Débriefing sémantique de l’ITW de #Bayou au @LeMonde. Remarque préliminaire : les questions posées sont plutôt bonnes et pertinentes. On perçoit la volonté de confronter Bayou à l’analyse et prise de parole féministe. Mais évidemment il sait le boulevard que Libé lui a ouvert.👇🏻
Autre remarque méthodologique: je vais reprendre ici seulement des extraits choisis. D’abord pour ne pas dévoiler le taf du Monde en entier, ensuite pour focaliser sur les éléments sémantiques qui me semblent significatifs. Je choisis donc 1 angle féministe, pas de « neutralité »
On remarque que très tôt dans l’ITW Bayou se pose instance de définition des violences psychologiques. Il pose lui-même l’élément qui selon lui est central à cette définition : celle de « l’intention ». Donc si il n’y a pas « d’intention », on ne serait pas dans ce cas de figure.
On s’interroge d’emblée sur cette définition. Si on est maltraité psychologiquement mais que l’auteur de ces maltraitantes n’a pas de « mauvaises intentions », on est juste dans le cadre d’une « rupture douloureuse »? Qui dès lors évaluerait les « intentions »?
On a ensuite l’inévitable point « justice » qui est un point rhétorique fondamental chez les anti-féministes ces dernières années. Pour ne pas être assimilé à eux, Bayou commence par un disclaimer : « Bien sûr la justice est défaillante ». Ce point permet d’introduire le MAIS
MAIS si on veut dénoncer les violences faites aux femmes on DOIT passer par la justice. C’est 1 position idéologique. Le militantisme est 1 forme de dénonciation en dehors du cadre judiciaire. Il ne s’y oppose pas & lui est complémentaire. Il est aussi garanti par l’Etat de Droit
Passons à l’inévitable point « Sandrine Rousseau ». Bayou sait évidemment qu’elle est une cible dans le débat public bien en amont de cette affaire. Cela le met très a l’aise pour d’emblée affirmer que TOUT LE MONDE partage son constat. Spoiler : non.
Et Bayou d’enchaîner très vite sur la « bonne définition » du féminisme. D’ailleurs, PLEIN DE GENS lui écrivent en privé pour dire que ÇA VA TROP LOIN. Un peu logique dans une société patriarcale hein ;)
Bon s’en suit un passage particulièrement gênant de posture paternaliste - surtout quand on parle de féminisme - sur les « nécessaires combats » et ce regrettable « dévoiement ». Gênant mais très mainstream. Donc forcément bankable.
La question suivante est pertinente ++ car c’est le propre de la lutte contre les VSS : interroger la distinction privé/public qui est 1 protection pour les agresseurs. Et Bayou de botter en touche par « les fins politiciennes ». Tiens on en revient aux « intentions » ;)
Traduisons : lui, en possiblement maltraitant psychologiquement des femmes, ne le fait pas vraiment puisqu’il n’a pas d’ « intentions » en ce sens. Par contre celles qui parlent de sa « vie privée » le font avec des « intentions » identifiées. La malfaisance, c’est donc elles !
On arrive à un point fondamental. Cette idée de « surveillance » brandie par Libé Je vous laisse lire ce que Bayou et sa défense entendent par là et déduire par vous-même le sens des mots et de la mesure qu’a eu @libe en la matière. Cela me semble se passer de commentaires.
Et on termine sur l’inévitable : Parlons des vrais sujets, ne perdons plus de temps avec ses diversions politiciennes. La gauche et l’écologie valent mieux que ça. #Ohwait
Petite private joke : apparemment qu’un mec fasse référence au « maccarthysme » pour parler de son cas fait beaucoup moins réagir que quand une féministe évoque la « chasse aux sorcières » à travers l’Histoire. Il y a pourtant un « petit » point commun sémantique ! 😉
On sent la force de ce #backclash où on voudrait ns faire « rentrer à la niche » : « c’est bon, on vs a assez entendues, on a assez fait les gars bien, maintenant arrêtez de faire chier ». Ce qui est sous-estimé c’est qu’on ne peut arrêter un mouvement de libération de la parole.
On ne peut pas arrêter et encore moins revenir en arrière. Dans un sens l’ITW de Bayou signe déjà sa « fin » comme homme progressiste. Car il se positionne clairement en porte-à-faux avec une dynamique collective d’émancipation.
Sur la question du cadre juridique et de cette question de « l’intentionnalité » brandie par Bayou pour se dédouaner de toute « violence psychologique »,
je vous renvoie notamment à l’expertise de @jjalmad
Ns sommes ds 1 moment extrêmement important aussi de ce point de vue. Moment où on mesure le retard des sphères francophones « desinfo » sur la lecture politique des mouvements réactionnaires contemporains. Les premiers à analyser ces mouvements aux US ne les voient pas ici.
C’est dû aussi à 1 dimension intrinsèque de la lutte contre la propagande : Il est illusoire de la « professionnaliser » comme si ça devenait exclusivement 1 « expertise » détachée de tt le reste. Parce qu’en réalité, le propre des enjeux discursifs c’est qu’ils ns impactent tous
Et bien évidemment, c’est plus compliqué de voir certains enjeux quand ils nous impactent et remettent en question notre position sociale, économique et autre. Il y a des offensives réactionnaires que des mecs ne percevront pas comme des femmes. Sauf quand cela leur rapportera :)
C’est intéressant parce que ça indique un truc sur la temporalité : être « clivante » en fait, c’est parler d’un truc qui n’est pas encore acquis dans le débat public. Ici sur les questions féministes, mais par le passé on l’a vu aussi sur plein d’autres questions. 👇🏻
Je me rappelle très bien il y a qqes années (presque 10 ans maintenant) quand à une poignée on a commencé à formuler la critique de la gauche « anti-impérialiste » et notamment de JLM. On était perçus comme super « clivants ». Aujourd’hui cette critique est tellement mainstream
Tellement mainstream que limite on doit s’en désolidariser tant elle est instrumentalisée. Je postule pareil pour les questions des luttes contre les violences faites aux femmes. Dans 10 ans tt le monde fera comme si il avait toujours pensé pareil
Vs réduisez aussi leur combat @MartineStorti Les Iraniennes sont d’abord en lutte contre la dictature, dont le voile imposé est en effet un symbole. Symbole d’une oppression globale, que bcp de femmes (voilées ou non) en Iran, en Syrie et ailleurs combattent avec la même force.
Vraiment je nous invite tou.te.s à ne pas dissocier la révolte iranienne des autres soulèvements que cette région du monde a connus ces dernières années. La lutte est celle contre l’autoritarisme. Si on fétichise le voile (dans un sens ou l’autre), on passe à côté de ça.
N’oublions pas que la propagande des dictatures s’appuie sur 1 double levier: l’antisystème (qui consiste notamment à se présenter en « Grand Résistant » face à « l’Occident ») et le civilisationnel (se présenter comme « garant de la civilisation »). Prenons garde aux 2 registres
On va continuer l’analyse semantique autour de Bayou par Libé : cette histoire de « surveillance ». Les mots ont un sens. De quelle « surveillance » parle-t-on? Parce qu’ici encore, au rayon donner à bouffer à la paranoïa mascu, @libe frappe fort.
On sait très bien à quoi renvoie ce mot dans les imaginaires politiques. Ça n’a d’ailleurs pas manqué : références à la Stasi et consorts. La dictature que veulent mettre en place les féministes comme tout le monde le sait.
Je bosse depuis des années sur les narratifs conspi, d’ED, pro-dictatures et plus largement réactionnaires. Le fait d’attribuer aux mouvements d’émancipation des caractéristiques dictatoriales est leur entreprise depuis 20 ans. Entreprise d’évidente inversion des réalités.
Outre la narration problématique de Libé sur Bayou - en mode « victime d’une cabale féministe en interne » - on a une minimisation des violences psychologiques. Comme si ce n’était pas vraiment « aussi grave » que les autres formes de violence. Et ça, ça arrange beaucoup de gars.
« Bah oui, c’est un connard avec les femmes, mais bon c’est pas pénal hein ». Toujours cette réduction au point « justice » pour balayer toute remise en question des logiques d’oppression. Comme si il fallait que ce soit judiciarisé pour que cela mérite d’être combattu et dénoncé
L’idée qu’il y aurait les « vraies violences » et les « bonnes féministes » qui les dénoncent, puis les « violences moins graves » & les « féministes à la dérive » qui en parlent, c’est 1 ersatz de rhétorique masculiniste. Opposer les femmes, distribuer les bons et mauvais points
J’ai hélas 1 longue expérience en tant que personne harcelée & il y a 1 truc dont on parle pas souvent et qui me saute aux yeux dans le cas de Rousseau : c’est celui de l’addiction des harceleurs à leur cible. Ici ce qui est frappant c’est qu’on assiste à une addiction collective
Toute personne harcelée le sait : le cœur de notre trauma c’est d’être stalké.e en permanence par nos harceleurs qui ne semblent vivre que pour suivre nos faits et gestes et pouvoir y réagir, de manière directe ou cryptique. C’est une forme d’intrusion extrêmement insidieuse.
Dans cette configuration on est complètement réifié.e sur l’autel de l’obsession de notre/nos harceleurs. En fait le propos n’est pas nous, mais l’objet de projection que nous sommes. Psychiquement c’est un enfer à vivre car nous sommes comme intégré.e.s à la psyché de l’autre.