Je vais faire un peu ma politiste de base.
Souvent, dans les salons mondains, on me pose la question sur la Russie ou la Biélorussie ou l'URSS: "Mais pourquoi le gentil peuple ne s'est-il pas révolté contre le méchant dictateur?"
C'est généralement là que je commence à boire. ⬇️
La Biélorussie aujourd'hui pose à la science politique nourrie d'exemples occidentaux une colle que mes interlocuteurs mondains auraient peine à imaginer: le peuple descend dans la rue contre le méchant dictateur, en masse et durablement... et lui ne bouge pas d'un poil. ➡️
Comment cet enlisement est-il possible? Je vais essayer de détailler sommairement quelques éléments explicatifs. C'est une ébauche très incomplète, bien entendu. ➡️
1. L'Etat est plutôt robuste en Biélorussie. Les institutions étatiques sont structurées, stables, inscrites dans une hiérarchie, réparties sur le territoire. Il est plus difficile de faire s'effondrer un tel système que dans un Etat vacillant et privatisé. ➡️
2. Le système politique à allégeance strictement verticale ne semble pas avoir donné naissance à des figures politiques qui pourraient être des acteurs de compromis, des "successeurs" acceptables aux yeux du pouvoir. Les élites ne voient pas vers qui reporter leur allégeance. ➡️
3. Même si je suis certaine que dans les élites, beaucoup souhaitent le départ du vieux, ils n'arrivent pas à se représenter un scénario post-Loukachenko. Ce qu'ils voient, c'est l'effondrement pour eux et pour le système, mais le projet politique de l'après est flou. ➡️
De fait, le projet pol est flou et c'est logique à cette étape. Instauration d'institutions démocratiques? Ca ne fait rêver que ceux qui ne savent pas ce que ça a donné chez les voisins: appropriation des institutions politiques par des groupes qui les vident de leur sens ➡️
Or, les élites peuvent se poser plein de questions sur la transition: lustration ou pas? privatisations ou pas? démantèlement de l'appareil d'Etat (leur lieu de travail) ou pas? Plus on avance, plus la colère des citoyens grandit, et plus le grand coup de balai est probable. ➡️
4. Chez les élites de niveau intermédiaire, il y a une double peur: a) celle de la répression si elles s'opposent b) celle de la destruction de leurs institutions par le pouvoir ancien (répression) ou nouveau (table rase). Les Biélorusses sont protecteurs de leurs institutions.➡️
5. Je pense que nous passons complètement à côté de tous les signes de résistance passive qu'il y a aujourd'hui dans les élites. Le choix de l'intensité de la répression, on l'attribue à Loukachenko uniquement, alors qu'il y a des dynamiques institutionnelles derrière. ➡️
6. Dernier élément: du fait du système politique, la population n'a pas beaucoup de canaux pour communiquer avec les élites autres que le président. D'où le choix (très malin) d'activer l'institution des députés. On devrait suivre ça de plus près. A suivre... mais pas aujourd'hui
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1,05 millions de personnes ont été mobilisées et servent aujourd'hui dans l'armée ukrainienne, a affirmé hier Oleksandr Litvinenko, secrétaire du Conseil de défense et de sécurité nationale d'Ukraine (institution relevant directement du président). 1/14 youtube.com/live/Z7ggedTKv…
Il n'est pas clair dans son allocution s'il s'agit de l'effectif des forces armées sur le front (mobilisés + contractuels) ou seulement de l'effectif des mobilisés. Supposons que c'est la première option: l'effectif total des forces sur le front.
2/14
Les statistiques officielles chiffrent à 11,5 millions le nombre d'hommes ukrainiens de 18 à 60 ans, à la veille de l'invasion russe.
L'armée compte aussi des femmes, mais on parle de quelques dizaines de milliers, faisons le calcul sans elles. 3/14stat.gov.ua/uk/datasets/ch…
Ne pas lire cet article superficiellement (comme un témoignage de défaitisme des Ukrainiens).
Avec une guerre qui s'installe dans la durée et les ressources qui arrivent au compte-gouttes, la question de l'engagement combattant change de nature. 1/10 lemonde.fr/international/…
Il ne s'agit plus de mobiliser toutes les ressources disponibles sur un temps court pour repousser l'ennemi en un mouvement. Il faut à la fois continuer à combattre sur le front, et continuer à vivre et faire marcher le pays à l'arrière. Ce qui génère une tension prévisible. 2/10
La mobilisation ou l'engagement volontaire qui ne prévoient pas de démobilisation avant la fin de la guerre génèrent un fort sentiment d'injustice. Il est inacceptable aux Ukrainiens de partir combattre avec leur mort comme seul horizon temporel, alors que d'autres... 3/10
Le drapeau rouge et noir, initialement celui du mouvement nationaliste ukrainien, a été endossé par le bataillon Pravy Sektor dès 2014. Ce bataillon a servi de figure de repoussoir aux médias russes (avant qu’Azov ne prenne sa place). Dans les faits, … 1/
… Pravy Sektor a été très divers dans son recrutement (j’ai fait plusieurs entretiens avec ses membres a l’époque), avec certaines branches assez idéologisées et d’autres pas du tout; des ukrainophones et russophones mélangés, et même une « unité juive » au sein du bataillon.2/
Des parties du bataillon sont désormais intégrées à l’armée, mais l’attachement au drapeau est bien là, ce qui explique sa présence sur les tombes des combattants de PS.
L’ancien drapeau nationaliste est donc bien relégitimé, tout comme le sont certains slogans. 3/
La ville de Lviv est loin de la zone de front. A peu près aussi loin qu’on puisse l’être en Ukraine. Mais tous les jours - tous les jours! - dans cette ville, on dit adieu sur la place centrale à un ou plusieurs combattants tués au front. 1/
Sur la place centrale - Ploscha Rynok - , des panneaux annoncent qui sera inhumé ce jour-là, avec une biographie du soldat. Une cérémonie a lieu dans l’église à côté, liée à l’armée et devenue un lieu de commémoration, avec de grandes affiches énumérant les victimes. 2/
En fin de matinée, le centre-ville s’arrête pour quelques minutes. Le cortège funéraire marque l’arrêt devant l’hôtel de ville, les passants se mettent à genoux, les serveurs sortent des cafés, et le trompettiste joue un hymne à l’honneur des combattants défunts. 3/
Une nlle mobilisation à venir en Russie?
Cet article est une bonne synthèse.
J'y ajouterais la question de l'envoi de jeunes conscrits au combat.
Contrairement à ce que l'on pense souvent, la législation permet à l'Etat russe d'envoyer des conscrits...1/7 theins.ru/en/politics/27…
... au combat. Sans aucun décret ni aménagement supplémentaire nécessaire.
Ne pas envoyer ouvertement en Ukraine les 260 000 jeunes hommes annuellement appelés sous les drapeaux est un choix purement politique, car le pouvoir connaît l'extrême sensibilité de la question. 2/7
Par exemple, cette enquête de Russian Field (mai-juin 2024) montre que 82% des Russes interrogés jugent inacceptable la participation de conscrits à la guerre. (Alors même qu'ils sont 57% à soutenir l'idée d'une seconde vague de mobilisation.) 3/7
Ces derniers temps, on entend à nouveau la petite musique de "plus d'Ukrainiens sont prêts à négocier avec les Russes"; "les Ukrainiens sont fatigués".
Ne transformons pas une description des évolutions de la société ukrainienne en désinformation. 1/
Les enquêtes donnent des chiffres différents d'Ukr en faveur de discussions avec la Ru.
L'enquête de Democratic Initiatives /Razumkov de juin 2024 évalue à 20% le nombre d'Ukrainiens qui sont prêts à DISCUTER avec la Ru sans conditions préalables. 2/ dif.org.ua/en/article/war…
(Le terme ukrainien "переговори" me semble être très imparfaitement traduit par "négociations". "Pourparlers de paix" me semble plus juste.)
La moitié des Ukr interrogés posent des conditions à ces discussions. 18% pensent qu'on ne peut pas du tout discuter avec la Russie. 3/