Thread by @clemrenard_

🧵 Mathias se fout du Grand Soir comme de sa première communion. Son truc c’est le #zbeul : comme théorie, expression de la spontanéité des masses, organisation méthodique du désordre, multiplication des points de rupture.

📸 @Jeanne_actu

Mathias prône le désarmement du système d’exploitation : attaquer des canalisations à la disqueuse, cramer des antennes 5G, couper des fils d’alimentation, manier en artiste la pince-monseigneur…

Il dit « désarmer », pas « saboter ». « Parce qu’il faut être malin », le terme de sabotage a mauvaise presse et il est plus porteur, comme le font @lessoulevements, de réactualiser des pratiques aussi anciennes que le mouvement ouvrier sans favoriser leur stigmatisation.

Le compagnon a les idées claires. Il est de Marseille, syndiqué à la CGT et « robin des bois ». La manif intersyndicale, c’est un passage obligé, mais il sait que ça se jouera ailleurs. Il parle de « grévilla » avec un regard conquérant et un béret noir genre Black Panther.

« Quand on n’est pas en rivalité sur des questions de boutique ou d’appareil, on fait corps commun avec sa classe. Quitte à s’émanciper de la multitude syndiquée dès que pointe une envie d’échappée sauvage. Et ce ne fut pas rare au vu de la taille des cortèges de tête. »

Pour devenir définitivement insaisissables, hors cadre, Mathias ne voit d’autre perspective théoriquement recevable que dans la désidentification assumée : dans le fait de n’être jamais à sa place dans les dispositifs que le système définit pour nous.

« J’ai compris ça pendant les Gilets jaunes. Le gilet, c’était un signe de reconnaissance, pas une revendication d’identité. Et puis, c’est devenu un cahier de doléance : on y notait le message que l’on voulait faire passer, son degré d’implication dans l’insurrection citoyenne.

Et puis c’est devenu aussi une cible. Aujourd’hui, c’est plein de GJ dans les zbeuls de France, mais beaucoup sont sans gilet. C’est là l’intelligence politique de ce mouvement, brouiller les pistes, se déplacer, opérer des pas-de-côté, se masquer ou se démasquer selon les cas. »

Le zbeul favorise la prolifération des expressions. À chacun la sienne, à la mesure de ses moyens. Tout ce qui s’est passé de fort dans ce mvt a fait convergence autour de l’idée de l’ingouvernabilité de la révolte, de sa réinvention permanente, de l’imagination qu’elle nourrit.

Au point que personne n’a jugé bon de consacrer trop de temps à la critique inutile des vieux corps intermédiaires stupidement méprisés par le pouvoir quand ils sont, par définition et nature, sa dernière roue de secours.

« Les syndicats ont mobilisé, et plutôt massivement. C’est déjà ça, et pour beaucoup c’est grâce à eux qu’au cœur des cortèges se sont tissées diverses connivences, qu’ont éclos des rencontres, que sont nés des affects. »

Le zbeul relève tout à la fois d’une stratégie du vagabondage émeutier, d’une allergie aux nasses, d’une certaine aptitude à l’organisation du bordel, d’une détermination à se réapproprier l’espace colonisé par la marchandise, d’une tactique d’épuisement des forces de l’ordre.

C’est aussi un Grand Jeu de passions joyeuses où il ne s’agit pas, dans un premier temps, de vaincre le Capital et l’État bourgeois, mais de restaurer, avec imagination et en divers lieux, la force légitime de nos infinies volontés de leur nuire en nous en émancipant.

D’après Mathias, « les syndicats comme les partis sont dépassés, mais ils ont encore leur utilité pour faire nombre et, dans ce nombre, coaliser des affinités portées au dépassement et à la dérive. Là encore, les GJ ont ouvert la voie à un nouvel imaginaire de l’offensif.

Et d’eux-mêmes, par eux-mêmes, ils se sont trouvé des alliés. Il est vrai que, vu le peu de soutien reçu des syndicats, des intellos et de la petite-bourgeoisie culturelle, les seuls qu’ils avaient sous la main étaient les Black Blocks.

Ce qui reste surprenant, c’est la rapidité avec laquelle ils l’ont compris en se dépouillant comme d’un rien du discours médiatico-policier dont, comme tout le monde, ils avaient été abreuvés. Aujourd’hui, dans toutes les manifs, aucun camp n’est réellement figé.

Les passerelles sont nombreuses. Tu peux manifester dans un cortège syndical en y traînant la patte, mais tu peux aussi en faire ta base de repli avant de remonter à l’assaut d’une vitrine.

Il existe, au moins dans les grandes villes, particulièrement à Paris, une nouvelle géographie des cortèges. On y voit plein d’archipels charriés par des marées apparemment contraires mais où personne, sauf les dernières avant-gardes, ne prétend détenir la vérité sur le tout. »

Le #zbeul est le déjà-là anarchiste. S’il s’élargit, se propage, et on ne voit pas ce qui pourrait le faire cesser, on n’attendra pas cent jours pour danser la Carmagnole.

✍️ Freddy Gomez / À contretemps acontretemps.org/spip.php?artic…