ces résultats passionnants. Eh bien non : ce ne sont pas des résultats. C’est au mieux de l’anecdote, sinon du micro-trottoir.
Et c’est là l’autre problème de ce machin : jouer tambours et trompettes pour un truc qui aurait dû ou pu rester groupusculaire. OK, on a quelques « dizaines de milliers de personne » qui ont cliqué « j’aime » sur ces groupes.
Déjà, parmi ces personnes, toutes les études de communautés en ligne nous montrent des différentiels d’investissement énormes dans ce genre de groupes, entre une minorité ultra active et convaincue, et une longue traine de gens plus ou moins suiveurs, plus ou moins distraits.
Ensuite, quand bien même : quel est le poids de ce genre de groupes à l’échelle de la population ? Epsilon. 100 000 personnes likent ? 20 000 personnes manifestent contre le masque (à Berlin, by the way, pas en France où se trouvent ces groupes FB) ? La belle affaire.
J’aimerais qu’on parle autant des manifs à 20 000 personnes quand il s’agit de défendre l’enseignement ou l’hôpital public, tiens. Là, on met juste un énorme coup de projecteur gratos à ces groupes.
Bonus : on rejoue pour la 1000e fois une scène où des médias mainstream disent à des gens qui détestent les médias mainstream que ces gens ont tort, voire qu’ils sont dangereux.
Donc : on en fait des caisses, on exagère l’ampleur du phénomène, et on en fait de façon auto-réalisatrice un élément de l’agenda public. C’est toujours la même myopie de nombre d’« experts médiatiques » envers ce qui se passe sur les réseaux sociaux.
C'est toujours le même manque de perspective sur ce que sont les métriques du web social : 10 000 personnes, 100 000 personnes qui likent un truc, ça n’est pas grand chose. Et oui.
Qu’est-ce que tout ça produit au final ? On joue à se faire peur, on crie au loup, on endosse la cape de l’entrepreneur de morale, on se fait de la visibilité médiatique à peu de frais sur le dos d’une population qu’il est avantageux de décrire comme, au choix, inculte ou facho.
À aucun moment on ne se demande pourquoi les gens n’ont pas confiance dans leurs autorités, ce qu’ils leur reprochent, d’où vient ce phénomène historiquement, ni même ce qu’ils disent vraiment.
Ce genre d’études ne vise qu’à taper un grand coup médiatique, et renforce (même sans le vouloir) les postures de part et d’autre.
Elle crée les conditions pour que n’importe quel charlatan un peu grande gueule, de type Bigard ou Raoult, puisse s’ériger en leader victimaire et agglomérer la colère des gens.
Pour finir, c’est pas comme s’il existait des dizaines de chercheur∙se∙s sérieux∙ses sur le numérique qui mènent des enquêtes de fond sur ces sujets, et nous permettraient de comprendre ce qui se joue quand des gens discutent en ligne sur l’intérêt de mettre ce fichu masque.
/Fin.
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