Thread by @SolInfoJeuVideo

Les subventions et le Jeu vidéo français
UN SPORT NATIONAL
(dont la moitié des arbitres sont également sur le terrain)

La façon dont le #jeuxvideo français est largement abreuvé de fond publics (subventions et crédits d'impôts 💸) mérite un peu d'attention.

Ces fonds sont le plus souvent distribués par une commission du #CNC.
La moitié de cette commission sont des personnes de l'industrie (mais uniquement des patron·nes ; les employé·es, les freelances ne doivent sans doute pas avoir assez d’esprit critique).

Ces patron·nes de l’industrie vont ainsi répartir des fonds publics parmi des projets, dont certains sont parfois développés par les membres de cette commission.

La charte de déontologie est la suivante :
🗣️ “Lorsqu’un membre de la commission est concerné à titre personnel, directement ou indirectement, par un dossier figurant à l’ordre du jour, il le fait savoir au Président,...

qui l’invite à se retirer pendant le débat et l’examen du dossier. A son retour en séance, l’intéressé s’interdit toute référence à ce dossier."

La personne quitte donc la salle le temps de l'examen et revient une fois la décision prise.
Qui peut croire qu’il s’agit sérieusement d’un traitement équitable ? Que la présence de cette personne lors des autres délibérations n'influence en rien la décision qui la concerne ?

Qui peut croire qu'un jeu développé par un nouveau studio et des développeurs·euses peu connu·es va être jugé sur un pied d'égalité avec un jeu dont le/la dirigeant·e se trouve dans la commission, et ne s'éclipse un instant lorsque son jeu est évoqué ?

Que la commission doive statuer sur un jeu développé par l'un de ses membres est déjà arrivé, et même de nombreuses fois au cours des années.

En 2013, le patron et cofondateur de Asobo siège à la commission.
Asobo touche une première subvention de 140K€ en début d'année, puis une seconde de 60K€ plus tard dans l'année.
#asobo #plaguetales #flightsimulator

En 2015, c'est au tour d'Amplitude Studios de toucher 100K€ pour un projet "Shadow of Tor".
Le dirigeant et fondateur siège à la commission.
#amplitudestudio #EndlessLegend #EndlessSpace

Toujours en 2015, Atelier 801 reçoit 40K€ pour le projet "DeadMaze". Sa dirigeante siège à la commission.
#atelier801 #deadmaze

En 2016, la société Oh Bibi touche 80K€ pour "StarLord". Le patron fait partie de la commission.
#OhBibi

En 2016, Eugen System touche 200K pour “Historical combat simulation”. Son patron fait partie de la commission.
#EugenSystem #SteelDivision

En 2016, PixelHunt touche 70K pour "Enterre-moi mon amour". Son dirigeant siège à la commission.
#BuryMeMylove

En 2016, Eugen reçoit une seconde subvention de 250K€ pour le projet "Ombre". Le patron est toujours au sein de la commission.
#EugenSystem #SteelDivision2 #wargame

En 2017, l'un des dirigeants d'Eko software est à la commission lorsque l'entreprise reçoit 200K€ pour "The Dark Times"
#EkoSoftware #Warhammer

OPTIMISATION DE SUBVENTIONS
Les fonds sont accordées sur présentation d'un dossier qui va notamment justifier des dépenses (nombre d'employé·es présent·es sur le projet, à quelle poste, pour quelle durée, etc.).

Certains studios vont gonfler artificiellement ces chiffres (sans que ça paraîsse trop suspect) puis réduire les équipes de production pour maximiser la marge financière.

Par exemple, en 2014, le studio Neko reçoit 60K€ pour "Replay", un projet réalisé essentiellement par des étudiant·es.
En 2015, Neko (le même studio) reçoit 140K€ pour le jeu "Kawiteros", également réalisé par des étudiant·es.

Toujours en 2015, l'entreprise Koneko touche 140K€ pour "Kawiteros" (même projet, toujours réalisé par des étudiant·es). Koneko est une nouvelle structure, mais avec les mêmes dirigeants que Neko, dans les mêmes locaux, etc.

LE CERCLE VERTUEUX DES FONDS PUBLICS
ou "quand l'argent public sert à faire la promotion de jeux financés par l'argent public." 🔄

Certaines des aides CNC (dont une part de la commission adhère au SNJV, le lobby patronal du JV) servent à l'organisation d'évènements promotionnels (mettant en avant des jeux membres du SNJV).
Le budget publicité (et petits fours) est ainsi également subventionné.

En 2013 (et durant plusieurs années), Capital Games touche 20K du CNC pour l’organisation des Games Paris Award (un évènement qui récompense des jeux vidéo français).

En 2016, Capital Games touche 50K€ pour “Jeux Made In France 2016” pour la Paris Games Week. Il s’agit de faire la promotion des jeux français et des studios partenaires, qui auront alors profité de subventions pour promouvoir leurs produits.

En 2017, le PingAwards reçoit 35K€. C’est le même évènement que le GamesParisAwards, mais pour 15K€ de plus.

En 2019, Le SNJV Evènements touche 70K€ pour organiser les Pégases. Il s’agit d’une soirée de récompense des JV. Donc, le même events que précédemment, mais cette fois deux fois plus cher.
#Pégases #snjv

En 2020, le SNJV Evènements touche également 70K€ pour organiser les Pégases. L'évènement est uniquement diffusé sur internet pour des raisons sanitaires. Un stream bien cher pour récompenser les jeux du SNJV.
#Pégases #snjv

Capital Games retouche 75K€ pour "Jeux Made in France 2020", 70K€ pour "Jeux Made in France 2021", et. Toujours pour faire la promotion des jeux vidéo français.

En 2021, le SNJV Evènements touche également 80K€ pour organiser les Pégases. Même évènement qu'avant, mais 10K plus cher (sûrement l'inflation).
#Pégases #snjv

LE CREDIT D'IMPOT JEU VIDEO
La poule aux oeufs d'or publics 🐔

Les sommes précédemment citées restent faibles comparé aux montants en jeu avec le CIJV qui peut rembourser jusqu'à 30% du budget d'un jeu, dans la limite de 6 millions d'€.
(Le mode d'attribution diffère cependant)

Ce crédit peut s'appliquer chaque année. Ainsi, Don't Nod Entertainement touche 3,8 millions d'€ en 2018, puis 4,6 millions en 2019.
#DontNod #TellMeWhy #LifeIsStrange

Ce crédit peut également s'appliquer aux différentes structure d'un même groupe.
Ainsi, le groupe Ubisoft va toucher des subventions pour chacun de ses studios régionaux. Le plafond des 6 millions peut ainsi être dépassé à l'échelle de la multinationale.

Par exemple, en 2019,
- Ubisoft Paris reçoit 6millions d'€
- Ubisoft Annecy : 3,4 millions d'€
- Ubisoft Bordeaux : 1.3 millions d'€
etc.
C'est au total plus de 15 millions qui sont versés au groupe Ubisoft cette année là pour le CIJV.

Cette année n'a rien d'exceptionnelle, le groupe touchait 12.5 millions en 2018, et plus de 13 millions en 2020. Ces chiffres ne concernent que le CIJV, auxquels il faut rajouter les autres aides, notamment le CIR (Crédit d'Impots Recherche).

Quoi que plus modeste, le CIR représente un montant assez conséquent d'aide.
Pour Ubisoft, il varie selon les années :
- en 2018: 1.4 million d'euros
- en 2019: 2.6 millions d'euros
- en 2020: 1.8 millions d'euros
etc.

Quand on cumule ces aides, Ubisoft va recevoir
- plus de 15 millions d'€ d'aides publiques en 2018.
- plus de 20 millions en 2019
- encore 15 millions en 2020
etc.

Enfin, il est intéressant de faire un ratio subvention / nombre d'employé·es.
Par exemple, en 2019 :
- Ubisoft Paris : 14K€ / salarié·e
- Ubisoft Nadeo : 22K€ / salarié·e
- Arkane Studios : 23K€ / salarié·e
- DontNod : 22K / salarié·e
etc.

A ces fonds publics, il faut également rajoutés des aides d'autres structures. A ce titre, la BPI arrose les différents studio d'Ubisoft chaque année.
Par exemple, en 2019 :
- Ubisoft Paris : 140K€
- Ubisoft Annecy : 116K€
- Ubisoft Montpellier : 690K€

Si ça ne suffisait pas, des entreprises récoltent également des aides régionales.
Ubisoft Montpellier signe en 2019 un contrat Innovation avec la Région Occitanie pour un montant 1.83 millions d'€.
laregion.fr/IMG/pdf/notede…

Et à ces aides, les entreprises se greffent parfois à des projets portés par des organismes publics.
En 2007, le projet PlayAll, soutenu par le Ministère de l'Economie, distribue 13 millions d'€ à plusieurs studios pour le dev. d'un moteur de jeu.
fr.wikipedia.org/wiki/Play_All

Ces subventions françaises n'empêchent nullement les entreprises d'aller s'installer dans d'autres pays pour y capter d'avantages de fonds publics.
Par exemple, en 2018, Ubisoft touchait ainsi 148 millions d'aide du gouvernement canadien.
pesesurstart.com/2018/07/30/ubi…

Ces fonds publics dont l'excuse première (l'investissement) peut être remis en question quand on apprend qu'au Canada, le montant des subventions est comparable à celui des profits.

"Au cours des quatre dernières années, l’entreprise a enregistré des profits nets de 634 millions $, mais a reçu pour 615 millions $ en subventions."
tvanouvelles.ca/2018/07/30/ubi…

MUTUALISATION DES INVESTISSEMENTS
PRIVATISATIONS DES PROFITS
L'entresoi du jeu vidéo français est donc bien rodé ; des patron·nes décident entre elleux de la ligne éditoriale des studios, quelle que soit leur taille.

Ils attribuent, la main sur le cœur, des fonds publics considérés comme indispensables pour pouvoir développer des jeux en gardant le pouvoir de choisir qui peut exister.

Cependant, les profits générés par ces aides ne sont pas recoupés : seul un logo CNC est exigé lors du lancement du jeu (ou des crédits). Ces fonds sont issues des enveloppes du ministère de la Culture.
Les patrons acceptent ces aides mais n'y contribuent pas, pratique non ?