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Sep 14, 2020 29 tweets 5 min read Read on X
Très bon épisode d'@OLGuillemets qui va me permettre de parler de mon sujet de mémoire de M2, à savoir : la notion de "post-vérité" (post-truth) dans le débat publique aux États-Unis
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(Oui c’est juste un mémoire de M2 et non une thèse, mais j’ai pu faire quelques observations qui me semblent pertinentes pour comprendre ce qui se joue dans le débat publique français en ce moment)
La problématique de mon mémoire étant : la post-vérité est-elle une notion utile et pertinente en philosophie politique ? Ou est-elle un phénomène médiatique sans réelle consistance théorique ? (Spoiler : c’est la réponse 2, mais on va développer)
Qu’est-ce que la post-vérité ? L’un des intervenant du plateau de CNews présenté dans cet épisode nous en fournit une définition très efficace : « et si on arrêtait de parler des chiffres et qu’on s’attachait au ressenti des français ? »
Cette notion nous vient du monde anglo-saxon. L’Oxford dictionnary la définit comme une situation où les faits sont laissés de côté au profit des émotions et aux opinions personnelles dans le débat publique : languages.oup.com/word-of-the-ye…
Ce prestigieux dictionnaire a désigné « post-truth » mot de l’année 2016, et a noté une utilisation accrue de l’expression « post-truth politics », à comprendre comme la volonté affichée d’une partie de la classe politique d’ignorer les faits, voire de les contredire
Sans surprise, en étudiant la courbe, on remarque que les deux pics d'utilisation correspondent à deux faits politiques majeurs de 2016 : le référendum sur le Brexit en juin et la campagne présidentielle américaine qui s’est terminée par l’élection de Donald Trump en novembre
En effet, Trump apparait comme l’avatar parfait de la post-vérité. Ses sorties hallucinantes sur les mexicains, les vaccins, les éoliennes et autre ont forgé l’image qu’on s’est faite de lui : à savoir un idiot et un bouffon
Les penseur.euses qui s’intéressent à la question de la post-vérité (on peut citer Ralph Keyes, Matthew Norman, Matthew d’Acona, Morizio Ferraris…) en font le symptôme d'un monde qui s’affranchirit de la vérité dans le débat publique, et dans la vie en général
Il est intéressant de s’intéresser aux personnes qui alimentent cette notion : la post-vérité a été mentionnée pour la première fois en 1992 par un journaliste américain, Steve Tesich, qui voulait dénoncer les mensonges du gouvernement américain sur la guerre en Irak
Depuis, la plupart des personnes qui alimentent cette notion sont des journalistes anglo-saxon, qui se situent politiquement au centre-gauche comme Franklin Foer, jusqu’au centre-droit, voire la droite conservatrice classique, comme Matthew d’Acona
On notera que très peu d’universitaires, qu’ils soient sociologues, spécialistes de sciences politiques ou des medias accréditent cette thèse, ce qui est déjà mauvais signe
Parmi ces éléments qui viennent nourrir la thèse de la post-vérité, le principal serait le rôle qu’ont joué les réseaux sociaux dans la diffusion massive de fake news qui auraient permis le vote du Brexit et l’élection de Donald Trump
Mais la post-vérité ne s’accompagne pas d’une critique du système médiatique, qui pourtant pourrait être une clé d’explication quant à l’émergence de figures politiques comme Trump, ni du fonctionnement de la circulation de l’information sur les RS
Et elle n’a pas intérêt à le faire, puisqu’une récente étude d’Allcott et Gentzkow a démontré que les fake news n’ont en réalité que peu d’effet sur la prise de décision du corps électoral au moment du vote : aeaweb.org/articles?id=10…
La seule réponse que les média peuvent apporter pour s’opposer à la post-vérité, c’est le fact-checking, qui est une pratique certes nécessaire, mais laborieuse et limitée
En effet, c’est une pratique peu efficace qui ne prend en compte que des faits isolés qu’il s’agit de vérifier sans interroger le discours en général
Cette critique des réseaux sociaux s’accompagne en général d’une dénonciation du « populisme ». Avec les réseaux sociaux, la communication va plus vite et s’affranchit du circuit médiatique traditionnnel, permettant ainsi de flatter directement les bas instincts de la population
Pire, le point de vue de n’importe quel utilisateur.rice du réseau aurait autant de poids (voire plus !) que celui d’un vrai journaliste !
On remarque très vite que la post-vérité, au départ censée dénoncer les mensonges d’une partie de la classe politique, se transforme très vite en critique de « la foule haineuse »
Les responsables ne seraient plus Boris Johnson ou Donald Trump, qui deviennent des symptômes ; le problème devient la société elle-même. Comprenez, les gens sont des cons
Cette dérive idéologique est montrée du doigt par François-Bernard Huygues, politologue français et président de l’OSI (Observatoire de Stratégique de l’Information) dans son ouvrage « Fake-News, la grande peur »
Autre problème de la post-vérité : en dénonçant le « populisme », ses théoriciens s’abstiennent de latéraliser le débat. On ne dénonce plus le racisme, le sexisme ou l’homophobie de Trump, ni même son agenda politique, mais son populisme
Ce qui est très pratique puisqu’on peut ranger dans le même sac du populisme toutes les personnalités politiques qui nous font peur, comme Trump et Sanders, sans s’interroger sur leurs différences idéologiques
En clair, la théorie de la post-vérité dépolitise le débat
Dans ma conclusion, je rejoignais Arnaud Mercier qui avance l’hypothèse que la notion de post-vérité a émergé dans un pays qui entretient un rapport particulier à la vérité, où le président jure sur la Bible au moment de sa prise de fonction
Cette notion est plus révélatrice d’un malaise culturel quant à l’émergence de figures d’extrême droite au discours décomplexé qu’autre chose, et ne constitue pas une analyse pertinente ni une parade politique efficace
D’ailleurs, la notion s’est très peu exportée en France. La preuve, dans @OLGuillemets, elle n’est jamais mentionnée alors qu’elle pourrait apparaître comme une solution de facilité pour expliquer l’état du débat public en France
Et ce, alors même que la mutation du monde médiatique français avec l'émergence de plateformes d'ED comme CNews semble assez similaire à celle qu’a subi les USA la veille de l’élection de Trump

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