La violence dans la société russe, trame de fond des crimes perpétrés par l’armée russe en Ukraine.
Je continue à rassembler les pièces du terrible puzzle qui nous servira plus tard à comprendre comment tout ça a été rendu possible. Fil. 🧶 1/17
Depuis des années, chercheurs et militants décrivent et dénoncent la violence dans la société russe, encouragée et organisée dans un certain nombre d’institutions: armée, prisons, police, orphelinats, internats. Mais aussi la violence domestique. 2/17
La torture en milieu carcéral a attiré l’attention récemment, avec la publication de témoignages et de vidéos qui ont fuité. La torture et le viol y sont systémiques, elles sont une forme de contrôle sur les détenus, organisé par l’administration. 3/17 lemonde.fr/international/…
Voir, par exemple, l’article de la journaliste et militante des droits de l’homme Zoia Svetova qui analyse la violence systémique du système pénitentiaire russe, et la fermeture de plus en plus grande du milieu carcéral aux défenseurs des droits. 4/17 desk-russie.eu/2021/10/22/le-…
La violence et tortures perpétrées par la police sont aussi documentées depuis plusieurs années, notamment par le Comité contre la torture. 5/17 pytkam.net/en/
Le chercheur Kirill Titaev explique le caractère systémique de la torture par les forces de l’ordre not. par l’absence du qualificatif de torture dans la loi; l'incompétence pro des policiers ; l’acceptation par la justice de l’aveu sous torture. 6/17 enforce.spb.ru/chronicle/news…
« Il n'est pas exagéré de dire que toute personne qui s’engage comme policier aujourd'hui commencera, dans six mois, à frapper des détenus à l’occasion ou démissionnera » écrit Titaev. La violence émerge du système, c’est important de le savoir. 7/17 takiedela.ru/2017/07/takaya…
La violence dans l’armée a largement été documentée depuis les années 1990. Voir par exemple ce numéro de revue sur la dedovshchina où nous expliquons que la violence entre conscrits est systémique, elle est aussi un outil de contrôle dans l’armée. 8/17 journals.openedition.org/pipss/190
Ce fléau n’a pas quitté l’armée russe, même s’il a un peu changé de nature avec le passage du service militaire à 1 an. L’extorsion d’argent et les violences peprétrées par les officiers augmentent. Les soldats sur le front ont aussi connu ça. 9/17 themoscowtimes.com/2020/02/17/dec…
La violence dans les institutions fermées, orphelinats ou internats pour personnes handicapées, est terrible. Voir par exemple ce rapport de Human Rights Watch sur les internats pour enfants handicapés. 10/17 hrw.org/report/2014/09…
Une fois de plus, on ne parle pas ici de « dérives », mais de situations générées par un système, dans lequel la violence institutionnelle est un mode de gestion. Bien des acteurs ont cherché à le changer, mais se sont heurtés au système construit par l’Etat. 11/17
La violence domestique, problème important en Russie, ne renvoie pas au même phénomène institutionnel, mais montre l’indifférence de l’Etat à cette question qui est une forme d’encouragement à la violence. Voir le rapport de HRW. 12/17 hrw.org/report/2018/10…
Bien évidemment, tous les soldats n’ont pas été directement confrontés à la prison, à l’orphelinat etc. Ils ont tous été en contact avec la violence de l’armée. Mais surtout, en Russie, la maltraitance est un mode de gouvernement. Elle se diffuse dans le quotidien. 13/17
L’hôpital, l’administration, l’école sont aussi des institutions où la maltraitance est fréquente. Elle est d’autant plus forte que la région est pauvre. Les soldats russes aujourd’hui sont issus des régions où la violence institutionnelle est grande et répandue. 14/17
Bien évidemment, tout cela ne joue pas comme une causalité directe. Le risque de la lecture téléologique est important dans cet guerre: les éléments du passé semblent s’emboîter et faire sens a posteriori. C’est un piège. Toute explication simple est fausse. 15/17
Il y a bien d’autres éléments qui permettent d’expliquer la montée dans l’horreur. Mais la socialisation à la violence est selon moi un élément important. Les soldats russes ne sont pas naturellement violents, ils ont été formatés et acclimatés par une société violente. 16/17
J’ai souvent entendu des « pourquoi te focalises-tu sur les aspects les plus sombres de la société russe? La Russie n’est pas que ça ». C’est vrai. Mais la facette violente de la société russe a manifestement eu un impact encore plus grand que nous ne le pensions. End 🧶17/17
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On commence, petit à petit, à préciser le portrait social des soldats russes en Ukraine. Localement, des activistes et des journalistes font un travail de recensement des soldats tués et on commence à avoir quelques ordres de grandeur par région. 🧶1/7 d1nttfks27tl0n.cloudfront.net/pogibshie-v-uk…
Plusieurs biais possibles de ces chiffres. Ils sont plus élevés dans certaines régions aussi parce que les journalistes y sont plus actifs et vont glaner dans les réseaux sociaux locaux des infos qui ne figurent pas dans la presse officielle. 2/7 baikal-journal.ru/2022/03/23/voe…
Deuxième bémol: le biais du survivant. Les corps qui reviennent en Russie sont précisément ceux qui reviennent, donc qui sont récupérés et rapatriés. Pas forcément les unités qui ont été les plus décimées, ni celles qui ont laissé les corps sur place. 3/7
Beaucoup citent en ce moment le papier haineux publié par RIA Novosti comme preuve d'une intention génocidaire de l'Etat russe. Parce que RIA Novosti est une agence de presse étatique, elle transmettrait la parole de l'Etat. J'appelle à la prudence.🧶1/9 ria.ru/20220403/ukrai…
Il faut comprendre ce que sont les médias en Russie et quel est le statut de ce qu'ils publient. RIA, tout comme les chaînes de télévision majeures, est contrôlé par l'Etat. Tout ce qui est diffusé est acceptable pour l'Etat, mais tout n’a pas un statut de parole d'Etat. 2/9
Ceux qui ont le malheur de regarder ces chaînes savent à quel point les actualités, mais surtout les grosses émissions politiques, sont remplies de freaks qui appellent au meurtre, au génocide, à la guerre nucléaire. Ceci depuis des années. Sans que ça émeuve les Russes. 3/9
J’aurais aimé ne jamais avoir à traiter ce sujet. Je ne suis pas certaine d’en avoir la force mentale, et pourtant il le faudra. Une question s’impose face aux preuves qui s’accumulent des actes de violence insoutenables perpétrés par l’armée russe. 🧶 1/17
Cette question, c’est celle des exécutants ordinaires des ordres criminels. Elle nous poursuit en sciences sociales depuis la deuxième guerre mondiale. Comment un jeune homme ordinaire se retrouve-t-il meurtrier de civils, ou tortionnaire, ou génocidaire? 2/17
Je comprends très bien pourquoi les Ukrainiens appellent désormais l’armée russe « les Orques (du Mordor) ». Mais en tant que sociologue, je ne peux bien évidemment pas souscrire aux thèses de la monstruosité. Notre tâche est de comprendre ce qui s’est passé. 3/17
Vendredi 1er avril démarre en Russie la campagne de conscription de printemps qui durera jusqu'au 15 juillet.
Les hommes russes de 18 à 27 ans sont appelés sous les drapeaux pour un an. Quoi attendre de cette campagne qui démarre en pleine guerre? Petit 🧶 et demande d'aide. 1/8
Le ministre de la défense russe a assuré que les conscrits ne seraient pas envoyés combattre. En réalité, ça ne change pas grand-chose. Au bout de 3 mois de service militaire, le conscrit a le droit de signer un contrat avec l'armée et pourra être envoyé au front. 2/8
"A le droit de signer" est la version prévue dans la loi. Dans la vie réelle, il y a des engagés volontaires, mais on voit aussi fréquemment aussi des pressions plus ou moins fortes sur les conscrits pour qu'ils signent un contrat avec l'armée. Pratique installée et usuelle. 3/8
J'ai beaucoup écrit sur la société russe et je continuerai à le faire. Ma grande frustration aujourd'hui, c’est de perdre de la pertinence sur la société ukrainienne. D’être coupée du terrain, mais aussi de voir mes outils d’analyse inopérants en contexte de guerre. Fil 🧶 1/18
C’est un peu curieux d’écrire ce fil au moment où on nous met plus que jamais en lumière, nous les chercheurs travaillant sur la zone. Mais dire où sont nos blocages et nos limites est indispensable. Dire que nous sommes à un moment de questions, pas de réponses. 2/18
Le premier travail d’éclairage était facile, tant il y avait de clichés à reprendre et de connaissances à apporter sur l’histoire de l’Ukraine, la mobilisation de la société, la configuration politique, la langue etc. Mais la guerre transforme déjà radicalement la société. 3/18
Les Russies face à la guerre
On parle souvent de l’attitude de LA population russe face à la guerre, ou alors on établit des distinctions basiques: russes ordinaires / opposants / « oligarques ». ou encore jeunes/vieux. En réalité, il y a beaucoup plus de clivages. Fil 🧶 1/24
Le premier clivage est géo-économique, en termes de centre, périphérie, ultra-périphérie. Pour l’économiste russe Natalia Zubarevitch, ce clivage est tellement important qu’on peut parler non pas d’une, mais de 3+1 Russies. 2/24 opendemocracy.net/en/odr/four-ru…
La première Russie (1/3 de la population) est celle des villes millionnaires. Développement économique rapide, ouverture vers l’international, hauts revenus, haute consommation, population éduquée. La politisation et la protestation y sont les plus élevés. 3/24