« De toutes les politiques qui signalent la continuité avec le temps des colonies, celles de la nature sont au premier rang. » Cette affirmation de Guillaume Blanc n’est pas exagérée : en Afrique, la protection de la nature repose sur des représentations coloniales. 1/25
En effet, l'Afrique apparaît comme un espace que les hommes n'ont pas su s'approprier suffisamment ; un Éden fait de savanes, de déserts et de forêts, dont le souverain serait le lion régnant sur la faune sauvage. C’est l’Afrique de Walt Disney et de National Geographic. 2/25
Mais cette représentation est aussi celle des institutions internationales. La liste du patrimoine mondial de l’Unesco en offre une illustration : la moitié du patrimoine culturel se situe en Europe, le quart du patrimoine naturel se trouve en Afrique. 3/25
« Il y aurait le génie de la culture chez les uns, et la beauté de la nature chez les autres », commente Guillaume Blanc. Et quand on se rappelle qu'il existe des Africains, c'est pour se les figurer comme une menace écologique. 4/25
Par la chasse, la déforestation ou l’agriculture, « l’Africain » dégraderait inévitablement son environnement. Par ailleurs, sa démographie jugée exubérante serait la cause de l'érosion des sols et des ressources, et donc de la misère dans laquelle il se trouverait. 5/25
Cette image de « l’Africain » est un produit de la colonisation. Dès la fin du XIXe siècle, les naturalistes et forestiers occidentaux affirment que la nature africaine est en danger : l’agropastoralisme aurait gravement desséché les sols et déforesté le continent. 6/25
Cette idée repose par des enquêtes biaisées. Par exemple, dans « The Rape of the Earth », écrit en 1939 par Graham Jacks et Robert Whyte, la « preuve » de la dégradation du continent n’est apportée que par une recherche menée en 1919 dans une région de l’Afrique du Sud. 7/25
En fait, c'est la colonisation qui engendre un « choc écologique » : entre 1888 et 1892, l’importation de bovins européens touchés par la peste, provoque des épizooties et des épidémies ; pendant des décennies, les Occidentaux chassent sans souci pour la conservation … 8/25
En outre, la colonisation engendre une déforestation sans précédent : en quelques décennies, des dizaines de millions d’hectares de forêts sont convertis en terres de culture. Malgré tout, pour les experts de l’époque, la nature africaine doit être protégée des Africains. 9/25
Des parcs nationaux sont donc créés. Le premier est le parc Albert (aujourd’hui le parc Virunga), inauguré au Congo en 1925. L’année suivante, le parc Kruger voit le jour en Afrique du Sud. Ces sanctuaires sont souvent d’anciennes réserves de chasse. 10/25
Le fait est que la « mise en parc » de l’Afrique a notamment été voulue par d’anciens chasseurs, des « bouchers repentis » comme on les appelle déjà. Leur objectif est de réguler la prédation et de préserver la faune de la cruauté des Africains. 11/25
En 1928, une étape est franchie avec la création de l’Office international de documentation et de corrélation pour la protection de la nature. Cinq ans plus tard, les puissances coloniales adoptent officiellement un « régime spécial pour la conservation ». 12/25
Ce régime doit être appliqué dans les parcs : « la chasse, l’abattage ou la capture de la faune, et la récolte ou la destruction de la flore seront limités ou interdits ». Les habitants sont sommés de quitter leurs territoires, mais les safaris restent autorisés. 13/25
« La décolonisation n'entraîne aucun changement de paradigme ». Dès les années 1960, les administrateurs coloniaux se reconvertissent en experts internationaux. Ils intègrent alors des institutions reconnues comme légitimes, mais dont les racines sont impériales. 14/25
Par exemple, l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), fondée en 1948 n’est que le nouveau nom de l’Office international de documentation et de corrélation pour la protection de la nature. Quant au « régime spécial », il devient le « projet spécial ». 15/25
Il s’agit toujours de bannir les habitants des espaces qu’ils mettraient en danger. Et pour défendre ce projet, les experts de l’environnement relayent encore des mythes qu’ils présentent comme scientifiques.
Parmi ces mythes, il y a notamment celui de la « forêt perdue ». 16/25
Au début des années 1960, la FAO estime que les forêts ne couvrent plus que 4 % de la surface de l’Éthiopie, contre 40 % en 1900. Or, ces chiffres n’ont pour base que des observations visuelles indirectes et partielles. Ils ont même été volontairement exagérés. 17/25
Qu’importe pour les experts, ils les prennent pour argent comptant et les citent inlassablement dans leurs rapports ; rapports qui fonctionnent comme des « textes-réseaux », selon la formule empruntée au sociologue Michel Callon. 18/25 books.openedition.org/pressesmines/1…
« Sans cesse plus nombreux, ils circulent toujours davantage, et plus ils sont partagés, plus ils sont acceptés. » Le consensus devient, à tort, synonyme de vérité.
Cela étant dit, cette politique n’est pas seulement le produit du « colonialisme vert » occidental. 19/25
Elle résulte de la volonté des États africains, pour qui les parcs nationaux sont une source de pouvoir (contrôle des populations), de prestige (classement au patrimoine mondial de l’Unesco) et de revenus (tourisme international). 20/25
Les habitants des espaces protégés sont les grandes victimes de cette politique. Comme au temps des colonies, la chasse, l’agriculture et le pastoralisme y sont punis d’amendes, voire de peines de prison. Au moins un million de personnes ont été expulsées des parcs. 21/25
Force est de constater que l’environnementalisme impose un double standard. Dans le parc national des Cévennes, l’Unesco soutient l’agro-pastoralisme, « indispensable à l’entretien des milieux ouverts et donc au maintien de la biodiversité et à la qualité des paysages » ; 22/25
dans le parc du Simien, en Éthiopie, l’agro-pastoralisme est accusé de détruire la forêt, les sols et la vie. Pourtant, l’impact écologique réel de ses habitants est extrêmement faible, contrairement à celui des anciennes puissances coloniales. 23/25
Les inégalités environnementales sont d'autant plus criantes que les expulsions aggravent la pauvreté, « car aucune compensation ne peut remplacer ce qui a été perdu » : le lieu de vie, les biens collectifs, les réseaux d’entraide, toute une manière d’être au monde. 24/25
Certes, les mots ont changé : jusqu’aux années 1970, il fallait « libérer les parcs de la présence des communautés humaines ; aujourd'hui, on promeut un modèle « communautaire » de développement et de conservation. Mais derrière les mots, la violence demeure. 25/25
Un consensus scientifique se forge autour du concept d’Anthropocène : les bouleversements environnementaux ont fait basculer la Terre dans une nouvelle époque géologique. Mais comme le rappellent Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz, ce concept a une histoire. 1/25
Il est souvent dit que le terme « Anthropocène » a été proposé par le chimiste Paul Crutzen et le biologiste Eugene Stoermer au début des années 2000. Ce serait le mot-clé d’une prise de conscience radicale. 2/25
Le récit de la prise de conscience est véhiculé par la plupart des « anthropocénologues », pour reprendre le terme de Jean-Baptiste Fressoz et de Christophe Bonneuil. Il est par exemple promu par Will Steffen et son équipe. 3/25 royalsocietypublishing.org/doi/10.1098/rs…
Dans une société en paix, en voie de modernisation, pourquoi les craintes se multiplient-elles ? Retour sur le livre passionnant d’Arnaud-Dominique Houte. Fil. 1/20 @Ed_Tallandier@APHG_National
En effet, l’heure semble être à la panique et à l’angoisse à l’aube du XXe siècle : « les armoiries de la France devraient représenter une Roche Tarpéienne et un canot de sauvetage » se désole Pierre de Coubertin 2/
Car les peurs se multiplient à la Belle Epoque… Sociales, politiques, économiques, internationales, etc… L’originalité de l’ouvrage d’AD Houte est de consacrer une entrée par « peur », chacune se suivant dans l’ordre chronologique 3/
Vivons-nous sous la dictature du présent ? Plus généralement, comment a évolué notre rapport au temps ? Ces questions fondamentales sont celles que pose François Hartog dans « Régimes d’historicité », un ouvrage incontournable entre histoire, philosophie et anthropologie. 1/25
Tout d’abord, il est essentiel de bien comprendre le concept de « régime d’historicité ». Une partie de la définition est contenue dans le sous-titre du livre : il s’agit d’une expérience du temps, une manière de se représenter le passé, le présent et l’avenir. 2/25
Ces trois dimensions du temps - passé, présent et avenir - ne sont pas indépendantes. Elles s’articulent dans un « ordre du temps », une hiérarchie temporelle dans laquelle une importance particulière est donnée à une ou plusieurs de ces dimensions. 3/25
Renverser le capitalisme par une stratégie de long terme et refuser la révolution violente ? L’ambition d’une société britannique fondée le 04 janvier 1884 : la Fabian Society. Fil 1/5
Elle regroupe des intellectuels socialistes de renom. Ces militants prennent le nom du général romain Fabius dit le « temporisateur » ayant combattu Hannibal par une stratégie indirecte, en le harcelant pour mieux l’affaiblir. Leur mot d'ordre: « Éduquer, Agiter, Organiser » 2/5
Les Fabiens comptent des noms prestigieux, tels Georges Bernard Shaw ou Sidney Webb. Comme le général Fabius face à Hannibal, ils pensent affaiblir le capitalisme sur le long terme pour mieux le renverser et le vaincre. 3/5
A Crécy le 26 août 1346, une armée anglaise défait l’armée française deux fois supérieure en nombre. Les raisons et circonstances de cette défaite sont éclaircies grâce au premier livre de David Fiasson. Fil. 1/25 @EditionsPerrin
Rappelons le rapport de force : 12 000 soldats au service du roi d’Angleterre Edouard III, dont une majorité d’archers, contre 25 000 soldats du roi de France Philippe VI : principalement des hommes d’armes, et arbalétriers en appoint. 2/
L’Angleterre est alors une puissance bien moins puissante et peuplée que le royaume de France en 1346. Les 15 à 20 millions de Français dépassent de loin les 5 millions d’Anglais. Cependant, la situation militaire est plus nuancée 3/
Quelles histoires de France s’incarnent dans son équipe nationale de football ? Voici l’ambition de François Da Rocha Carneiro, dans un ouvrage appelé à faire date. 1/20 Thread @APHG_National@FDaRochaC
Une histoire de France en crampons, préfacée par Patrick Boucheron, nous fait découvrir une suite de vignettes : des moments de vie et de sport, illustrés par des matchs emblématiques. Ces évènements nous proposent, en effet, un certain récit de la France. 2/20
L’étude ne porte pas seulement sur les choix tactiques et stratégiques, les performances de l’équipe, mais, surtout, sur les visages de la France représentés dans son équipe de football masculine. 3/20