Thread by @sirinesehil

Je ne sais pas trop par où commencer, je n’ai que rarement réussi à en parler, alors je me lance

Ce qui se passe en Iran actuellement me fend le cœur et fait écho à un traumatisme personnel. Je m’incline devant le courage des manifestant.e.s et leur voue un respect total. 1/

Chaque femme doit pouvoir s’habiller comme elle le souhaite, montrer ou couvrir son corps, être de telle ou telle religion et que ça soit un choix libre.
J’en parle très rarement, j’ai du mal, mais j’ai décidé de le faire, je ne sais pas pourquoi… 2/

Durant toute ma vie d’enfant et jusqu’à ma majorité, j’ai été forcée de me voiler par un géniteur converti qui ne tolérait pas que l’on ne soit pas à son image. Élevée 90% du temps par une mère athée, ne le voyant que peu, je ne me sentais pas reliée à la religion. 3/

Quand j’étais chez ma mère, j’étais moi. Quand j’étais chez lui, j’étais à lui. Il ne se gardait pas de me rappeler : « dans la religion, la fille et la femme appartiennent à l’homme, au père ». Et m’expliquait que je devais me couvrir parce qu’il était jaloux (wtf) 4/

Donc à mes 5 ans, on a sexualisé mon corps, on m’a expliqué que je devais me couvrir pour ne pas attirer le regard des hommes (oui à 5 ans). En grandissant, il me menaçait de me tuer s’il me voyait parler à ou jouer avec un garçon à l’école 5/

J’avais l’impression de sortir de mon corps et de ne plus être moi quand j’allais chez lui. Je me sentais seule, sale. Sale parce qu’on m’imposait quelque chose, et non pas parce que le voile est sale. En fait on m’a empêché de choisir pour mon corps. Et c’est ce qui me tuait. 6/

J’avais honte, encore aujourd’hui je ne sais pourquoi. Mais qu’est-ce que j’avais honte. J’étais juste dépossédée. Si je refusais de le porter, j’étais punie et enfermée à la maison sans le droit de sortir pour ne pas que « les hommes voient mon corps »…. 7/

Enfant et adolescente, j’aimais beaucoup m’apprêter (encore aujourd’hui). Me faire de jolies coupes de cheveux. Montrer mes cheveux. Arrivée chez lui je devais cacher ça. Quelle idée de vouloir, toi gamine, attirer le regard parce que tu as de jolies barrettes dans les cheveux 8/

À 16 ans, j’avais mis un jean slim. Interdiction de sortir assortie d’un « mais t’as pas honte on voit tes formes t’es habillée comme une pute ». Violence supplémentaire. C’était la mode et je voulais faire comme les autres ados 9/

À 18 ans, je me suis enfin rebellée, j’étais déjà militante depuis 3 ans, je prenais en force et en confiance. L’ultimatum : soit il me laisse m’habiller comme je le veux soit il ne me revoit plus. Il accepte. Naïvement je me dis que son amour pour moi dépasse sa religion. 10/

C’est en fait juste qu’il lui était impossible de perdre tout contrôle sur moi et de vivre h24 avec ma mère « mécréante ». J’étais SA fille, et non ma personne. Je lui appartenais.
Contente de cette victoire, je m’habille, m’apprête, heureuse 11/

Je voyais bien sa frustration, qu’il s’obligeait à taire. Et j’étais bien contente, je lui disais dans ma tête « cheh ». Et ma mère qui continuait à me forcer à le voir, le point Goldwin « c’est ton père ». Quand ça l’arrange. 12/

Et un jour, grosse dispute entre lui et moi. Je lui réponds. Il rétorque « dans l’islam on ne répond pas à son père tu m’obéis. Mais tu t’en fous de l’islam tu te couvres pas et tu pries pas ». Goutte de trop, je lui réponds que je ne suis pas musulmane, et que j’en ai marre 13/

Sa réponse : « alors islamiquement tu n’es plus ma fille. Tu es morte à mes yeux ». Violence suprême du père qui renie car ne supporte pas mon individualité. Paradoxalement, bonheur car liberté. Mon bourreau me laisse enfin libre 14/

À 18 ans donc, j’ai dû choisir entre garder mon père ou garder ma liberté. J’ai choisi de garder ma liberté d’amour. Si c’était à refaire, je referais le même choix 100 fois. Je ne voulais plus prétendre croire en une religion, porter un voile que je ne voulais pas. 15/

C’est parce qu’on m’a refusé de pouvoir choisir pour mon corps que je défends :
Mes sœurs qui VEULENT se voiler
Mes sœurs qui REFUSENT de se voiler
Laissez-nous simplement choisir pour nous. 16/

J’ai conscience de la différence : voile imposé par un père dans un pays où je suis libre. Là où des femmes meurent parce qu’on voit des bouts de cheveux dans une dictature islamiste.
Mais plus que jamais, une révolte féministe me touche. 17/

C’est la première fois que j’en parle publiquement, parce que le poids de ce que j’ai vécu me pèse depuis trop longtemps. Et les événements en Iran ont fait ressurgir ces douleurs.
À mes sœurs iraniennes, je vous soutiens.
Laissez nous choisir pour nos corps. 18/

Laissez-nous notre liberté chérie. Que dans le monde les femmes soient libres : libres du patriarcat, de la société sexiste.
Partout dans la monde, la relève doit être une #ReleveFeministe

Je m’engage durant toute ma carrière d’avocate et au-delà, à défendre toute femme victime de VSS, corps et âme, ad vitam aeternam.
Pour que plus jamais une femme ne se sente aussi seule que je me suis sentie.

PS : je dénonce cet homme qui est mon géniteur et non l’islam. Mes grands-parents maternels sont musulmans et m’ont montré une pratique bienveillante.
Je dénonce les dérives patriarcales. Et défends bec et ongles la liberté de religion parce qu’elle implique la liberté d’athéisme

Et ma liberté s’est concrétisée officiellement le 2 septembre 2022 lorsque j’ai enfin pris le nom de famille de ma mère, me dissociant totalement de cet homme.

Mea culpa. L’histoire est un peu floue du fait de l’amnésie traumatique.
L’ultimatum était bien à 18 ans, mais la rupture définitive s’est faite à 20 ans. CF les messages en question. Quelques jours plus tard il me dira au travers de mon frère que je suis morte à ses yeux.