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Feb 24 26 tweets 6 min read
« De toutes les politiques qui signalent la continuité avec le temps des colonies, celles de la nature sont au premier rang. » Cette affirmation de Guillaume Blanc n’est pas exagérée : en Afrique, la protection de la nature repose sur des représentations coloniales. 1/25 Image
En effet, l'Afrique apparaît comme un espace que les hommes n'ont pas su s'approprier suffisamment ; un Éden fait de savanes, de déserts et de forêts, dont le souverain serait le lion régnant sur la faune sauvage. C’est l’Afrique de Walt Disney et de National Geographic. 2/25 ImageImage
Mais cette représentation est aussi celle des institutions internationales. La liste du patrimoine mondial de l’Unesco en offre une illustration : la moitié du patrimoine culturel se situe en Europe, le quart du patrimoine naturel se trouve en Afrique. 3/25
« Il y aurait le génie de la culture chez les uns, et la beauté de la nature chez les autres », commente Guillaume Blanc. Et quand on se rappelle qu'il existe des Africains, c'est pour se les figurer comme une menace écologique. 4/25
Par la chasse, la déforestation ou l’agriculture, « l’Africain » dégraderait inévitablement son environnement. Par ailleurs, sa démographie jugée exubérante serait la cause de l'érosion des sols et des ressources, et donc de la misère dans laquelle il se trouverait. 5/25
Cette image de « l’Africain » est un produit de la colonisation. Dès la fin du XIXe siècle, les naturalistes et forestiers occidentaux affirment que la nature africaine est en danger : l’agropastoralisme aurait gravement desséché les sols et déforesté le continent. 6/25
Cette idée repose par des enquêtes biaisées. Par exemple, dans « The Rape of the Earth », écrit en 1939 par Graham Jacks et Robert Whyte, la « preuve » de la dégradation du continent n’est apportée que par une recherche menée en 1919 dans une région de l’Afrique du Sud. 7/25
En fait, c'est la colonisation qui engendre un « choc écologique » : entre 1888 et 1892, l’importation de bovins européens touchés par la peste, provoque des épizooties et des épidémies ; pendant des décennies, les Occidentaux chassent sans souci pour la conservation … 8/25 Image
En outre, la colonisation engendre une déforestation sans précédent : en quelques décennies, des dizaines de millions d’hectares de forêts sont convertis en terres de culture. Malgré tout, pour les experts de l’époque, la nature africaine doit être protégée des Africains. 9/25
Des parcs nationaux sont donc créés. Le premier est le parc Albert (aujourd’hui le parc Virunga), inauguré au Congo en 1925. L’année suivante, le parc Kruger voit le jour en Afrique du Sud. Ces sanctuaires sont souvent d’anciennes réserves de chasse. 10/25 Image
Le fait est que la « mise en parc » de l’Afrique a notamment été voulue par d’anciens chasseurs, des « bouchers repentis » comme on les appelle déjà. Leur objectif est de réguler la prédation et de préserver la faune de la cruauté des Africains. 11/25
En 1928, une étape est franchie avec la création de l’Office international de documentation et de corrélation pour la protection de la nature. Cinq ans plus tard, les puissances coloniales adoptent officiellement un « régime spécial pour la conservation ». 12/25
Ce régime doit être appliqué dans les parcs : « la chasse, l’abattage ou la capture de la faune, et la récolte ou la destruction de la flore seront limités ou interdits ». Les habitants sont sommés de quitter leurs territoires, mais les safaris restent autorisés. 13/25 Image
« La décolonisation n'entraîne aucun changement de paradigme ». Dès les années 1960, les administrateurs coloniaux se reconvertissent en experts internationaux. Ils intègrent alors des institutions reconnues comme légitimes, mais dont les racines sont impériales. 14/25
Par exemple, l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), fondée en 1948 n’est que le nouveau nom de l’Office international de documentation et de corrélation pour la protection de la nature. Quant au « régime spécial », il devient le « projet spécial ». 15/25
Il s’agit toujours de bannir les habitants des espaces qu’ils mettraient en danger. Et pour défendre ce projet, les experts de l’environnement relayent encore des mythes qu’ils présentent comme scientifiques.
Parmi ces mythes, il y a notamment celui de la « forêt perdue ». 16/25
Au début des années 1960, la FAO estime que les forêts ne couvrent plus que 4 % de la surface de l’Éthiopie, contre 40 % en 1900. Or, ces chiffres n’ont pour base que des observations visuelles indirectes et partielles. Ils ont même été volontairement exagérés. 17/25
Qu’importe pour les experts, ils les prennent pour argent comptant et les citent inlassablement dans leurs rapports ; rapports qui fonctionnent comme des « textes-réseaux », selon la formule empruntée au sociologue Michel Callon. 18/25
books.openedition.org/pressesmines/1…
« Sans cesse plus nombreux, ils circulent toujours davantage, et plus ils sont partagés, plus ils sont acceptés. » Le consensus devient, à tort, synonyme de vérité.
Cela étant dit, cette politique n’est pas seulement le produit du « colonialisme vert » occidental. 19/25
Elle résulte de la volonté des États africains, pour qui les parcs nationaux sont une source de pouvoir (contrôle des populations), de prestige (classement au patrimoine mondial de l’Unesco) et de revenus (tourisme international). 20/25
Les habitants des espaces protégés sont les grandes victimes de cette politique. Comme au temps des colonies, la chasse, l’agriculture et le pastoralisme y sont punis d’amendes, voire de peines de prison. Au moins un million de personnes ont été expulsées des parcs. 21/25
Force est de constater que l’environnementalisme impose un double standard. Dans le parc national des Cévennes, l’Unesco soutient l’agro-pastoralisme, « indispensable à l’entretien des milieux ouverts et donc au maintien de la biodiversité et à la qualité des paysages » ; 22/25 Image
dans le parc du Simien, en Éthiopie, l’agro-pastoralisme est accusé de détruire la forêt, les sols et la vie. Pourtant, l’impact écologique réel de ses habitants est extrêmement faible, contrairement à celui des anciennes puissances coloniales. 23/25 Image
Les inégalités environnementales sont d'autant plus criantes que les expulsions aggravent la pauvreté, « car aucune compensation ne peut remplacer ce qui a été perdu » : le lieu de vie, les biens collectifs, les réseaux d’entraide, toute une manière d’être au monde. 24/25
Certes, les mots ont changé : jusqu’aux années 1970, il fallait « libérer les parcs de la présence des communautés humaines  ; aujourd'hui, on promeut un modèle « communautaire » de développement et de conservation. Mais derrière les mots, la violence demeure. 25/25 Image

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