Thread by @228histoire

THREAD: Juillet 1992, assassinat de Tavio Amorin ou comment la IVème République a été tuée dans son berceau. #Togo #Histoire #TgTwittos

En 2017, lorsque le soulèvement populaire mené par Tikpi Atchadam embrase le Togo, les plus anciens ont vu symboliquement le fantôme d’un homme flotter sur le mouvement. Cet homme c’est Tavio Amorin. 1/

En effet, parmi les slogans, un des plus repris dans les manifestations était “En Aucun Cas”.C’était une claire référence à l’article 59 de la constitution de la IVème République, amendé finalement le 31 Décembre 2002, 2/

qui portait initialement sur la limitation des mandats présidentiels en insistant sur le fait qu’en aucun cas nul ne pouvait exercer plus de deux mandats à la tête du pays.
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En 1992, cet article empêchait Gnassingbé Eyadema de se présenter aux élections de l’après transition ouverte par la conférence nationale souveraine. 4/

Tavio Ayao Tobias Amorin est né en 1958, en même temps que le Togo autonome. Et son destin court mais intense croise à plusieurs reprises les dates clés de l’histoire du pays. 5/

Il était le leader truculent et génial du Parti Socialiste Panafricain, secrétaire permanent du COD II et enfin président de la Commission Affaires Politiques et Droits de l’Homme du HCR. 6/

C’est à ce dernier titre qu’on le reconnaît comme un des pères de la Constitution de la IVè République togolaise. 7/

Après de brillantes études au Togo, il part en 1977 en France entamer un cursus qui le conduira à devenir Ingénieur en Informatique. C’est son travail dans le domaine du négoce de produits tropicaux qui le conduira à s’installer à Abidjan à son retour en Afrique. 8/

Il n’aurait pas pu revenir au Togo parce qu’il avait reçu des menaces d’un officier des FAT lors d’un séjour en 1980, entre autres en raison de sa parenté avec Merlot Lawson, également en exil après avoir été accusé de tentative d’assassinat sur Eyadema. 9/

C'est à la faveur de la loi d’amnistie de Juin 1991 qu’il pourra rejoindre son pays natal et participer activement à la construction démocratique. Tavio Amorin était la coqueluche des jeunes intellectuels togolais de l’époque, un tribun au verbe haut et au discours inspirant. 10/

Il était aussi fan de BD et de football. Et il n’était pas rare de le retrouver aux abords des terrains de Koketimé où il a grandi. C’est sa passion du foot qui a failli écourter sa vie 30 ans plus tôt lorsqu'il se cogne la tête au cours d'une partie. 11/

Fils unique unique d’une fratrie de quatre enfants, il faut imaginer la panique de sa mère qui fit à l’occasion appel à un docteur qui perdit la vie en Mai 1992: Marc Atidépé, assassiné lors de l’attentat de Soudou alors qu’il était aux côtés de Gilchrist Olympio. 12/

Tavio Amorin était un panafricaniste convaincu, admirateur de Nkrumah & Marcus Garvey. Sa philosophie était orientée sur la justice sociale et la solidarité nationale. Trois principes: la transparence, la volonté d’intégrer les défavorisés, la moralisation de la politique. 13/

A ce titre, vous trouverez ici une vidéo de son intervention à la conférence nationale en Juillet 1991. Son discours débute par ces mots qui résonnent jusque dans le Togo d’aujourd’hui: 14/

“Ils ont la force, ils pourront nous asservir. Mais on ne tient les mouvements sociaux ni par le crime, ni par la force. L’histoire est à nous et ce sont les peuples qui la font.” 15/

Début Juillet 1992, donc un an plus tard, l’euphorie des lendemains qui chantent est largement retombée. La Conférence Nationale Souveraine se termine par un succès relatif. 16/

Dès la fin, la querelle des chefs au sein de l’opposition togolaise permet à Gnassingbé Eyadema de reconquérir minutieusement, sournoisement dans une vague violence inouïe son pouvoir dont il a été dépouillé. 17/

Après l’attaque de la primature en décembre 1991, Joseph Kokou Koffigoh est un premier ministre de transition largement affaibli et aux pouvoirs réduits. Lâché par la frange radicale de l’opposition, il est obligé de composer avec un RPT ragaillardi. 18/

La mouture finale de la constitution issue de la CNS vient d’être transmise au gouvernement. Entre manœuvres dilatoires, querelles sur le cadre référendaire, tentatives de blocage du processus par le pouvoir, 19/

le référendum censé valider cette nouvelle constitution et prévu se tenir le 21 août 1992 est plus que menacé. C’est dans ce contexte que Tavio Amorin rentre à Lomé en ce mois de Juillet 1992 pour une réunion du HCR, l’organe législatif issu de la CNS. 20/

Sa mère qui a toujours craint pour sa vie à cause de son engagement politique désapprouve totalement ce retour, rassurée qu’elle était de le voir prendre le chemin de l’exil au Bénin après l’attaque de la Primature. 21/

Il avait coutume de répondre sur le ton de la boutade: “Si je dois mourir, autant que ce soit pour une bonne cause !” Le mercredi, elle le revoit enfin depuis son retour de mission de Syrie le lundi précédent. 22/

Elle le fixe longuement et il s’en émeut : "Mais tu me regardes tout le temps! (…) Ça me fait de la peine parce qu’un beau jour on va m’assassiner. Et ta douleur… Non je n’ose pas penser à ce que sera ta douleur. " 23/

Le jeudi 23 juillet, Tavio Amorin passe sa journée ds les réunions. En soirée, il est ramené par des amis en voiture au lieu où il se cache. Il ne dormait plus chez lui. Il demande à faire un dernier saut pour rendre visite à un membre de la famille malade à Tokoin-Gbonvié. 24/

C’est à ce moment qu’il est approché par un véhicule qui a l’air d’être un taxi. Deux personnes en descendent et l’un d’eux lui demande “C’est toi, Tavio ?” A peine a-t-il confirmé, qu’il est fauché dans la pénombre par une rafale de pistolet-mitrailleur à bout portant. 25/

Les assaillants prennent la fuite sous les cris du voisinage alerté par les coups de feu. La victime est transportée en urgence au CHU de Tokoin proche. Une intense hémorragie ayant nécessité plus de 15 litres de transfusion de sang rend son cas désespéré. 26/

Eyadema sous la pression des chancelleries occidentales prendra la décision de le faire évacuer à l’hôpital St Antoine de Paris. C’était sans compter sur une chaîne d’événements absolument ahurissants. 27/

L’ambulance sous double escorte franco-togolaise tombe en panne avant d’atteindre l’aéroport de Lomé. Rupture de courroie de transmission. 28/

Tavio Amorin porte curieusement des traces de blessures par armes blanches qui laissent à penser qu’on a essayé de l’achever durant son hospitalisation. Cela lui laissait peu de chance de survie. Il décède le 29 Juillet 1992 à Paris. Il avait 34 ans 29/

Sur le lieu de son agression, on retrouvera étonnamment trop de preuves dont un sac contenant les armes du crime et les cartes d’identité appartenant aux membres des forces de police KAREWE Kossi et BOUKPRESSI Yodolou. 30/

Malgré la plainte de la famille sur ces bases probantes mais suspectes, aucune enquête ne sera diligentée. Les deux présumés assassins se retrancheront dans le nord du pays, dans le fief du président où ils ne seront jamais inquiétés. 31/

Ds cette période où l’on n’est plus à un curieux hasard près, les obsèques de Tavio seront célébrées le 20 août 1992, la veille de la date théorique du référendum constitutionnel reporté à plus tard au final. Ce jour-là, on enterre avec lui, ses idéaux de justice et d’égalité.32/

L’article interdisant à l’exécutif de la transition de se présenter aux élections présidentielles et celui interdisant à tout membre des FAT d’exercer des fonctions politiques ne seront jamais transcrits dans la constitution. 33/

En effet, le pire est arrivé. La branche modérée du COD II s’asseoira avec Eyadema pour signer les 28 et 29 juillet, jour du décès de Tavio Amorin, les accords honnis de la commission mixte paritaire 34/

qui défont la substance les acquis de la CNS et ouvrent la voie à une candidature d’Eyadema et in fine à sa réélection. Dans son édition de Septembre, Jeune Afrique ne sera pas tendre avec les membres du COD II signataires de ces accords : 35/

“L’histoire retiendra que, autour de la table des négociations, en face de la « délégation présidentielle », il y avait Edem Kodjo, Yao Agboyibo, Jean Savi de Tové, 36/

Francis Ekon, Goyo Grunitzky, Bawa Mankoubi, Zarifou Ayéva, et Léopold Gnininvi. Sur l’autel de la compromission, les opposants ont cédé bien des choses au général Eyadéma.” 37/

La suite est connue, le 14 octobre 1992, le peuple togolais approuvera la constitution dénaturée de la IVème République. Eyadema sera élu en Mai 1993 pour un premier mandat puis réélu cinq ans plus dans des scrutins violents et contestés. 38/

Le 31 décembre 2002, l’article 59 de la constitution sera "toiletté" pour faire sauter la limitation de mandat et lui permettre de prendre part aux élections de 2003.
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En 1997, le gouvernement togolais offrira une compensation financière à la famille Amorin pour l’assassinat de Tavio. La proposition a été rejetée et la famille continue à demander que la lumière soit faite sur les événements qui ont conduit à la mort de leur fils. 40/

Toute la famille est partie en exil sauf la mère de Tavio qui est restée seule à Lomé pour demeurer près de la tombe de son fils unique. 41/

Justice pour Tavio Amorin ! Que sa voix continue d'inspirer la jeunesse togolaise sur le sens de l’engagement politique et de la justice sociale. 42/

Vous trouverez en supplément la retranscription de la dernière émission radio de Tavio Amorin, qui aura motivé la décision de son élimination physique. Lisez bien les principes qui sont défendus. letogolais.com/togo-les-derni…

Sources :

1. Togo Scoop Info : Tavio Amorin avait un sceptre à la main togoscoop.info/2021/07/tavio-…

2. Togo Scoop Info : Tavio Amorin aurait eu 63 ans !

togoscoop.info/2021/11/tavio-…

3. Le Monde : Funérailles sous haute surveillance de Tavio Amorin, l'opposant togolais assassiné lemonde.fr/archives/artic…

4. 27 Avril: 27 ans après l’assassinat de Tavio Amorin, Quel nécessaire bilan sur les Incessantes Trahisons du Combat du Peuple Togolais depuis bientôt 30 ans ? 27avril.com/blog/opinion/t…