Thread by @colinlebedev

Une deuxième vague de mobilisation?
A quoi pourrait ressembler une « deuxième vague de mobilisation » en Russie que certains disent inévitable au vu des évolutions du front? Quelques éléments dans un fil.🧶 1/22

L’Etat russe a-t-il besoin d’une nlle mobilisation? Il y a un élément sur lequel je ne suis pas compétente: c’est l’opportunité militaire d’utiliser des masses de civils sans formation sur le front, plutôt que des combattants formés (pour lesquels il y a d’autres viviers) 2/22

Si on met de côté cette question de stratégie sur le front, et qu’on se concentre sur la capacité à mobiliser, on peut dire que l’Etat russe 1. cherche à rectifier les erreurs de la première vague 2. n’y arrivera pas forcément… 3/22

3. n’a pas besoin de déclarer une deuxième vague et peut conduire une mobilisation pointilliste, peu visible, peu susceptible d’entraîner un choc dans la population 4. S’il le fait quand-même, ce serait dans un scénario d’intensification de la guerre. Maintenant, en détail. 4/22

1. La première vague a été non anticipée et conduite dans des conditions chaotiques. Il fallait recruter vite, massivement, avec des listes de réservistes périmées et des objectifs à remplir au niveau régional. Les rafles indiscriminées d’hommes en étaient la conséquence. 5/22

Depuis quelques mois, l’Etat russe essaie de rectifier ses erreurs. Il a accéléré la numérisation des listings (les commissariats militaires qui les gèrent ne sont pas tous équipés de bases de données électroniques, ni connectés à Internet) 6/22 rbc.ru/society/10/01/…

C’est « l’âge de pierre », a commenté en novembre un haut responsable russe. Le pouvoir a ordonné la création d’une base de données unifiée pour le 1er avril 2024, permettant de regrouper toutes les données électroniques mises à jour sur un citoyen. 7/22 mk.ru/politics/2022/…

Si on suit le sociologue russe Greg Yudin, la guerre d’Ukraine serait une «guerre d’entraînement» qui permet au pouvoir russe de mettre à l’épreuve son armée, identifier ses défaillances et les corriger, avant la guerre suivante, ailleurs en Europe. 8/22 meduza.io/en/feature/202…

2. L’objectif d’avril 2024 va dans le sens de cette projection dans le moyen terme. Mais dans les semaines/mois qui viennent, le pouvoir n’a pas les moyens de se transformer en « big brother » puissant et traquer les mobilisables via leurs identités numériques. 9/22

(En revanche, cette modernisation sera une belle opportunité de détournement d’argent public. Je suis prête à parier que des sommes coquettes seront allouées à la numérisation des bases de données militaire, et ça fera des heureux parmi des "gens de confiance" !) 10/22

3. Simultanément, le pouvoir prépare, localement, une mobilisation « par petites touches ». Les universités ont été invitées à renseigner les listes de leurs futurs diplômés, les entreprises doivent aussi les fournir ; les administrations se préparent à mobiliser. 11/22

Le pouvoir n’a besoin ni d’un décret ni d’une annonce pour reprendre la mobilisation: l’ancien décret est toujours en vigueur. L’avantage de la mobilisation pointilliste, c’est à la fois sa faisabilité (les commissariats seront moins débordés), et sa discrétion. 12/22

La «mobilisation pointilliste», c’est faire porter des convocations de manière sélective et ciblée: dans un foyer de travailleurs; une entreprise; un quartier; un village. Possiblement des convocations «pour vérification de données», avec mobilisation dans la foulée. 13/22

Dans une société où prétendre que la guerre est loin est une stratégie courante des citoyens, ce type de mobilisation peut être acceptable. La mobilisation n’est plus une anomalie dans le paysage, et il est plus facile de fermer les yeux sur les recrutements peu visibles. 14/22

Une telle mobilisation serait aussi moins visible pour nous les analystes, et entretiendrait un flou pratique sur les chiffres des combattants. Bref, dans un scénario de continuité, cela me semble l’hypothèse la plus confortable et la plus probable pour le pouvoir. 15/22

4. Cependant, comme nous l'avons vu, il n’est pas prudent de tabler uniquement sur un scénario de continuité dans cette guerre. On ne peut pas exclure une déclaration ouverte de deuxième vague de mobilisation militaire. De quoi cette déclaration serait-elle le nom? 16/22

La mobilisation reste un élément perturbateur pour la société russe. Elle a déjà décimé des communautés et lourdement affecté des régions, comme le décrit ce super reportage en Bouriatie de @juliancllg. 17/22 mediapart.fr/journal/intern…

A mon avis, faire le choix d’une déclaration de deuxième vague serait le signe d’une montée en intensité de la guerre qui nécessite une mobilisation POLITIQUE plus importante de la population. Une guerre + grande et une menace + grande qui nécessitent un + grand sacrifice. 18/22

Pour l’instant, contrairement à la lecture que nous pouvons avoir des discours poutiniens, le pouvoir continue à entretenir un état de "consensus permissif", où on demande aux citoyens d’être mobilisés mais pas trop; hargneux mais pas actifs ni vindicatifs. 19/22

L’un des éléments qui expliquent l’autorisation donnée à Wagner de recruter des prisonniers, c’est justement la volonté d’invisibiliser la guerre. Le pouvoir n’a pas franchi le pas de la politisation d’une société qu’il a veillé à rendre dépolitisée pendant 20 ans. 20/22

Le « consensus permissif », c’est des citoyens qui laissent faire, qui donnent les bonnes réponses et scandent les bons slogans à la demande, mais ne cherchent pas à intervenir davantage. Les Russes adhèrent à ce modèle habituel, confortable et protecteur face à l'Etat. 21/22

Une 2e vague ouverte et déclarée serait un nouveau séisme politique. Difficile à dire quel serait son impact sur les mobilisables, mais aussi les gouverneurs des régions ou les milieux d'affaires.
Le séisme peut-il faire partie de la stratégie? C'est une autre question...🧶22/22