#cejourlà massacre d'État. Daumier, "Rue Transnonain, 15 avril 1834" ; "Ce n'est pas précisément de la caricature, c'est de l'histoire, de la terrible et triviale réalité", écrira Baudelaire à propos de cette planche de Daumier, devenue symbole d'une répression aveugle (1/n) ⬇️
Le 14 avril 1834, au n° 12 de la rue Transnonain (actuelle rue Beaubourg), des soldats défoncent les portes des appartements, s'acharnent sur des corps innocents, faisant 12 victimes. La bavure est révélée au grand jour par l'avocat Ledru-Rollin et par Daumier en juillet 1834
Ce massacre est perpétré au cours d'une insurrection, dirigée contre une loi liberticide - qui menaçait les associations politiques et les crieurs de journaux. L'insurrection parisienne suit de qqs jours celle des canuts lyonnais, violemment réprimée
Un coup de feu aurait été tiré du n°12 de la rue Transnonain, suscitant la fureur des soldats. Dans cette maison de 5 étages logent 34 locataires, des artisans, boutiquiers, ouvriers. Elle a été érigée sur les restes d'un ancien couvent vendu sous la Révolution
Ds ce quartier du centre de Paris, on est au coeur d'une ruche ouvrière et artisanale, dont la modernité a bien été montrée il y a quelques années par Maurizio Gribaudi
Mais cette maison/immeuble est singulière : aux 3e et 4e étages se trouve un théâtre bourgeois, dont le propriétaire, Lamy, échappe au massacre en fuyant par une fenêtre. On y joue un spectacle d'amateurs, 2 à 3 fois par semaine
Par delà les différences de condition (de simples apprentis à un fabricant de papier peint, Louis Breffort), les locataires se rassemblent dans 2 ou 3 logements au moment de l'insurrection, pour éviter les balles perdues. Ils n'éviteront pas les coups de baïonnette.
Dans son mémoire, Ledru-Rollin décrit sans concession un paroxysme de violence, aveugle et froide. "CELA FAISAIT FROU… FROU… COMME LA LAME D’UN COUTEAU QU’ON AGACE DANS LA PAILLE D’UNE CHAISE", peut-on lire à propos du cadavre de Bouton, percé de 51 coups de baïonnettes...
Ledru-Rollin, avocat d'un parent de victimes, a visité les lieux dès le 14 avril dans l’après-midi. Il décrit l'horreur de la scène d'après massacre : des "fusées de sang empreintes sur les murs", des "fragments de tête", des flaques de sang sur le sol...
Son mémoire paraît le 23 juillet. Le 24 juillet paraît dans L'Association mensuelle la charge de Daumier, sorte d' "allégorie réelle" du massacre (Ségolène Le Men). Elle condense en une seule image les descriptions cliniques des corps meurtris, saisis dans leur sommeil
On sait par exemple qu'au 4e étage, "un locataire est tué près de sa femme récemment accouchée"
Les auteurs de ce massacre sont des soldats du 35 e de ligne. Ce régiment s'était déjà fait connaître par ses méthodes plus que musclées sur d'autres points chauds : à Grenoble en 1832, en Vendée, mais aussi en Algérie, à Blidah, en novembre 1830...
Face à cette horrible bavure, l'indignation gagne très vite la capitale. Des attroupements se rassemblent sur les lieux du massacre. La presse d'opposition rend compte des détails, dès le 16 avril, de ce qu'elle appelle "la boucherie de la rue Transnonain".
Mais la mémoire de l'événement a bien été transmise par cette "allégorie réelle" de Daumier, reproduite dans tous les manuels scolaires depuis la Troisième République, capable de cristalliser l'émotion que suscite toute violence aveugle d'un État massacreur
On parlera un temps de "transnoninade" pour désigner cette boucherie, comme on parlera d' "enfumade" à propos des massacres de civils dans les grottes du Dahra, en Algérie en 1845. Ces deux événements sont reliés par un nom : BUGEAUD, impliqué dans ces deux massacres
Mais les responsables du massacre seront laissés tranquilles, à la suite d'une enquête officielle. La rhétorique du régime, il est vrai, rend les émeutiers indirectement responsables de la bavure...
Le 12 rue de la rue Transnonain, aujourd'hui 62 rue Beaubourg, ne porte plus les traces du massacre. L'immeuble a été détruit au XXe siècle. Mais on en possède plusieurs vues de la fin du XIXe siècle
Des photos d'Atget (vers 1898) sous deux angles différents
Et ce tableau signé G. Albaret, avec ces deux inscriptions : 12 rue Transnonain ; rue Beaubourg n°62...
Pour en savoir plus
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2 mars 1848 : un décret majeur sur le TRAVAIL OUVRIER (limitation de la durée quotidienne du travail et interdiction du marchandage) A dérouler ⬇️
La question du travail est centrale dans la révolution de 1848 : celle du droit au travail bien sûr, de l'organisation du travail et des associations ouvrières également, de la répartition des profits, MAIS AUSSI de la DUREE DU TRAVAIL OUVRIER
De nombreuses sources d'avant 1848 montrent que la durée du travail quotidien se situait plutôt entre douze et quinze heures, dans les manufactures, les ateliers, etc. De nombreuses coalitions (grèves) ont eu pour objet, depuis 1830, la diminution de ce temps de travail