Un article publié en mai dernier affine la probable généalogie de la pastèque. Les autrices et auteurs donnent un éclairage très juste sur l'intérêt de se pencher sur les mécanismes de domestication des espèces cultivées et
comment ces informations peuvent enrichir la création variétale. Ce n'est pas un concept nouveau et c'est ici un exemple parlant
Identifier les phénomènes de domestication n'est pas pour autant chose aisée parce que différents événements peuvent brouiller les pistes comme l'extinction ou l'hybridation.
De plus il est parfois difficile de distinguer une forme ancestrale sauvage d'une forme issue de féralisation (domestication puis retour vers l’état sauvage)
L'origine de la pastèque (Citrullus lanatus subsp. vulgaris) dont on consomme le fruit a été l'objet de controverse depuis presque 100 ans. En effet plusieurs scénarios se disputent la zone de domestication.
Les hypothèses partagent l'Afrique comme continent d'origine. Jusqu'en 2013 l'hypothèse favorisée était une origine du Sud de l'Afrique avec Citrullus amarus (citron Melon en anglais) comme progéniteur.
Il s'est avéré que c'était une fausse piste due a une "simple" erreur taxonomique de 1930. Les 1773 échantillons issus d'une collection de Cape Town ont été analysés et aucun ne s'est avéré comme proche de la pastèque cultivée !
Depuis 2015, malgré des échantillonnages limités, l'hypothèse d'une domestication dans les régions d'Afrique du Nord Est , notamment le Soudan, semble être la plus crédible.
Le genre Citrullus comporte en plus de la pastèque, 6 espèces dont toutes les espèces sauvages ont la chair blanche et ne peuvent être consommées crues à cause de la présence de molécules donnant un fort gout amer : les cucurbitacines.
Seul C. mucosospermus possède parfois des fruits non amers. L'étude de 2021 en question, par une approche de séquençage de génomes de 9 espèces/sous espèces (sauvages et cultivées) a permis de reconstitué l'origine de la pastèque cultivée.
En utilisant les ressources disponibles dans les collections, il s'est avéré que le parent le plus proche de la pastèque cultivée est le "melon de Kordofan" (Citrullus lanatus subsp. cordophanus) cultivé encore aujourd'hui dans le sud du Soudan (région proche du Darfour)
C'est une plante donnant des fruits relativement petits (10 cm de diamètre), a la chair blanche et contenant beaucoup de pépins.
Les analyses ont permis également de montrer qu'un brassage génétique non négligeable a eu lieu probablement il y a 5500-14800 ans entre C. mucosospermus, C. lanatus subsp. cordophanus et C. lanatus subsp. vulgaris grâce a la proximité entre les populations sauvages et cultivées
Les traces historiques :
On dispose de plusieurs iconographies Egyptiennes qui attestent de la consommation d'un fruit ressemblant à la pastèque.
La tombe de Khnoumhotep non loin du site de la nécropole de Saqqara, datant d'environ -2400 AvJC.
On y voit sur le mur nord de la salle d'offrande, un fruit oblong avec des rayures vert foncé.
Il y a également une tombe à Mir (au nord ouest d'Assiout) qui présente un fruit similaire (encart C dans l'image) et dont la fresque est datée de la même période
La 3e représentation est celle d'un fruit globuleux avec des rayures dans un papyrus de la 21e dynastie qui daterait environ de -1069 / -945 qui pourrait être une forme sauvage de C.lanatus.
Les autrices & auteurs considèrent que la forme et les dimensions relatives par rapport aux feuilles rappellent les photos de melons de Kordofan obtenues par le botaniste David Ter-Avanesyan au Centre Vavilov de Tachkent (Ouzbékistan)
après avoir fait pousser des graines issues de la région de Kordofan au Soudan.
Les fruits obtenus au Centre Vavilov de Tachkent, avaient un diamètre d'environ 20cm, la chair blanche sans amertume ! David Ter-Avanesyan accompagné de sa collègue Tatjana Borisovna Fursa ont considéré que ces plantes pouvaient
représenter les progéniteurs des pastèques actuelles et les ont nommé C. lanatus subsp. cordophanus.
Ces travaux précurseurs des années 1960 sont désormais validés par les analyses moléculaires des génomes.
Analyses qui permettent d'aller plus loin dans la description des potentiels mécanismes a l'oeuvre lors de la domestication :
L'amertume :
Chez les Cucurbitacées, l'amertume des fruits est provoquée par des molécules appelées cucurbitacines. La voie de biosynthèse de ces composés débute par la transformation d'un oxidosqualene par une enzyme codée par le gène Bi
Cette étape clé détermine a elle seule l'amertume d'un fruit (liée aux cucurbitacines)
La "force" de l'expression de ce gene Bi est sous le contrôle de 2 autres gènes : Bl dans les feuilles et Bt dans les fruits.
L'étude de ce gene Bt chez le concombre, le melon et la pastèque a montré que la domestication de ces espèces a fruits non amers était systématiquement lié a une mutation dans le gene Bt (codon stop) qui provoque la synthèse d'une protéine tronquée non fonctionnelle.
Cette mutation dans le gene Bt a pour effet que le contrôle de la "force" de l'expression du gene Bi est interrompu aboutissant a une diminution drastique de la synthèse de cucurbitacines. Ainsi les fruits obtenus dans ces lignées ont perdus leur amertume.
Les autrices et auteurs ont donc regardé dans la généalogie des citrullus quels étaient les statuts des gènes Bt.
Iels ont pu montrer que tout comme la pastèque moderne , le melon de Kordofan partage cette mutation aboutissant a une protéine Bt non fonctionnelle.
Le statut intermédiaire vis a vis de l'amertume des fruits que l'on retrouve chez C. mucosospermus est ici confirmé par l'analyse moléculaire avec un mélange de lignées portant ou non cette mutation.
Ces résultats suggèrent que la perte de l'amertume est apparue chez un ancêtre commun de la pastèque et de melon de Kordofan alors que cette perte est variable chez C. mucosospermus
Ceci tend a prouver que la perte de l'amertume n'est pas tant une caractéristique de domestication en tant que telle mais plutôt un "prérequis".
Les anciens cultivateurs ont probablement prélevé dans les populations sauvages puis mis en culture des graines issues de plantes dont les fruits n'étaient pas amers.
2e caractère sue lequel on peut identifier les mécanismes a l'oeuvre lors de la domestication :
La couleur de la pulpe
La couleur de la chair chez la pastèque est due à l'accumulation de lycopene. Cette molécule est celle qui donne la couleur rouge également à la tomate par exemple.
Cette accumulation est due à l'absence de transformation de ce lycopene en b-carotene. Cette transformation est réalisée par l'enzyme LCYB.
Chez les pastèques modernes on retrouve une mutation dans le gene lcyb qui donne lieu a une version non stable de l'enzyme LCYB ce qui entraine une accumulation de lycopene.
Les analyses moléculaires des gènes lcyb dans la généalogie des Citrullus ont montré que toutes les espèces à part la pastèque possèdent une version stable de l'enzyme LCYB y compris le melon de Kordofan qui a une pulpe verdâtre.
Ces résultats suggèrent que la couleur rouge de la pulpe est bien le résultat d'une sélection lors des étapes précoces de domestication.
Je passe sur les variants structuraux qui identifient les zones du génomes ou la pression de sélection liée à la domestication a probablement façonné le génome de la pastèque (parce qu'il faudrait presque un fil uniquement sur ce sujet).
Les autrices et auteurs montrent notamment que la domestication ainsi que la sélection qui en a suivi ont eu tendance a fixer des allèles de sensibilité aux maladies.
Iels suggèrent également que l'utilisation de l'édition du génome par CRISPR pourrait être une perspective pour réintroduire de la diversité chez la pastèque moderne.
Je vous avais promis un bonus alors c'est parti :
Spoiler
La fin de ce fil est issu d'un preprint ... alors prudence
Lors de fouilles près de Luxor au 19e siècle , il a été découvert un sarcophage au nom du prêtre Nebseni avec une momie (identifiée comme "Homme Inconnu C") recouverte de feuilles de Citrullus.
Les techniques d'embaumement ainsi que le type de sarcophage suggèrent que les feuilles de Citrullus date de -1520 environ.
Ce preprint décrit les résultats du séquençage du génome de ces feuilles de Citrullus ainsi que les analyses comparatives dans la généalogie déjà présentée.
Les échantillons de feuilles vieilles de +3500 ans ont apparemment conservés de l'ADN en qualité suffisante pour réaliser des analyses poussées sur les gènes liés a l'amertume et a la couleur de la pulpe.
L'échantillon "prêtre Nebseni" semble être issu d'une plante tres proche des pastèques moderne permettant de le positionner sur la généalogie existante. Ceci indiquerait que les plantes de cette région a cette époque représentent des pastèques cultivées
Afin d'affiner le timing de domestication pour les Citrullus, des analyses sur les versions du gene Bt ont permis de montrer que l'échantillon "prêtre Nebseni" est probablement issu d'une plante produisant des fruits non amers
(je ne commenterai pas les différences dans les figures, apparents il y a des duplications de gènes) comme attendu d'après sa position par rapport au melon de Kordofan
Et une analyse similaire sur la couleur de la pulpe : L'échantillon "prêtre Nebseni" semble provenir d'une plante produisant des fruits a pulpe rouge !
Ces résultats indiquent que les égyptiens cultivaient déjà des pastèques à la pulpe rouge et au gout non amer il y a 3500 ans (données factuelles cohérentes avec les fresques datant de 4500 ans) et permet de proposer le modèle suivant
La domestication de la pastèque est meme probablement encore plus ancienne, en tout cas des graines vieilles de 5000 à 8500 ans trouvées sur le site de l’abri sous roche de Uan Muhuggiag dans le sud ouest de la Libye sont en cours de séquençage et d'analyses.
Vous retrouverez toutes ces infos dans cette video
La découverte de chromosomes surnuméraires en 1907 chez la Punaise américaine de la Floride (Acanthocephala terminalis) est confirmée en 1915 chez le maïs. Il seront nommés chromosomes B en 1928 lors de travaux également chez le maïs.
Les chromosomes B sont présents chez de nombreuses espèces, comme les champignons (environ 10 espèces recensées) , les animaux (environ 500 espèces recensées) et les plantes (environ 1400 espèces recensées).
Bravo a toutes et a tous, les 4 réponses étaient valables, en effet cette nouvelle publication permet d'apporter un nouvel éclairage sur la domestication et la sélection de la carotte
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L'article publié cette année permet de préciser les mécanismes de domestication et de création de variétés cultivées
Je ne m'étendrai pas sur la partie qui parle de l'assemblage & l'annotation d'un génome de référence de qualité supérieure à ce qui était disponible jusque là
1- Identification de la structure des populations de carotte
Les autrices et auteurs ont séquencé 630 génomes issus de
- 95 carottes sauvages
- 533 variétés cultivées (cultivar et variétés de pays)
- 2 espèces apparentées : Daucus syrticus et Daucus sahariensis
La fécondation à l’intérieur d’une fleur fermée est appelée la cléistogamie, elle reste minoritaire dans le monde végétal où la chasmogamie (fécondation d’une fleur plus ou moins ouverte) reste la règle, mais est observée dans de nombreuses familles suggérant un avantage sélectif
Chez la violette odorante on observe ainsi 2 types de fleurs :
les fleurs ouvertes qui sont bien visibles et de couleur très caractéristique
L'agave bleu (Agave tequilana / Agave angustifolia ssp. tequilana cv azul Web) est une des nombreuses espèces d'agave (environ 200) qui sont pour la plupart originaires du Mexique.
Son utilisation très ancienne dépasse largement la seule production d'alcool, si ces considérations ethnobotaniques vous interessent, je vous conseille la lecture de cet article tela-botanica.org/2019/08/lagave…