Thread by @LiegePointBike

Ces images de Bruxelles font réagir. Pas tellement pour les dégâts (il ne s’agit que d’un peu de métal et de plastique) que pour les logiques qui sont derrière. Quelques éléments : ⬇️

https://twitter.com/alechat1/status/1584626641716015105

Vous avez probablement entendu parler de #GoodMove, un projet de la région bruxelloise, issu de plusieurs années de discussions et concertations, pour rééquilibrer un petit peu l’espace public en faveur de la majorité des habitants.

Rien d’exceptionnel : en super bref, il s’agit de changer des sens de circulation, et parfois de fermer quelques routes aux voitures, afin que les rues redeviennent un peu + des lieux de vie, et un peu - des tuyaux à bagnoles. Ça n’a vraiment rien d’un machin « anti-voitures ».

Comme souvent dans les villes, la majorité des habitants ne possède pas de voiture. La marche et les transports en commun permettent la plupart des déplacements. Et, à Bruxelles, on redonne enfin une place au vélo également.
La plupart des 🚙 viennent de l’extérieur de la ville.

Depuis quelques semaines, une minorité bruyante se fait entendre dans des séances de conseils communaux bruxellois, ou va démolir des nouveaux panneaux de signalisation comme sur les photos ci-dessus. Des gens pas d’humeur très constructive : ils menacent, insultent et cassent.

Le retour des gilets jaunes ? Des habitants qui se sentent trahis et se soulèvent contre des politiciens tyranniques ? Hélas, la réalité semble moins héroïque. Apparemment, la plupart de ces opposants menaçants ne sont pas du tout du coin… et parfois même pas Bruxellois.

Habitants de la périphérie utilisant Bruxelles comme une autoroute et un parking personnel, ils vivent mal qu’on leur demande de rendre une (petite) partie de l’espace public qu’ils privatisent afin que les gens qui vivent sur place et subissent leurs nuisances puissent respirer.

Ça peut sembler caricatural dit comme ça (et le format ultra court de Twitter n’aide pas). Mais, pourtant, il s’agit de bien peu de choses. Aucune interdiction d’utiliser sa voiture, aucune taxe, rien de « punitif ». La seule vraie demande qui est faite, finalement, c’est que…

…les 🚙 qui traversent un ou plusieurs quartiers utilisent les grandes routes conçues dans ce but : larges voies rapides, tunnels, etc. Et qu’on arrête de pourrir la vie des habitants des petites rues en les prenant comme « raccourcis » pour gagner 3 min. sur un trajet d’1 heure

Mais la voiture, ce n’est pas juste un moyen de se déplacer. C’est devenu, au fil des décennies, quelque chose de beaucoup plus gros et monstrueux que ça. La voiture, c’est devenu une vision du monde, un imaginaire, un truc qui a colonisé tous les cerveaux, souvent inconsciemment

Au fil du temps, la plupart des villes & villages ont été défigurés afin de favoriser la voiture. Ce qui a mécaniquement été nuisible pour tout le reste : la marche, le vélo, les transports en commun… et la vie en général, car les rues sont devenues de simples tuyaux à véhicules

Aujourd’hui, face aux murs climatiques, énergétiques, de raréfaction des ressources, alors que la pollution de l’air tue chaque année plus que n’importe quelle guerre, on réalise tout doucement qu’utiliser une 🚙 de 2T de métal pour transporter une personne n’a aucun sens.

Dès lors, il faut pouvoir redonner, au maximum de gens possible, la possibilité de se déplacer autrement, de manière moins coûteuse/énergivore, et en sécurité. Ça passe forcément par réduire un peu tous les privilèges qui avaient été conçus pour la voiture individuelle.

#GoodMove, quoi qu’on en dise, c’est complètement insuffisant face aux problèmes qu’on va se prendre dans la figure. C’est de la rigolade. Mais comme toucher à « la voiture » c’est remettre en question une grande partie du (dys)fonctionnement actuel du monde, ça crée des tensions

Et pas n’importe quelles tensions. On a pu voir, ces dernières semaines, que certains des casseurs menaçants à Bruxelles utilisent des méthodes d’action et des modes d’organisation que l’on voit généralement plutôt dans les milieux d’extrême-droite.

On ne va pas revenir ici sur toute l’histoire de la fascination pour la 🚙 par des doctrines d’extrême-droite et des régimes autoritaires tout au long du siècle dernier, et il ne s’agit évidemment pas de faire des amalgames à deux balles entre utilisateur d’un objet et idéologies

Mais le fait est que, qu’on le veuille ou non, la voiture sert aujourd’hui de véhicule, de support, à toutes sortes de choses plus ou moins crado : virilisme, masculinité toxique, culte de la puissance, domination d’autrui… Car des choix faits dans le passé ont mené à tout ça.

Il n’est donc pas surprenant qu’aujourd’hui des questions bien logiques de mobilité, de sécurité routière et d’énergie se retrouvent instrumentalisées par des logiques et des objectifs bien différents, et moins avouables.

Du jour au lendemain, des gens prétendent se tracasser pour « les pauvres habitants », les « malheureux automobilistes », etc. Utilisés comme paravents car il ne serait pas très malin de dire clairement qu’on veut juste préserver ses petits privilèges, au détriment de la majorité

Rajoutez à ça des politiciens d’opposition (et parfois même de la majorité) qui rajoutent de l’huile sur le feu afin de servir leurs intérêts électoraux, et qui ne se rendent pas compte (ou qui se fichent bien) des graves conséquences que ça aura sur autrui…

Au final, tout cela mis ensemble donne un bazar assez épouvantable, avec beaucoup d’hypocrisie, beaucoup d’idéologie, et finalement très peu de questions sur la mobilité et, plus largement, ce qu’on fait de l’« espace public ». Vous savez, les points de départ de #GoodMove

Et, à côté de ça, quand on prend la peine de demander aux habitants ce qu’ils en pensent (plutôt qu’à des périurbains se faisant passer pour ce qu’ils ne sont pas), et bien on dirait bien que la plupart sont très enthousiastes à l’idée des changements. Ce qui n’a rien d’étonnant.

Ce que veut faire #GoodMove, des centaines de villes dans le monde l’ont déjà fait. Toujours avec des oppositions minoritaires mais très visibles qui détournent les sujets. Puis, au final, tout s’améliore pour tout le monde, y compris ceux qui s’opposaient.

Bref, ce qui se passe à Bruxelles était parfaitement prévisible. Ce qui est plus surprenant, par contre, c’est le niveau de violence et le manque de nuance. Oui, c’est pareil pour tous les gros sujets de notre époque, et c’est renforcé par les « réseaux sociaux ». Mais quand même

#GoodMove n’est qu’une petite chose. Insuffisante, mais nécessaire. Après coup, on ne retiendra sûrement que son succès, logique, comme celui de centaines d’autres ailleurs avant lui. Mais que de violence et d’énergie gaspillée pour en arriver là. Le prix des erreurs passées…