Thread by @AnthonyMansuy

Pourquoi les covido-sceptiques soutiennent Poutine ou relativisent la guerre en Ukraine ?
Après dix-huit mois d'immersion dans le mouvement (j'annoncerai pourquoi bientôt) et des centaines d'interviews, je me dis qu'on aurait pu le voir venir.
Voilà pourquoi. Mégathread.

D'abord, une précision. Il y a trois héritages de ces deux ans de covido-scepticisme, dont ce "soutien" ou ce "relativisme" découlent :

1 : un écosystème médiatique conspi, auto-financé et décentralisé. N'importe quel fragment d'actualité est exploité comme matière première au clickbait et jeté au bûcher de fantasmes plus ou moins anciens

2 : pour beaucoup, le gouvernement n'est plus un simple adversaire politique, mais une branche d'un complot mondial. Et les médias ne sont plus seulement orientés socio-idéologiquement, mais sont les instruments de la propagande de ce complot.

3 : c'est la conséquence des deux premières : ils opèrent selon le principe que non seulement les médias mentent, mais qu'il faut chercher *activement* les preuves du contraire de ce qu'ils racontent.

En quelques jours, les influenceurs du mouvement ont trouvé leur angle édito pour traiter un contexte millénaire. Quiconque veut réellement comprendre ce conflit s'engage dans un chemin tortueux, mais en revanche, il sembl(ait) impossible d'ignorer la tragédie humaine derrière.

On a vu/lu/entendu plein de trucs, alors je vais essayer de résumer rapidement les thèmes principaux. Il y a ceux qui pensent que Macron laisse planer le risque d'une guerre pour gagner la présidentielle.

Ceux qui, comme Romain, croisé samedi 12 à une manif de @f_philippot, pensent que les médias créent "une autre crise pour nous faire peur et nous maintenir en mort cérébrale". L'ironie ? Romain est fiancé à une ukrainienne qui a refusé de venir, "aveuglée par son nationalisme".

Les QAnon y voient un coup de l'Etat profond. Les identitaires un coup d'opportunité pour "nous amener vers les Etats-Unis d'Europe". Aussi, beaucoup ont mordu à l'hameçon tendu par Poutine comme quoi il oeuvrerait à dénazifier l'Ukraine.

Les "mystiques" y voient aussi... quelque chose

Il y a également le coup des biolabs qui contiendraient des pathogènes développés par les US. Poutine, le good guy dans l'affaire, voudrait empêcher le Nouvel Ordre Mondial de les utiliser contre lui. @ForeignPolicy a fait le taf pour ceux qui voudraient debunker.

Ici : foreignpolicy.com/2022/03/02/ukr…

Nos Clausewitz du dimanche rappellent aussi souvent "les 13 000 ukrainiens morts sous les bombes de leur régime". Merci @al_bonnel et @PascalPraud pour lui avoir donné un mégaphone. Libé a fait le taf de debunk, là encore très bien.
liberation.fr/checknews/qui-…

Il y a ceux, et ils sont nombreux, qui veulent nous faire savoir qu'ils ne sont pas des moutons :

Depuis 2 ans, les influenceurs du mouvement vivent plus ou moins de leur contenu. Dans l'économie de l'attention, si le Covid disparaît, le public aussi. Alors ça fonce tout droit vers l'Ukraine. La vraie question : d'où vient la désinfo sur la guerre ?

De la droite identitaire US et d'agences liées au Kremlin. Les premiers en ont fait une industrie depuis des décennies, les deuxièmes font ça par intérêt géostratégique. Ils ont des rédactions, un modèle économique. Pas nos influenceurs français.

Alors ils se servent sur Twitter, Telegram et YouTube, grâce à des chaînes de traduction, ou un travail de veille d'infos.

C'est là qu'il faut que l'on parle de #russiatoday. Lors du discours de Philippot, c'est le sujet qui a le plus chauffé les foules. Ils estiment que l'interdiction d'émettre de cette chaîne financée par le Kremlin s'apparente à de la censure.

Une citation du GJ Jérôme Rodrigues, dans un papier du Figaro, nous aide à comprendre cette relation particulière entre les réfractaires de tous crins et RT :

J'ai interviewé @selectedwisdom, ancien de la division antiterro du FBI, aujourd'hui directeur des recherches au @FPRI. Depuis 2013, il suit en temps réel des efforts de propagande extérieure russes, chinois et iraniens.

Selon lui, il s'agit pour le Kremlin de dire au public-cible qu'il y a "une autre version de l'histoire" et que les pro-consensus cherchent justement à la dissimuler. Ce travail sur la perception des gens a aussi été décliné pour la Syrie et l'annexion de la Crimée.

En Russie, ça passe (par exemple) par la création de faux partis politiques d'opposition et, à l'international, ils touchent ce public-cible "anti" via le financement de partis d'extrême-droite et de chaînes de télévision.

C'est pour cela que RT France et RT Allemagne ont déroulé le tapis rouge aux covido-sceptiques tout le long de la pandémie, alors qu'en Russie, elles défendent ardemment la campagne de vaccination.
rferl.org/a/opposing-rt-…

C'est aussi pour ça qu'au moment où la branche états-unienne de RT reprenait les théories du complot liées à la 5G au moment, le Kremlin déployait son propre plan 5G pour la Russie.
nytimes.com/2019/05/12/sci…

Cela dit, les relativistes de la guerre en Ukraine ne sont pas que les instruments d'une campagne de manipulation. Beaucoup adhèrent spontanément au style Poutine.

En 2013, au pied de l'Ambassade de Russie à Paris, des membres de la Manif Pour Tous en appelaient déjà à l'intervention de Poutine, car la France ne serait "plus une démocratie".

Deux ans plus tard, Eric Zemmour voit en Poutine "le dernier résistant à l’ouragan politiquement correct qui, parti d’Amérique, détruit toutes les structures traditionnelles, famille, religion, patrie".
leparisien.fr/politique/je-r…

@martingeoffroy3, du CEFIR, résume bien le truc (même si je ne suis pas très à l'aise avec le mot "complotistes") :

Parlons philo maintenant, avec le travail de Benjamin Teitelbaum, vraiment génial. Il a passé des semaines avec Steve Bannon, Alexander Douguine et Olavo de Carvalho, proche de Bolsonaro. Selon lui, ce sont les trois têtes de pont de ce qu'il appelle "le traditionalisme".

Ce sont des gens qui marient nationalisme forcené et spiritualité occulte dans leur combat politique. L'objectif : accélérer la crise d'identité occidentale, de manière à provoquer une catastrophe qui augurerait l'avènement d'un nouvel âge d'or pour l'Humanité.

Précision, quand même : nos influenceurs français ne sont en rien des disciples de Douguine. Mais depuis 18 mois, j'ai réellement vu cette manière de penser infuser dans certains recoins (minoritaires, je précise), à mi-chemin entre le New Age et l'ultra-conservatisme.

Les traditionalistes voient dans l'Histoire et l'actualité une lutte entre les "matérialistes" et les "spirituels". Lorsque les premiers (libéraux & socialistes) dirigent, ils nous mènent vers les âges sombres. Les autres vers des âges d'or.

Vous trouvez ça exagéré ? Regardez un peu qui est Alexander Douguine, souvent appelé (peut-être abusément, mais bon) "le cerveau de Poutine".
liberation.fr/planete/2014/0…

Regardez aussi ces screens :

Il y a aussi ça, posté par Richard Boutry aujourd'hui-même : laminutedericardo.com/LMDR/pourquoi-…

Chez Philippot, sur la place, ça hue l'envoi d'armes à l'Ukraine, on entend un "OTAN terroristes". Aucun mot, ni dans les discours de Philippot ni auprès des militants, pour les centaines de morts et les millions de civils ukrainiens déplacés.

Comme si, après 2 ans à refuser de voir la gravité du Covid, à se penser invincibles, ils déportaient désormais ce sentiment sur la guerre. Mais surtout, et c'est l'une des conclusions de mes 18 mois en apnée, ce soutien/refus vient de qqch de plus profond et qu'on aborde peu

C'est la remontée à la surface de personnalités et de visions du monde autrefois cantonnées aux marges d'Internet ou de la vie intellectuelle. Une forme de "traditionalisme spontané", qui fantasme la fin de ce monde pour en amener un nouveau.

Qu'ils soient collapso, fans de médecines douces, anticapitalistes, catho intégristes, ils se retrouvent sur un point : pour amener le nouveau monde, il faut en finir avec le concept d'Occident, la démocratie libérale, quoi qu'il en coûte. Et Poutine est le seul rempart.

C'est ça (+ que le "complotisme") la réelle idéologie des influenceurs du mouvement qu'on a vu émerger avec le Covid. Ils ont désormais leur propre écosystème d'info, qui est devenu quasi-mainstream. C'est avec ça qu'on va vivre désormais, Poutine ou pas.

poke intéressé : @tristanmf, @conspiration, @Willvs, @AlexSamTG, @Fact_N_Furious, @antifouchiste, @LehmannDrC