Vivons-nous sous la dictature du présent ? Plus généralement, comment a évolué notre rapport au temps ? Ces questions fondamentales sont celles que pose François Hartog dans « Régimes d’historicité », un ouvrage incontournable entre histoire, philosophie et anthropologie. 1/25
Tout d’abord, il est essentiel de bien comprendre le concept de « régime d’historicité ». Une partie de la définition est contenue dans le sous-titre du livre : il s’agit d’une expérience du temps, une manière de se représenter le passé, le présent et l’avenir. 2/25
Ces trois dimensions du temps - passé, présent et avenir - ne sont pas indépendantes. Elles s’articulent dans un « ordre du temps », une hiérarchie temporelle dans laquelle une importance particulière est donnée à une ou plusieurs de ces dimensions. 3/25
Sans prétendre donner une liste exhaustive des régimes d’historicité, François Hartog en distingue cinq : les régimes « héroïque », « passéiste » (que l'auteur appelle plutôt « l'histoire maîtresse de vie »), « chrétien », « futuriste » et « présentiste ». 4/25
Le régime d’historicité héroïque est le premier qu'il a identifié, en s’intéressant aux travaux de l’anthropologue Marshall Sahlins sur les sociétés polynésiennes. Dans ce régime, c'est le passé et le présent qui comptent le plus. 5/25
Le passé en question est mythique. Les Maoris sont d'« habiles mythologues », pour qui « le passé est comme une vaste réserve de schèmes d’action possible, où l’on va des mythes d’origine aux souvenirs récents ». Et ce qui est retenu, c’est d’abord l'héroïsme des rois. 6/25
Les mythes héroïques du passé sont aussi continuellement actualisés, car « on ne fait l'expérience du passé que dans le présent ». Il n'y a pas de coupure entre ces deux dimensions du temps : elles semblent coexister. 7/25
Le régime d'historicité héroïque des Maoris ne leur est pas absolument spécifique. Il a en effet des points communs avec « l'histoire maîtresse de vie », qui a été « le grand modèle historiographique » en Europe jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. 8/25
C'est au passé que ce régime d'historicité accorde le plus de valeur. C'est pourquoi on parle aussi de « passéisme » pour le qualifier. Ce passé n'est pas forcément mythique, mais il est toujours dispensateur d'exemples. 9/25
Cela dit, avec la christianisation de l'Europe, le « passéisme » n'est plus le seul « ordre dominant du temps » : l'incarnation du Christ ouvre « un temps nouveau » marqué par une attente eschatologique, celle du Jugement dernier. 10/25
Le christianisme a ainsi ouvert une faille, ou une « brèche », selon le mot de Hannah Arendt : une fracture dans l'ordre du temps qui fait émerger une nouvelle représentation de l'histoire. Pendant des siècles, les régimes chrétien et « passéiste » dominent les esprits. 11/25
Mais en 1789, la Révolution française ébrèche à nouveau l'ordre du temps : l'« histoire maîtresse de vie » et le régime chrétien d'historicité passent progressivement à l'arrière-plan au profit d'un nouveau régime, tendu vers l'avenir : le « futurisme ». 12/25
Un auteur comme Chateaubriand est à la charnière du « passéisme » et du « futurisme ». Dans son « Essai sur les révolutions », paru en 1797, il écrit : « Le flambeau des révolutions passés à la main, nous entrerons hardiment dans la nuit des révolutions futures. » 13/25
Cette déclaration est fidèle à l'« histoire maîtresse de vie » (« tout fourmille autour de nous de leçons et d'exemples », dit-il aussi), mais dans la préface de l'édition de 1826, il se montre pour le moins sceptique vis-à-vis des leçons du passé. 14/25
Pour Chateaubriand, l'histoire va en fait trop vite : « Je commençai à écrire l'Essai en 1794, et il parut en 1797. Souvent, il fallait effacer la nuit le tableau que j'avais esquissé le jour ; il survenait une révolution qui mettait toutes mes comparaisons en défaut. » 15/25
Du fait de cette accélération du cours des événements, l'« ordre dominant du temps » ne peut plus être le « passéisme » : selon Reinhart Koselleck, cité par François Hartog, le champ d'expérience (le passé remémoré) se décorrèle de l'horizon d'attente (le futur attendu). 16/25
Quant au régime chrétien d'historicité, il s'affaiblit en raison du recul de la foi chrétienne en Europe. Le régime « futuriste » a dès lors le champ libre pour s'installer, et il ne s'embarrasse pas du champ d'expérience pour poser un horizon d'attente. 17/25
Celui-ci est radicalement neuf : c'est celui du « Progrès », qui impose « la domination du point de vue du futur » : des « lendemains qui chantent » promis par les communistes à l'éloge de la vitesse faite par les futuristes italiens, il s'agit de faire table rase du passé. 18/25
Bien sûr, cette foi dans l'avenir a été une source de désillusions : les guerres mondiales, les totalitarismes, la menace nucléaire et bien d'autres malheurs « ont ébranlé, voire récusé le futurisme » tout au long du XXe siècle. 19/25
Craquelé de toute part, l'ordre du temps du « futurisme » se serait effondré avec le mur de Berlin, en 1989 : l'échec du « socialisme réel » serait celui de toutes les philosophies de l'avenir. 20/25
Aujourd'hui, nos représentations du temps seraient donc dominées par la perception du présent : l'avenir n'est plus prometteur, l'histoire n'est plus « maîtresse » : ces dimensions du temps « se trouvent comme désarticulées » l'un par rapport à l'autre. 21/25
Ne reste plus que le présent ; un présent « omniprésent » sous la forme du « présentisme ». Il absorberait le futur, comme dans les appels à la révolution (le « tout, tout de suite » de mai 68), … 22/25
… mais aussi le passé, en abolissant la distance temporelle entre l'événement et sa commémoration historique (en 1994, le président Mitterrand est interviewé comme s'il était déjà mort, un fantôme de l'histoire !) 23/25
La mémoire et la patrimonialisation peuvent rappeler le régime d'historicité « passéiste », mais selon François Hartog, ce sont des instruments présentistes : le passé commémoré ne serait qu'une extension d'un « présent inquiet » de se trouver seul. 24/25
Même la patrimonialisation de l'environnement, pensée pour les générations futures, découlerait du présentisme : par ce biais, le présent prétend contrôler l'avenir.
Bref, nous vivrions dans un temps désorienté, perdu entre deux abîmes, comme le présageait déjà Paul Valéry. 25/25
Renverser le capitalisme par une stratégie de long terme et refuser la révolution violente ? L’ambition d’une société britannique fondée le 04 janvier 1884 : la Fabian Society. Fil 1/5
Elle regroupe des intellectuels socialistes de renom. Ces militants prennent le nom du général romain Fabius dit le « temporisateur » ayant combattu Hannibal par une stratégie indirecte, en le harcelant pour mieux l’affaiblir. Leur mot d'ordre: « Éduquer, Agiter, Organiser » 2/5
Les Fabiens comptent des noms prestigieux, tels Georges Bernard Shaw ou Sidney Webb. Comme le général Fabius face à Hannibal, ils pensent affaiblir le capitalisme sur le long terme pour mieux le renverser et le vaincre. 3/5
A Crécy le 26 août 1346, une armée anglaise défait l’armée française deux fois supérieure en nombre. Les raisons et circonstances de cette défaite sont éclaircies grâce au premier livre de David Fiasson. Fil. 1/25 @EditionsPerrin
Rappelons le rapport de force : 12 000 soldats au service du roi d’Angleterre Edouard III, dont une majorité d’archers, contre 25 000 soldats du roi de France Philippe VI : principalement des hommes d’armes, et arbalétriers en appoint. 2/
L’Angleterre est alors une puissance bien moins puissante et peuplée que le royaume de France en 1346. Les 15 à 20 millions de Français dépassent de loin les 5 millions d’Anglais. Cependant, la situation militaire est plus nuancée 3/
Quelles histoires de France s’incarnent dans son équipe nationale de football ? Voici l’ambition de François Da Rocha Carneiro, dans un ouvrage appelé à faire date. 1/20 Thread @APHG_National@FDaRochaC
Une histoire de France en crampons, préfacée par Patrick Boucheron, nous fait découvrir une suite de vignettes : des moments de vie et de sport, illustrés par des matchs emblématiques. Ces évènements nous proposent, en effet, un certain récit de la France. 2/20
L’étude ne porte pas seulement sur les choix tactiques et stratégiques, les performances de l’équipe, mais, surtout, sur les visages de la France représentés dans son équipe de football masculine. 3/20
Vous connaissez tous Voltaire ou Rousseau, mais avez-vous déjà entendu parler de l'abbé Bordelon ou de Françoise de Graffigny ? Dans «Altermodernités des Lumières», Yves Citton redonne la parole à des auteurs oubliés et inclassables, qui incarnent une modernité «autre». 1/25
Si ces auteurs ne font pas partie du canon philosophique et littéraire, c'est notamment parce que leur pensée dépasse les clivages trop simples : modernité et tradition, science rationnelle et croyance religieuse, émancipation individuelle et attachement à des collectifs. 2/25
C'est pourquoi Yves Citton reprend à Antonio Negri et Michael Hardt le concept d'altermodernité. Être altermoderne, c'est être sceptique vis-à-vis des bien-fondés d'un certain héritage de la modernité (individualisme, scientisme, rejet ferme des croyances, ...), 3/25
L’ouvrage de David Todd nous confronte à un paradoxe : comment un empire peut se construire sans se développer territorialement, ou presque. 1/20
Les conquêtes territoriales françaises sont réduites, en comparaison de celles britanniques ou russe jusque dans les années 1880. Cependant, un impérialisme s’est bien développé depuis la chute du Premier Empire. 2/20
En effet, le paradoxe n’est qu’apparent. Par la diffusion de sa culture, la puissance financière, et sa politique d’influence auprès de certaines élites extra-européennes, l’« impérialisme informel » français se développe progressivement. 3/20
Aujourd'hui, l'@AJCHistoire publie son premier thread de vulgarisation d'histoire ! Un thread sera rédigé chaque semaine pour présenter un ouvrage, un article ou tout simplement un sujet historique. Pour commencer, @BounouaSamy évoquera une œuvre majeure de Karl Jacoby. 1/25
Cette œuvre, c'est donc «Crimes contre la nature». Publiée pour la première fois en 2001 et traduit en français l'année dernière par @Anacharsis_Edit, elle porte sur la face sombre de l'histoire de la conservation de la nature aux États-Unis. 2/25
Mais avant de mettre en lumière cette face sombre, il convient de revenir sur les origines de la politique environnementale américaine, une politique pionnière à maints égards, portée par des grands noms de l'histoire de l'écologie tels que John Muir ou George Perkins Marsh. 3/25