Thread by @RabanyCedric

Et si on arrêtait d'agiter la "famine en Afrique" pour justifier nos exportations de NPK transformés ? Désolé thread brut, sans emoji, peu de sources, sujet un peu deep. A chaud. A mon tour de faire de la géoLOLpolitique du blé.

la guerre et son impact conjoncturel sur les marchés agricoles mondiaux ressort la terrible imagerie de la famine mondiale et de la responsabilité quasi-christique des terres à blés française à nourrir le monde. il suffit de suivre les com exaltées visant à "produire + et vite"

comme si "naturellement" la France, en compèt' avec la Russie, devait nourrir le monde car les autres pays "ne peuvent produire du blé c'est comme ça". Voir les grands discours sur la géopolitique de l'arme alimentaire.

alors je tente ici d'ouvrir un peu le spectre, bossant depuis 15 ans dans le secteur agricole en Afrique...

la hausse des prix (indice FAO) est amplifiée par la guerre, mais trouve une partie de son origine dans les fondamentaux en tension depuis 2021 (notamment hausse des prix des engrais) Dc augmenter la prod en augmentant l'utilisation des engrais semble assez incongru comme reco.

la hausse des prix agricoles est donc avant tout une crise de l'énergie. (oui oui team Janko) Et donc interroge, plus que géopolitique, sur le modèle de production le plus souhaitable et résilient. ça donne quoi en Afrique ?

la croissance de la productivité (Prod/Ha) en Afrique a été freinée par des décennies de prix bas, maintenus notamment par des importations mondiales discount (vs subventions dans pays industrialisés, UE, US mais aussi Chine qui augmente drastiquement ses budgets agri)

la faible productivité (y compris faible utilisation des engrais en Afrique) n'est pas un pb de "connaissance", de "techno" mais bien de marché : le potentiel est bloqué par des marchés bas et des surproductions structurelles

lorsque les PRIX leur sont favorables, les producteurs africains sont d'une incroyable réactivité. Ci dessous le soja : tiré par demande locale et asiatique, les paysans africains décollent. BIM. Quand l'Europe galère à assurer sa dépendance en protéines végétales...

je peux en pondre des ex (y compris le Soudan, archétype du pays en famine, capable d'exporter de la luzerne fraîche en balle ronde pour nourrir les élevages saoudiens). Prix attractifs, investissements, utilisation optimisée du Nil et hop, la machine se lance.

l'Afrique ne manque pas de blé, elle manque de politique agricole sécurisant les investissements des paysans... un producteur européen devrait comprendre l'idée ;)

beaucoup de pays africains dépendent effectivement pour leurs imports de blé ou colza des pays UE ou Russie. Certes. Mais cela représente une infime partie de leurs consommations, et surtout liée à des changements de régimes alimentaires, urbains notamment ...

la résilience des systèmes alimentaires africains est basée sur une diversité forte : riz, huile de palme, arachide, tubercules (manioc, ignames), mil/sorgho ... le plat de base à Abidjan c'est l'attiéké (semoule de manioc), pas le pain.

diversité alimentaire produite par des paysans qui EN MÊME TEMPS (et oui) fournissent nos marchés en cacao, sucre, sésame, ananas, mangues, caoutchouc pour nos SUV et bois pour nos terrasses ...

les gains de productivité sont donc HUDGE en Afrique, n'importe quel paysans connait l'effet du NPK. Mais les risques sont trop élevés dans un contexte où les prix sont bas (et maintenus ainsi par les surproductions des pays industrialisés qui pèsent sur les marchés mondiaux)

par ex, ce papier montre que les gains permis par la fertilisation sont maximum dans les zones tropicales, la FAO a produit xx analyses sur les gains possibles via adoption de l'agroécologie
sciencedirect.com/science/articl…

et la R&D ne s'intéresse que trop peu à des cultures qui seront indispensables à notre adaption au CC : mil, sorgho, manioc pour ne citer que ces merveilles. Le palmier à huile est une machine à s'adapter aux hausses des temp., cherchez pas plus loin les raisons de son succès

Bref, sortir des cartes de data incomplètes pour dire "ya que la France qui peut nourrir le monde et faut qu'on empêche Poutine de le faire" simplifie un peu trop fortement les enjeux des futurs alimentaires mondiaux. Je trouve.

mm si on veut rester québlo sur le blé, ce point de vue offre une perspective intéressante (diversifier les zones de productions notamment, plutôt que de concentrer ENCORE PLUS) Bref.
nature.com/articles/d4158…

Le discours un poil misérabiliste des européens sur "oulala vite on doit produire la bouffe des africains sinon méchant Poutine va les tenir par les c..." ignore complètement le dynamisme des planteurs africains et de leurs vraies contraintes (poke @gauz04 )

et mets sous le tapis les enjeux CC, biodiversité, dépendance minière, résilience du système alimentaire mondial, impact de "notre modèle" sur les capacités de dev d'autres modèles... pour relancer la machine à produire du status quo. Dommage.

Alors s'il vous plait chers Fragritwittos j'aime l'agriculture de mon pays. Vraiment. Mais pitié, molo sur la géopolitique du blé. On dézoome un peu et si vraiment l'avenir de la bouffe nous intéresse, ça mérite mieux que "on va produire + parce que nous on sait faire"

je sais pas si cette digression africaine peu intéresser @LaLince_ @AEffondrement @warlopf @aestiv tjrs à la recherche d'une résilience intensifiée écologiquement

@LaLince_ @AEffondrement @warlopf @aestiv et pê @RevueSesame puisque c'est mercredi ?