Comment la civilisation mycénienne s’est-elle effondrée ? Un fil 1/34
Entre le XVIIe et le XVIe siècles, l’enrichissement progressif d’une aristocratie guerrière en Grèce continentale s'accompagne de l'affirmation de grands centres politiques et de l’essor d’un art d’une richesse inédite : ce sont les débuts de la civilisation mycénienne. 2/34
Au XVe siècle, cette civilisation, peut-être sur le modèle crétois, organise une économie centralisée et redistributive centrée autour des palais, de grands complexes qui servent à la fois de centres politiques, religieux, économiques et administratifs des royaumes. 3/34
Pour les besoins de cette lourde administration, le premier système d’écriture grec connu est inventé : le linéaire B. Déchiffré par Ventris et Chadwick dans les années 50, cette écriture transcrivait un ancêtre des dialectes achéens. 4/34
Grâce aux registres, on sait que les palais contrôlaient notamment la production du bronze, l’industrie textile, l’artisanat de luxe, une part des terres cultivées par une population servile et entretenait des milliers de dépendants. 5/34
Mais au tournant du XIIe siècle, ces palais disparaissent. Au même moment, l’empire hittite s’effondrait, la côte levantine était ravagée et l’Egypte devait faire face à une grande invasion de « Peuples de la mer ». On parle d’ « Effondrement de l’Age du Bronze ». 6/34
L’effondrement des palais entraîne la disparition de l’écriture, intimement liée à l’administration, ainsi que des arts de luxes, du travail de l’ivoire, de l’architecture monumentale et du commerce au long cours. 7/34
Qu’est-ce qui a causé la disparition des palais mycéniens? Avant d’y répondre, un point de chronologie. 8/34
La civilisation mycénienne correspond approximativement à la période archéologique de l’Helladique récent, c-à-d la dernière période de l’Age du Bronze en Grèce centrale et méridionale, avant la courte phase du submycénien. 9/34
L’Helladique récent (HR) s’étend à peu près de 1700/1550 à 1100. Selon les développements de la céramique, la période est encore divisée en trois phases : HR I (1700/1550 – 1575/1500), HR II (1575/1500-1425/1400) et HR III (1425/1400-1100). 10/34
L’effondrement prend place au cours de l’HR III B (deuxième phase de l’HR III). La citadelle de Mycènes subit un premier incendie au milieu de cette période. L’époque qui suit cet incendie, l’HR III B 2, est marquée par le renforcement des fortifications partout en Grèce. 11/34
Le nord-est de la citadelle de Mycènes est renforcé pour protéger l’accès à des citernes d’eau, la citadelle basse de Tirynthe est reconstruite, Midéa est fortifiée pour la première fois ainsi que l’acropole d’Athènes et p-e le palais de Pylos. 12/34
A la fin de l’HR III B 2, l’ensemble des palais sont détruit en un espace de temps qu’il est difficile à définir, mais qui ne dépasse pas un intervalle d’une ou deux décennies. 13/34
L’une des explications les plus souvent avancée est celle d’une invasion brutale. L’apparition au début de l’HR III C de nouveau types d’épée conçue pour frapper de taille et d’estoc, dites spatha II, des pointes de lance en forme de flammes, fibules en archets… 14/34
ainsi que d’une nouvelle poterie dite « barbare » réalisée sans tour à potier, peut suggérer l’irruption de nouveaux peuples et de nouvelles techniques en Grèce. En attesterait aussi les travaux de fortification de l’HR III B 2 dont on a parlé. 15/34
La présence au Ier millénaire dans l’aire de la civilisation mycénienne de populations doriennes (lorsqu’on l’a vu les Mycéniens étaient achéens) évoque l’épisode mythique du retour de Héraclides, les petits fils d’Héraklès prenant la tête d’une armée dorienne… 16/34
pour reprendre aux rois achéens les terres péloponnésiennes promises à leur grand-père. Toutefois, dans l’ensemble, la culture de l’HR III C reste mycénienne. La céramique « barbare » est ainsi tjrs retrouvée avec de la vaisselle typiquement mycénienne. 17/34
Les différentes nouveautés de l’HR III C, qui n’ont pas d’aire de distribution identifiable hors de l’espace mycénien, doivent sans doute plutôt être interprétées comme des innovations locales. 18/34
De plus, si les grands sites de la Grèce connaissent effectivement d’importants travaux de fortification à cette époque, de nombreux sites non fortifiés restent prospères. 19/34
De toutes façons, en l’absence d’écriture, l’hypothèse d’une invasion dorienne à cette époque manque d’arguments linguistiques. 20/34
Rien ne permet non plus de lier l’effondrement des palais aux Peuples de la Mer auxquels ont dû faire face à cette époque les pharaons égyptiens et que les sources égyptiennes rendent responsables de la destruction de l’Empire hittite et des sites syro-palestiniens. 21/34
Une hypothèse voudrait que ces peuples aient été précisément entraînés sur les mers par la déstabilisation du monde mycénien, qui n’aurait pas été la conséquence mais la cause de l’effondrement général de la Méditerranée orientale. 22/34
Toutefois, cette hypothèse manque d’arguments archéologiques et repose essentiellement sur l’étymologie, débattue, du nom des Ekwesh, une des ethnies listées par les Égyptiens parmi les Peuples de la Mer, et que certains ont associé aux « Achéens ». 23/34
On a trouvé des traces de tremblement de terre à Tirynthe ; on a ainsi proposé qu’une série de tremblements de terre seraient responsables de la destruction des palais. Toutefois, ce type d’explication naturelle ne saurait expliquer l’effondrement politique. 24/34
Ainsi, les palais minoens avaient eux-mêmes été détruits qques siècles plus tôt, vers 1700, par un important tremblement de terre, mais ont été immédiatement reconstruits, la structure politique qui soutenait le système palatial n’ayant pas été affecté. 25/34
Une autre série d’hypothèses cherchent à expliquer l’effondrement palatial par des causes internes à la culture mycéniennes : guerre entre les royaumes ou révolte. Un dérèglement du système de fiscalité et de redistribution pourrait ainsi avoir provoqué un soulèvement. 26/34
Un tel dérèglement pourrait justement avoir été provoqué par l’effondrement des civilisations orientales. La contraction des échanges auront poussé les palais à s’appuyer davantage sur leurs recettes fiscales et pressurer leurs dépendants. 27/34
Là encore, nous manquons d’éléments : l’absence d’enregistrement écrit de l’histoire à une époque où l’écriture, de toutes façons exclusivement administrative, disparaissait, rend presque impossible toute lecture évènementielle des destructions archéologiques. 28/34
Toutefois, les causes internes sont les plus à même d’expliquer à la fois l’effondrement politique et la continuité culturelle. L’HR III C en effet, qui correspond au XIIe siècle, voit en effet une brève période de Renaissance de la culture mycénienne. 29/34
Après une période troublée, l’HR III C 2 voit en effet la reconstruction du palais de Tirynthe, l’essor de certaines régions périphérique tel l’Achaïe et la production de certaines des plus belles créations céramiques mycéniennes comme le fameux vase des guerriers 30/34
Il faudrait attendre l’HR III C 3, époque marquée par de nouvelles destructions, pour que la civilisation mycénienne entre dans son ultime phase : le submycénien. 31/34
Les causes sont à nouveau mal élucidées, mais les traits de la culture disparaissent. L’inhumation collective laisse place à l’inhumation individuelle, le bronze se raréfie, les formes et les décors de la céramique, quoique tjrs mycéniens, se simplifient. 32/34
La réapparition de certains traits caractéristique de l’Helladique moyen au XIe siècle, notamment les maisons en abside, laisse penser cette fois à l’irruption en Grèce centrale et méridionale de populations restées en marge des évolutions du monde mycéniens. 33/34
C’est peut-être de cette époque qu’il faut dater la fameuse invasion des doriens. 34/34
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