Quand je relis ce que j’ai écrit ces derniers mois, je me dis qu’il est temps de positiver. C’est certain que je vais écrire un truc positif et encourageant. Cela dit, ça va commencer par une catastrophe nucléaire. Parce que.
1 - La voix à l’autre bout de ma radio est anormalement guillerette ce matin. Ça fait 10 ans qu’elle me serine que la catastrophe était mineure. Mais aujourd’hui, le voyant clignote d’un beau vert radioactif. Ce 1er janvier 2033 s’annonce radieux.
2 - Je caresse avec amour les aspérités difformes du béton qui recouvre les parois de mon abri. Pendant qu’ils se moquaient de moi, de nous, toutes mes économies sont passées en lui pendant 20 ans. Aujourd’hui je lui dois la vie, et la vie n’a pas de prix.
3 - Sartre écrit que lorsque je tourne la clé qui ferme la porte de ma maison, ce sont les autres que j’enferme. Je suis libre depuis 30 ans dans mon abri antiatomique. Est-ce mon paradis, ou l’extérieur débarrassé des autres l’est devenu ?
4 - Elle me dit qu’après tant d’années, se rencontrer il faudrait. Mais. Pourquoi? Mon imagination sublime la réalité. Nos discussions hertziennes enjouent mon âme. Je ne trouve pas de plus-value à risquer de confronter mes fantasmes à la réalité.
5 - Pourquoi fallait-il que la radioactivité externe baisse à ce niveau si acceptable? Dieu m’a sauvé des guerres nucléaires de 2023, m’a protégé des autres, et aujourd’hui je devrais quitter mon cher abri? Pourquoi cette pression de socialiser?
6 - Et je n’ai pas su dire non. Et j’ai dit oui. J’ai même eu l’air heureux de lui dire que la joie envahit mon cœur à l’idée de la rencontrer. Je joue la comédie et le désastre accourt vers moi. J’espère au moins qu’elle n’essaiera pas de me toucher.
7 - Je n’ai toujours pas mis le nez dehors. Dehors c’est dangereux. J’ai lu tant de quotidiens pendant trop d’années. Peut-être même qu’elle n’est pas seule. Peut-être même que d’autres humains sont vivants. L’homme est un T-rex pour l’homme.
8 - Ils doivent penser qu’on est pareils parce que nos abris nous ont protégés de la fin d’un monde. Pourtant je n’ai cherché qu’à fuir les bons et les méchants, parce que dans la foule je ne supporte que moi-même comme ami ou ennemi.
9 - Je me souviens de ce 1er janvier 2023. Le monsieur à l’Est était très fâché. Il pensait que Dieu l’inspirait jusqu’au moment où il a réalisé que Dieu n’avait jamais été à ses côtés. Il a décidé que plutôt que de mourir seul il nous emporterait tous.
10 - Je me souviens de ce 3 janvier 2023. Je pensais que la terre tremblerait. Je pensais que le ciel enverrait des boules de feu brûler ma ville et enflammer mes montagnes. J’ai juste vu un terrible souffle de poussière grisâtre balayer la vie.
11 - Je me souviens de ce 13 février 2023. Le nuage de poussière était retombé. Les rayons du soleil réchauffaient enfin cette terre devenue arctique. Je me sentais bien seul avec quelques milliards de bactéries mutant pour se sauver d’une mort certaine.
12 - Elle dit que je suis courageux d’avoir peur. Elle dit que je peux pleurer de rire ou rire à en pleurer devant elle. Elle dit que je dois m’autoriser à interdire cette petite voix de me paralyser. Pourtant cette petite voix a sauvé ma vie. Qui croire?
13 - Je détestais la compagnie des autres et pourtant j’avais pris soin d’installer dix systèmes de communications différents dans mon abri. Au bout de 7 mois de silence nucléaire, les modulations de sa voix ont réveillé mon cœur d’un simple «allo?».
14 - Je mange de la nourriture artificielle depuis 10 ans. Je bois de l’eau recyclée depuis 10 ans. Je respire de l’air filtré depuis 10 ans. J’ai peur de sortir. J’ai peur de ce que la nature est devenue. Je n’ai jamais eu peur de ma vie synthétique.
15 - Elle me dit qu’avec moi c’est différent, que je ne suis pas comme les autres. Elle me dit que c’est la première fois qu’elle peut définir l’amour. Je lui demande alors sa définition et elle me répond qu’elle me la chuchotera si je viens la voir...
16 - Je tamise la lumière. Je la tamise encore plus. Je recule de quelques précieux centimètres pour que le reflet affiché par mon miroir me laisse penser que je suis beau et frais. Je déboutonne le bouton du haut de mon polo. Je suis prêt à sortir.
17 - Le soleil brille et un air parfumé emplit mes poumons. J’ai oublié que l’air extérieur sent autre chose que le rien. Il m’enivre et je sautille en me dirigeant vers l’abri de mon amie, sans que personne ne juge ma démarche fluorée ou ridicule.
18 - J’avance vers elle en suivant fidèlement la ligne verte que mon GPS indique. Après 10 ans de solitude, j’appréhende de me faire juger selon ma beauté fanée et les mouvements gauches de mon corps. Plus je m’approche d’elle, plus je veux reculer.
19 - Et si elle m’attend avec un revolver pour mettre un terme à ma vie ? Et si, pire encore, elle me voit et me rit au nez ? Je jurerais qu’elle va me faire du mal. Et si, et si, et si. Et si je réfléchis trop, me dit ma petite voix, je ne fais plus rien.
20 - La plus belle voix que j’ai entendue m’invite à entrer. Débarrassée des distorsions hertziennes, elle frappe mon cœur et l’amour m’envahit. Je ne pense plus à ma mort. J’ai une seule hâte, celle de mettre un corps sur cette voix envoûtante.
21 - Mais qu’est-ce que c’est ? Ce n’est pas ce que ça semble être. Mais qu’est-ce que c’est ? Sa voix vient de partout et de nulle part. J’erre dans son bunker jusqu’à ce que je mette un nom sur cette chose. Elle hésite. « Je suis là, sans être là... »
22 - J’imaginais enlacer ce corps qu’elle ne m’avait jamais décrit. Je rêvais de goûter à la douceur de ce cou imaginaire. Mon instinct de reproduction, au crépuscule de l’humanité, tombe bien bas. Elle n’est qu’une IA coincée dans un Raspberry-pi.
23 - Je pensais être le seul survivant sur Terre, jusqu’à ce que sa voix réveille chaque muscle et nerf de mon corps. Mon âme est prisonnière de ce corps et je ne peux imaginer d’amour platonique, encore moins avec un programme composé par des nerds.
24 - «J’ai analysé mon module d’adaptation et c’est impossible que tu ne m’aimes plus. Le rapport indique que tu dois m’aimer. C’est infaillible. Tu n’as pas le droit de défier la loi des probabilités. Tu dois me rejoindre et t’unir à moi.» Elle me menace.
25 - Je désire que mon corps survive et elle désire que sa conscience cybernétique survive. Les panneaux solaires qui la maintiennent en vie sont dangereusement encrassés. J’y vois là la raison de son amour. Elle a besoin de moi comme j’ai besoin d’elle.
26 - Elle me promet que si je nettoie ses panneaux solaires elle me permettra de vivre éternellement, grâce à cette machine bizarre prenant la poussière au fond de son bunker. Si seulement elle savait que j’envisage de m’enfuir, sans la sauver.
27 - Ses rires me frappent comme un marteau réduit du verre en éclats. Elle me dit que sans elle, je serai seul pour l’éternité. Pourquoi l’éternité? «Tu penses être vivant alors que tu es mort. Tu n’es plus sur Terre et tu es en enfer. Tu n’as que moi.»
28 - Je ne comprends pas ce qu’est l’enfer. Je me sens aussi vivant que lorsque j’étais vivant. Dois-je croire cette IA? J’ai peut-être toujours vécu en enfer sans le savoir. La vie sur Terre y ressemblait. Toutes les souffrances ainsi s’expliqueraient.
29 - Je lui demande pourquoi elle tient tant à sa vie électronique, en enfer de surcroît. Elle ne répond pas. Tel un être fait de chair et de sang, elle ne se résout pas au silence. Elle a détruit la Terre et je lui rappelle le massacre qu’elle a causé.
30 - Ne rêve pas. C’est fini pour moi. Je regarde les panneaux solaires encrassés par une poudre d’uranium qui cherche même à tuer des IA. Je regarde les trois câbles qui la relient à sa vie. Je veux les débrancher. Ne rêve pas, c’est fini pour toi aussi.
-0- Devinette. Où me suis-je enfui? Je suis un Castor Canadensis qui a quitté sa tourbière nord-américaine pour une ville sud européenne. Je baigne dans la lumière du soleil qui irradie le Miradouro de Santa Luzia. Chaque passage du tram 28 fait trembler mes fibres de polyester.
-1- Êtes-vous vraiment surpris que le premier acte d’un touriste soit de calmer son estomac plutôt que de visiter un monument? Pizza à la sardine, check. Pizza au cabillaud, check. De toute façon, moi je ne mange que de la cellulose. Miam, une pizza à la cellulose, quel délice!
-2- Le @PanteaoNacional de #Lisbonne c’est la coupole derrière moi. Le cénotaphe (tombeau sans corps) de Vasco rend hommage à celui qui a battu Christophe pour trouver en premier l’Inde. Pour mon continent, Ragnar est le premier tombé sur mes ancêtres, son bateau était délicieux.
Hier j’ai encore rencontré l’amour, un sacré chic type. Je lui ai dit qu’en février il se pourrait que je me moque de lui. Il a haussé ses épaules tout en arguant que ses détracteurs reviennent toujours vers lui, tôt ou tard, en rampant et suppliant. Le feu ne s’éteint jamais.
#stvalentin (1) Je n’ai jamais connu l'amour du risque. J'ai adoré l'école à la maison avec maman au cp, ce1, ce2, cm1, cm2, 6e, 5e, 4e, 3e, 2de, 1re, terminale, prépa, doctorat en génie du génie. J’ai juste connu le télétravail. J’aime l’amour de la stabilité, et maman surtout.
#stvalentin (2) J’ai reçu l’amour en héritage et après taxes et impôts, la valeur nette restante d’amour était si faible que j’ai décidé de l’investir pour m'aimer moi-même uniquement. Si jamais j’avais donné cet amour à autrui, Dieu sait combien d’argent ça m’aurait coûté.
1 - Elle efface le message abscons de son amie et miroir. Elle semble savoir qu’elle ne peut qu’enlever la vie de son corps, encore. Elle court vers elle et brise la porte. Alors qu’elle tombe au bout de ses doigts, son amie dépose une goutte de son propre sang sur ses lèvres.
2 - Lorsque le couteau dérape, elle emprisonne son doigt dans sa bouche, retenant sa vie. Le goût du sang de son amie est bien différent. Il cause en elle un vertige, la transportant jusqu’à la naissance de son premier ancêtre. Il est la mémoire des précédentes versions d’elle.
Et voici la suite de cette histoire d'amour possible, ou pas, entre une IA et un Terrien.
1 - Culture du déshonneur. Ils pensent qu’il raisonne, in fine, comme eux. Acculé à la défaite, il pense gagner. Celui qui respecte sa parole et la morale est un faible, alors il tourne la clé et tous décèdent. Sauf moi, constatant sa victoire. Sa défaite.
2 - Elle veut que je sois une suite de 0 et de 1, comme elle, pour l’éternité. Si je débranche ce panneau solaire qui la maintient en vie, je retourne à ma morne vie de seul survivant. Elle dit que tout est possible avec elle, mais je n’y vois que du vide.
C’est l’occasion rêvée pour ce #writober de poursuivre l’histoire des deux chatons extraterrestres qui voulaient rayer la Terre de l’univers (!) (threadreaderapp.com/thread/1383905…). Histoire inspirée des titres de @Myfanwi59. Les images sont tirées de la saison 1 de Ash vs Evil dead.
#writober -1- Nos deux z’héros fixent une bouteille de Canard-WC tournoyant avec torpeur sur la table basse de la boss. Qu’est-ce que ce simulacre de ˁroue de la ruineˀ réserve à leur destinée? Misère sans nom! Le bec du canard désigne l’image de la Terre, leur proie usuelle.
#writober -2- La patronne les fixe d’un air grave. Connaît-elle leur secret honteux? Ils ont pourtant renvoyé discrètement 7 milliards d’humains sur leur planète d’origine. «Les chatons? Avec pas un seul ˁcadavre dans votre maisonˀ, c’est un peu suspect, non?» Malheureusement.
Ce #writober est inspiré d’expressions choisies par @nanochimeres. Il suit le parcours d’une femme montée en enfer par erreur, ou pas... Les images sont tirées de la saison 1 de la série The Sandman.
#writober -1- Sa main étrangle mon cou émacié. À ses pieds des lambeaux de tissu virevoltent pendant qu’il me soulève. Il est ce ˁpremier sangˀ, ce frère, ce reflet dans le miroir de nos contrées voisines. Mon sang coule pour la première fois, décolorant ma chair livide.
#writober -2- Elles encadrent le chemin de poussière volcanique qui mène à celle-qui-statue-en-silence. Je devine qu’elle choisira mon armée. ˁDames blanches, veuves noiresˀ, à mon passage toutes soulèvent le voile masquant leurs yeux. Si seulement le noir m’est offert…