Thread by @lightdys

Tw validisme

Du déni du handicap parmi les personnes avec un handicaps dit "invisible" et leurs proches.

Je préviens, ça va être long alors déroulez !

Je voudrais revenir sur ce message que j'ai reçu récemment.

Pour poser le contexte, j'ai reçu ce message suite à un fil de tweets dans lequel je dénonçais l'infantilisation subie dans ma famille proche, à cause de mon handicap. Commençons par dire quelque chose d'important : Je SAIS que ce message se voulait bienveillant.

Je sais que la personne qui l'a écrit voulait certainement me réconforter, me valoriser, m'aider à relativiser. Tout ça, je le sais. Alors pourquoi, ce message "ne va pas"? Et je dirai même plus : Pourquoi est-ce du validisme (inconscient) ?

Commençons par la question principale du message, celle qui m'a vraiment fait tiquer: "Pourquoi vous-considérez-vous comme handicapé?" C'est un point important, car la remise en cause du terme "handicap" est extrêmement fréquente dans les groupes de parole

consacrées aux personnes avec handicap invisible. Ces groupes de parole sont très souvent occupés majoritairement par des parents d'enfants handicapés. Et ce refus du terme "handicap" revient très souvent dans leurs discours. Tous les jours , j'y lis des messages tels que :

"Mon enfant n'est pas handicapé, il est DIFFERENT". "Si j'utilise le terme "handicapé" pour mon enfant, il va s'enfermer dans ses troubles". Et surtout mon "préféré" (aka le pire) : "Mon enfant n'est pas handicapé, il a des capacités"

A première vue, quand on n'y regarde pas de trop près, ces messages peuvent sembler plutôt positifs. Pourquoi, alors posent-ils problème? Eh bien, tout d'abord parce qu'ils sont faux, tout simplement En effet, selon la définition du handicap donnée par la loi de 2005

Un handicap, se définit comme "toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles,

,mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant. » Autrement dit, vous êtes handicapé à partir du moment où votre condition vous pose des soucis pour participer normalement à la vie en société (pour aller à l'école, circuler, travailler)

Notamment à cause d'un environnement discriminant et non-adapté. D'où l'importance des quelques mots "subies DANS SON ENVIRONNEMENT". Si l'environnement changeait, ça irait mieux déjà. Or, la dyspraxie entre carrément dans cette définition. En effet, en tant que dyspraxique

- Je vais avoir du mal à me déplacer seule en raison de mes troubles d'orientation dans l'espace.
- Je vais avoir du mal à effectuer certaines tâches manuelles simples (j'ai appris à faire mes lacets à 26 ans, je vais avoir du mal à me maquiller, à couper certains fruits..)

Les troubles d'apprentissages perturbent également énormément la vie scolaire de nombreux enfants. Moi, je m'en suis bien sortie grâce à de bons aménagements mais c'est loin d'être le cas de tout le monde. Si bien que ça peut aussi empêcher quelqu'un de trouver un emploi.

Donc, OUI, un dyspraxique va souvent voir sa "participation à la société" perturbée, ne serait-ce que pour sa vie scolaire, son entrée dans l'emploi, sa capacité à passer le permis (je ne peux pas, personnellement). Et d'autant plus que d'autres troubles d'apprentissages

s'ajoutent souvent. De ce fait, renier le handicap de son enfant c'est renier la réalité du trouble et surtout, cela peut avoir de lourdes conséquences sur son avenir. Notamment en termes scolaire et d'emploi. La plupart des gens dys de ma connaissance qui ont

eu une reconnaissance tardive du handicap (à l'âge adulte) sont aujourd'hui en chômage après une vie d'échec scolaire et professionnel.

Je ne l'écrirai jamais assez: être reconnu handicapé permet d'être AIDE. De bénéficier de droits et d'aménagements qui permettent

de BIEN vivre avec ses troubles. De diminuer les galères et les risques d'échec. De montrer son vrai potentiel et ses vraies capacités (à l'école notamment).

Donc quand on me demande pourquoi je me considère comme handicapé?" je pourrai simplement répondre : "Parce que j'ai besoin d'aménagements au quotidien et que ces aménagent ont littéralement sauvé ma vie". Sans ordinateur avec une incapacité à écrire, pas de scolarité.

Sans scolarité, pas de réussite, pas de bac général avec mention TB, pas de classe préparatoire, pas de 20/20 au master, pas de doctorat. La reconnaissance du handicap et les aides qui en ont découlé m'ont SAUVE LA VIE.

Mais, ce n'est même pas ça le VRAI problème de ce message et des petites phrases qui refusent le terme "handicap" à un enfant dys. Le VRAI problème de ces phrases, c'est le validisme qui se cache derrière. Et notamment la vision dégradante des autres handicaps.

En effet, ces petites phrases comme "Mon enfant n'est pas handicapé, il a des capacités" veulent bien dire ce que ça veut dire. Une "vraie" personne handicapée selon ces parents, c'est quelqu'un qui n'a pas de capacités. Qui n'a aucun potentiel. Et le message que j'ai reçu est

similaire : "Pourquoi vous considérez-vous comme handicapée. Vous êtes avant tout une personne avec des points forts et des points faibles." Parce qu'une "vraie" personne handicapée ne serait pas 1 personne ? Ou parce qu'elle est censée n'avoir que des points faibles ?

Dans ce message, il me semble y avoir en germe toute la vision dégradée qu'on peut avoir du handicap dans la société. Une "vraie" personne handicapée ne serait pas vraiment une personne parce qu'elle n'aurait que des points faibles (contrairement à moi et au reste de l'humanité)

En effet, l'argument de cette personne repose sur l'idée que je ne serai pas handicapée parce que j'ai des facilités. Ce qui sous-tend qu'une "vraie" personne handicapée n'en aurait pas.

Cette idée pose évidemment problème parce qu'elle est à la fois fausse et discriminante pour une partie des personnes handicapées. Car la vérité, évidemment, c'est que toute personne (handicapée ou non) a des facilités et des points faibles.

En effet, les valides n'ont pas le monopole des facilités. Même avec un handicap, nous avons des points forts. Nous avons notamment tendance à surinvestir dans les domaines où le handicap ne nous impacte pas.

Et même dans les domaines dans lesquels nous pouvons avoir des difficultés, nous sommes capables de progresser et de compenser une difficulté. Parfois jusqu'à ce qu'elle disparaisse complètement ou quasi-complètement. Les valides ont souvent tendence à ignorer cet aspect.

Autre souci : l'aspect culpabilisateur du message (que ce soit volontaire ou non). En effet, je rappelle encore une fois le contexte : je l'ai reçu parce que je dénonçais les discriminations que je subis dans mon cadre familial à cause de mon handicap.

Le problème ce n'était donc pas mon handicap mais le comportement des personnes valides face à lui. Ce sont deux choses différentes. Par ce message, que ce soit conscient ou non, la personne refuse d'évoquer la responsabilité des personnes valides dans une situation donnée.

et préfère plutôt souligner le fait que je me considère comme handicapée. Le message semble assez clair : pour elle, je suis plus ou moins responsable des discriminations que je subis, car elles viendraient du fait que je me considère handicapée (donc que je me dévalorise)

et je pousserais ainsi mes proches à me traiter comme tel. Cela revient à remettre sur la personne (moi, en l'occurrence) la responsabilité du comportement de ces proches et cela vient renier la réalité des discriminations possibles en cas de handicap.

Sans le savoir, elle me soumet ainsi à un discours contradictoire de la part de la société (contradiction auquel je me suis heurtée toute ma vie :

Quand on est enfant et qu'on ne veut pas être handicapé (position que j'ai eu des années), les personnes valides proches nous

* à laquelle

reprochent fréquemment d'être "dans le déni", de ne pas "assumer".

Et quand on revendique enfin son handicap (parfois après des années de déconstruction pour comprendre que ce n'est pas un problème), d'autres nous reprochent de nous définir comme tel...

car, dès lors qu'on commence à en parler facilement, à évoquer ouvertement nos besoins, cela devient "une excuse" aux yeux de certains, une "étiquette" derrière laquelle on se serait "réfugié"

Bref, vous avez compris le problème. Quelque soit la position que l'on choisit vis-à-vis de notre handicap, les personnes valides nous soumettent à un jugement, le plus souvent contradictoire, sans connaître notre parcours.

Pour éviter cela, respectez le parcours de chacun. Une personne a priori handicapée ne veut pas se définir comme tel? A mes yeux, c'est embêtant, mais je sais qu'il y a souvent besoin d'en passer par là. Une personne handicapée se définit comme telle? Elle a probablement dû faire

un parcours d'acceptation de plusieurs années pour en arriver là. Alors, ne venez pas remettre en question sa construction parce que ça vous dérange. Surtout si c'est pour véhiculer des préjugés sur les autres personnes handicapées au passage.

Et SURTOUT retenez ceci : Je ne me sens PAS valorisée quand vous prétendez que je ne suis pas handicapée. Car, pour moi, être handicapé n'est PAS DEVALORISANT. C'est une situation factuelle. Ni bonne ni mauvaise. Ne me demandez pas non plus d'approuver votre

complexe de supériorité en approuvant le préjugé selon lequel les personnes handicapées n'auraient pas de capacités, contrairement à vous (et à tous ceux que ça vous arrange de mettre hors de ce spectre). Parce que c'est faux. Les personnes handicapées ONT de capacités.

Par conséquent, il est tout à fait compatible d'être handicapé ET d'avoir des facilités. Ce pseudo facteur de différenciation vous sert juste à vous sentir supérieur et à entretenir une fausse hiérarchie. Revoyez votre vision du handicap avant de sortir des phrases pareilles.