Parlons un peu du mur de Melilla, où plusieurs dizaines de personnes (23 selon les flics, plus de 37 selon les ONG, saura-t-on jamais le bilan exact) ont trouvé la mort vendredi dans des conditions effroyables pour la seule raison qu'elles cherchaient une vie meilleure en Europe.
Avec le mur de Ceuta, l'autre enclave espagnole au Maroc, celui de Melilla représente la seule frontière terrestre entre l'Europe et l'Afrique, raison pour laquelle c'est l'un des fronts les plus anciens et meurtriers de la politique européenne de guerre aux demandeurs d'asile.
Les violences infligées aux saute-frontières de Ceuta et Melilla sont parfaitement connues et documentées depuis de longues années : le "Livre noir" de Migreurop à ce sujet date de... 2006. Depuis, elles se sont multipliées et intensifiées. migreurop.org/article981.html
Ce crime organisé à grande échelle est mis en œuvre à la fois par la Guardia Civil espagnole et la police marocaine, à laquelle Madrid & l'UE sous-traitent une part du sale boulot. En 2019 par exemple, l'Espagne a fourni au Maroc pour 30 millions d'euros de véhicules militaires,
de drones et de radars destinés à la répression des migrants, une rallonge aux 140 millions déjà affectés par l'UE à ses supplétifs. La tuerie de vendredi a beau avoir eu lieu du côté marocain, il s'agit bien d'une coproduction espagnole et européenne. moroccoworldnews.com/2019/07/278686…
Elle rappelle qu'en termes de racisme et de brutalité les garde-frontières marocains représentent pour l'Europe des prestataires non moins fiables que leurs sinistres collègues libyens. Et qu'ils n'ont rien à envier non plus aux flics grecs, polonais, français ou espagnols.
Le mur de Melilla se compose de 3 clôtures successives de 6 mètres de haut et 12 kilomètres de long, truffées de miradors et d'engins de surveillance. Comme disait un rescapé, franchir un tel obstacle, c'est "pire que Hunger Games". restofworld.org/2021/replacing…
Imagine, tu escalades un mur au moins trois fois plus haut que toi pendant que les flics te frappent, te caillassent ou t'attrapent par les pieds, en sachant que s'ils te chopent ta vie ne vaut pas cher et que si tu tombes sur leurs collègues en face elle ne vaudra guère mieux.
En dépit de ses victimes, mortes, blessées, traumatisées ou expulsées, ce bout de frontière est pourtant réputé "humain". Tel est en effet le qualificatif que lui a donné le très socialiste PM espagnol Pedro Sánchez lorsqu'il a pris la décision en 2018 de retirer les rouleaux
de barbelés tranchants comme des rasoirs qui hérissaient la triple clôture de Melilla, responsables d'un nombre incalculable d'entailles profondes (assimilées par certains médecins à des "blessures de guerre") et quelquefois mortelles.
Les barbelés furent donc humainement remplacés par des obstacles anti-grimpe et une livraison supplémentaire de technologies de flicage – caméras, détecteurs de chaleur, de mouvement, etc. Pour faire bonne mesure, on décida de surélever de 30 % le mur de Ceuta ainsi que les
tronçons "sensibles" du mur de Melilla, hauts désormais d'une dizaine de mètres. On épargne le supplice du barbelé à l'intrépide voyageur, mais on s'arrange pour qu'au lieu de se couper jusqu'à l'os il se tue ou se casse les jambes en tombant de la clôture. Immense progrès.
Transmis aux élus et penseurs de gauche qui assurent que les frontières, il en faut, qu'elles constituent un symbole irremplaçable de notre merveilleuse souveraineté nationale et qu'il suffit de les rendre "plus humaines" ou "plus intelligentes" pour éviter qu'elles tuent :
"frontière humaine", c'est du bullshit, une oxymore du même genre que "pushback amical", "macronisme de gauche" ou "centre de rétention de loisir". Nos frontières ne sont pas neutres ou naturelles, elles sont l'instrument d'une domination capitaliste, raciste et néocoloniale
froidement assumée. Dans un contexte de fascisation générale, elles concrétisent un régime de déshumanisation passé ostensiblement du "laisser mourir" au "faire mourir", pour reprendre l'expression de Michel Agier dans @cqfd. cqfd-journal.org/Michel-Agier-L…
On voudrait croire qu'il n'est pas possible que le massacre de Melilla reste sans réaction, qu'il n'est pas imaginable que de telles horreurs se répètent. Mais l'indifférence des médias, l'inertie larvaire des oppositions de gauche et la clameur lyncheuse de la fachosphère
nous adressent un tout autre message : carte blanche pour les crimes de masse à nos frontières. En félicitant les flics de son pays et leurs collègues marocains au lendemain du carnage, le chef du gouvernement espagnol n'a pas dit autre chose.
Comme dit Sven Lindqvist dans le film de Raoul Peck «Exterminez toutes ces brutes» : «Ce n’est pas le savoir qui nous manque, mais le courage de comprendre ce que nous savons et d’en tirer les conclusions.» La conclusion, ici, est claire : les frontières doivent tomber. #NoBorder
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Comment l'Europe compte-t-elle aider la Moldavie à accueillir des milliers de réfugiés ukrainiens ? Avec une aide financière, alimentaire, humanitaire ? Nope : avec @Frontex, envoyée pour "manager" la frontière de ce petit pays pourtant non membre de l'UE.
L'agence européenne du pushback et des violences aux frontières prendrait en charge l'enregistrement des personnes entrantes, les prises d'empreintes, les contrôles, etc. De même, certainement, que le tri entre réfugiés ukrainiens et non-ukrainiens. ec.europa.eu/commission/pre…
C'est un effet d'aubaine de la guerre : étendre la zone d'influence de Frontex, conçue non seulement comme le bras armé de la politique migratoire européenne, mais comme un spécialiste global du "monitoring" aux frontières et un outil d'exportation des technologies de flicage.
À propos de Philippe Val aka "Spinozza 4 Fromages", il y a une anecdote vieille d'une vingtaine d'années qui me fait toujours autant rigoler chaque fois que la cuistrerie himalayenne et la fatuité pharaonique du personnage refont causer d'elles.
Je ne bossais déjà plus à Charlie Hebdo à cette époque, mais on m'a raconté la scène. Il faut savoir que le patron (thatchérien) de ce journal se prenait simultanément pour un géant de la chanson française et produisait régulièrement des albums (soporifiques) qu'il étrennait
devant des salles invariablement somnolentes et à moitié vides. Un beau jour, lors d'une conférence de rédaction à CH, Val annonce fièrement que son prochain spectacle s'intitulera "Ouvert la nuit" et qu'il a choisi ce titre en hommage au film "Opening Night" de John Cassavetes.
Dix-neuf personnes qui tentaient de rejoindre l'Europe sont donc mortes de froid à la bordure de la frontière grecque, dévêtues et pieds nus, vraisemblablement victimes d'une opération de "pushback". Cet acte de barbarie va-t-il rester impuni et ignoré ? infomigrants.net/fr/post/38321/…
Bien entendu, le ministre de l'Intérieur grec exonère ses garde-frontières et prétend que leur mise en cause n'est qu'une calomnie des autorités turques. Il va jusqu'à nier l'existence même des "pushbacks", qui sont pourtant une pratique courante, documentée et institutionnalisée
depuis fort longtemps. Activement soutenue par l'UE via @Frontex, applaudie par les extrêmes droites🇪🇺 et exportée dans d'autres pays (dont la Grande-Bretagne), la politique du refoulement à la frontière est brutale, féroce et meurtrière par principe. helsinki.hu/en/eu-agency-f…
Vous le saviez, ça, que le poisson d'élevage, que vous achetez en croyant ainsi épargner les océans, est en fait nourri avec de la farine de... poisson pêché en mer ? C'est rudement bien pensé. Car ce poisson que l'on donne à manger à d'autres poissons, il vient d'Afrique,
où d'énormes chalutiers chinois et occidentaux écument h24 les eaux côtières poissonneuses de Mauritanie, du Sénégal et de la Gambie. En toute illégalité, et sans la moindre espèce de frein. Ce pillage gigantesque ne prive pas seulement de leurs ressources les pêcheurs locaux,
dont les filets remontent désespérément vides, mais il retire aussi de la bouche des populations locales une part essentielle de leur alimentation. On estime qu'un demi-million de tonnes de bongas et autres petits poissons frais qui, sur place, auraient pu nourrir
Et si on s'arrêtait un peu sur cette histoire gratinée : alors que 7 personnes mouraient piétinées dans la foule en désespoir à l'aéroport de Kaboul, le chef de la CIA, William Burns, accourait sur place pour rencontrer le chef taliban Abdul Ghani Baradar. reuters.com/world/cia-dire…
Baradar n'est pas un inconnu pour la CIA : en 2010, celui qui était alors le chef militaire des taliban avait été capturé en Afghanistan lors d'un raid des forces spéciales US conduit par... la CIA. Pendant huit ans, Baradar est resté prisonnier
des Américains dans une prison au Pakistan. Jusqu'à ce que, oh, surprise, Donald Trump le relâche en 2018, pour en faire, re-oh, surprise, l'interlocuteur officiel de la délégation US dans le cadre des négociations qui mèneront à l'Accord de Doha de février 2020