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Bloqué en gare de Laval pour une durée indéterminée dans un TGV qui n’a d’Inoui que le nom, je regarde le soleil se coucher sur une Mayenne paisible et douce.
Le train est finalement reparti, et ce sont des montagnes de ballots de paille desséchée qui défilent devant mes yeux ébahis. Les contrôleurs ne savent pas à quelle heure se fera l’arrivée à Paris, et ils ne s’en cachent même pas. La fraîcheur de leur honnêteté est revigorante.
À mes côtés, des dizaines de voyageurs les yeux rivés sur des tablettes se disent avec gourmandise qu’ils vont peut-être avoir le temps de visionner sur Netflix l’intégrale de Alf.
À la gare de Rennes (anecdote véridique), alors que le TGV refusait sur presque deux heures de temps de s’élancer, j’ai vu Nolwenn Leroy quitter la rame, agacée. Son pas sur le quai était déterminé et pour autant d’une élégance toute celte.
J’ai pensé avec amusement que Nolwenn Leroy était finalement une vraie bretonne, qui hante l’Ille et Vilaine de son chant si pur, et je m’attendis un instant à voir s’éloigner aussi le loup, le renard et la belette, courant dans son sillage, le renard pestant contre la SNCF.
La SNCF est sans doute l’entreprise la plus bancale au monde, et paradoxalement la plus attachante. Ses ratés répétés, sa constance dans la nullité, la font ressembler à certains oncles qu’on est soulagé de ne croiser que dans les mariages. Elle est donc un peu de la famille.
Le train ralentit de nouveau, et je vois se profiler pour moi ce statut nocturne de naufragé du rail. Je vais y passer la night, je le sens, et j’observe autour de moi pour décider lequel de mes voisins de wagon je dévorerai en cas de cannibalisme forcé (la survie avant tout).
J’avise un geek au teint rosâtre dont le corps n’a jamais servi que dans le cadre d’une masturbation sur YouPorn, me disant que sous ce T-shirt Star Wars se dissimule sans doute l’équivalent des plus belles tranches de salami de l’histoire.
Malheureusement, il me regarde aussi, et je réalise stupéfait que, s’il est mon salami, je suis incontestablement le sien. Nous nous fixons des yeux et je refuse de baisser le regard. Jamais je n’aurai peur d’un plat de charcuterie déguisé en graphiste.
Le TGV circule mollement dans la chaleur post-apocalyptique d’un réchauffement climatique très Sandrinerousseauien. Ce n’est pas un TGV, puisqu’il n’est pas à grande vitesse. C’est un T.
La climatisation est en panne, et j’imagine que je vais crever. Mais pas crever tout court. Je vais crever avec un retard de 4h30 en raison d’un accident impliquant un animal. C’est à la fois un Kamoulox et à la fois le summum de la lose.
Si jamais je décède lors de ce voyage, je demande qu’en mon hommage la case de 12h10 sur @franceinter ne soit plus jamais attribuée à qui que ce soit. Il y aura désormais le grand blanc de 12h10. Ce qui, en vérité, me ressemble un peu.
Le train ralentit toujours plus. Jamais nous n’atteindrons la Sarthe. Je m’attends à voir Pénélope Fillon nous dépasser dans le cadre de la balade que tous les soirs elle s’offre avec François. Si ça se trouve, ils vont faire l’amour, tout en nous dépassant.
J’ai chaud, ah mon dieu que j’ai chaud, j’ai l’impression d’avoir à nouveau 15 ans et d’attendre la fin de Culture Pub pour mater le téléfilm italien de 1979 dans lequel un pianiste paralytique incite son épouse à se faire débiter par un bûcheron tout aussi transalpin.
Pendant ce temps, la SNCF documente ma déroute. Image
Les personnels de la SNCF nous approvisionnent en petites bouteilles d’eau, afin de nous désaltérer. Un écologiste radical hurle qu’il préfère mourir plutôt que de participer à la pollution au plastique. Il cherche actuellement une œuvre d’art à asperger de sauce.
Je plaisante, bien entendu. La SNCF ne distribue jamais de petites bouteilles d’eau. Un complotiste installé à côté de moi m’affirme que 100000 voyageurs décèdent chaque année de déshydratation. Ces gens, me dit-il, sont transformés en bagels saumon et vendus en gare.
Le train s’arrête de nouveau et nous livre cet instant de poésie. Un contrôleur qui incontestablement nous prend pour des cons nous signale que nous ne devons pas tenter de sortir sur les voies. La tentation de batifoler sur l’autoroute est pourtant intense. Image
Il me reste 4 centilitres de jus pomme-fraise pour tenir sur les prochaines heures. Je me surprends à haïr la personne à l’origine de la mini-bouteille. Désormais je ne voyagerai plus qu’avec une bonbonne de 5 litres de Cristaline.
Le train vient de dépasser les 70 km/h. Les premiers Allah Akbar se font entendre. Un militant de Reconquête cherche à briser la vitre afin de se défenestrer. La moiteur de ce train de l’enfer rend les usagers fous.
Nous arrivons au Mans. Il fait si chaud que les rillettes fondent. Je lis sur les visages sarthois la perplexité de voir un train avancer si lentement. Le ciel est noir. Une station TotalEnergies rutilante me fait regretter de ne pas avoir opté pour un retour en voiture.
Nous sommes au Mans. Nous n’avons pas le droit de descendre du train. La perspective d’une fin de soirée au Campanile de la zone d’activités des poneys castrés est pourtant présente dans tous les esprits. La SNCF a décidé de nous faire couler avec elle.
Habitants du Mans, je vous en conjure, venez me délivrer. Prenez d’assaut ce train de la lose, laissez crever tous les autres, ne sortez que moi. Je n’ai pas fait toute cette carrière pour finir comme un anonyme.
Je devrais être depuis deux heures déjà à Paris et, je le sens, je manque à la capitale. La fête est gâchée. Le peuple, éteint, renonce à la fraîcheur d’une salle de cinéma pour s’affaler dans un sofa, la main dans le slip, devant LOL sur Prime Vidéo.
En pensant très fort des trucs comme « il y a pas à chier, si j’étais Blanche Gardin, comment je te les aurais pris, les 200000 euros. »
Je repense à Nolwenn Leroy. Elle a bien fait de quitter tôt ce train atroce. Cette dame devrait être nommée dans l’heure Ministre des Transports. Elle sent les moyens de locomotion comme personne. Je l’imagine se mariant à Las Vegas avec un Vélib’.
Le contrôleur, sous les huées de jeunes avides de sexe comptant retrouver vite leur copain ou copine à Paris, annonce que nous sommes bloqués au Mans. La voiture bar n’a plus qu’un croque-monsieur pour 400 clients. Un homme précise dans la file d’attente qu’il fait du judo.
Mon téléphone me signale qu’il détecte un AirPod aux environs. Je n’en ai pas. Personne autour de moi n’en arbore. Accablé par la fatigue, le cerveau en miettes, je me surprends à penser que possiblement quelqu’un se l’est mis dans le derrière.
Je pense de nouveau à Nolwenn Leroy, cette fois sans raison. Ça va mal.
Toujours bloqué en gare du Mans, d’autres TGV nous dépassent allègrement. Je me surprends à me dire que peut-être je dérange l’establishment, qui sait que je suis dans ce train et par conséquent veut me nuire. Des hommes en noir vont venir me chercher. J’ai peur.
Ce garçon que j’ai pris pour un sosie de Gabriel Attal, à qui d’ailleurs j’ai offert un Kinder Bueno en raison de son jeune âge, est en réalité le vrai Gabriel Attal, infiltré dans l’Inoui pour m’éliminer. Ils ont eu Coluche et Patrick Bosso, Ils m’auront moi.
Je réalise, bien sûr, que Patrick Bosso est toujours vivant. C’est juste qu’on ne le voit plus trop. Ça fait pareil avec le ministre de l’écologie actuel. Il faut que je pense moins à Nolwenn Leroy et plus à Patrick Bosso.
Après une brève recherche sur le net, je réalise que Nolwenn Leroy tourne actuellement en Ille et Vilaine une série intitulée Brocéliande. Il me monte donc au cerveau une compassion totale pour elle. La malheureuse, ce doit être un gage. Un bout de pain perdu dans la fondue.
Le sosie de Gabriel Attal assis en face de moi, après discussion, est très sympa. Il s’appelle Timéo et a appris hier qu’il entrait en CM1. Il a un Pokémon préféré mais ne veut pas dire lequel car sa mère lui a recommandé de ne pas parler de Pokémon avec un plus de 9 ans.
NOUS AVONS QUITTÉ LE MANS.
Le conducteur du TGV, qui s’appelle Fred, prévient que nous avons pris la ligne du TER Le Mans-Paris. Temps restant : 2h. Arrivée à Paris : 1h du matin. Je revis ma jeunesse. Je vais être dans Paris après minuit. Je suis David Guetta en 97. Je vais craquer pour un mojito.
Quand on s’appelle Fred, on peut soit faire conducteur de TGV, soit faire du porno amateur dans le Perche. L’un n’étant pas incompatible, Fred conduit peut-être son train entièrement nu, et en compagnie de sa femme, à qui il dit des trucs comme « veux-tu la voir, ma caténaire ? »
Et si la SNCF ne nous disait pas tout ? Si en réalité, tout ce retard était dû au fait que Fred a joui ? Et que, comme c’est un homme, il s’est ensuite endormi pour une durée de 4h30 ? Cette soirée ne serait finalement que l’image de notre décadence en tant que peuple.
La voiture-bar, dévalisée, ne propose plus que des tickets de métro. Des usagers désespérés en achètent une poignée et se les enfoncent dans le gosier. Les premières grimaces confirment la nécessité absolue de créer des tickets de métro goût fraise.
La nuit noire au dehors fait que quand on regarde par la vitre, avec le reflet, on se voit soi-même. On se substitue à la France. C’est mauvais pour l’ego. Et à part le sosie de Gabriel Attal en face de moi, qui lit en ligne le journal Les Échos, on aperçoit toutes ses rides.
Est-qu’un CE2 lirait réellement Les Échos ? Et s’il s’agissait vraiment de Gabriel Attal ? Macron l’aurait donc laissé végéter dans un train en rade au lieu de lui envoyer un Falcon équipé d’une échelle de cordes ? Je crois que je tiens un énorme dossier politique.
Dans le train, les visages sont las. Ça joue mollement à Candy Crush. Des personnes, faisant fi de leur summer body à venir, grignotent des chips. Une ado dort car c’est une ado. On n’est plus à cran : on est résigné. Le TGV va vomir en gare une marée humaine de dépressifs.
Fred, le conducteur tout nu du TGV, confirme une arrivée à Paris à minuit 20. Si j’avais son 06, je lui enverrais un emoji coeur. Et aussi un emoji aubergine parce que, bon, c’est quand même le week-end. Et le week-end, on couche.
Après 6h de voyage, les toilettes du TGV sont tellement dans le même état qu’une ville ukrainienne que j’ai cru que Bernard-Henri Lévy allait sortir de la cuvette.
Au milieu de ce chaos, un repère fiable rassure le voyageur effaré par tant de péripéties : véritable phare dans la nuit, le fait que le wifi du TGV ne fonctionne pas vient nous réconforter par sa routine proverbiale.
Le week-end dernier j’ai pris du HHC.
Ce week-end j’ai pris un TGV.
Le résultat est le même : ça dure 5-6 heures, et on veut avancer mais on n’y arrive pas trop.
On me dit que le retard du TGV va entraîner le déclenchement d’un bon d’achat permettant de s’offrir un autre billet de TGV. C’est gentil, mais j’aurais préféré autre chose de mieux, comme une enclume ou une claque dans la gueule ou un porc-épic trop tactile.
Il n’y a plus un bruit dans le train. Les gens dorment, les uns sur les autres. Ca me donne des envies de lasagnes. Nous vivons à ce point l’intimité forcée des naufragés que je songe, tel Robinson Crusoé, à me confectionner un slip avec mes peaux mortes.
J’observe autour de moi afin de déterminer lequel des jeunes éphèbes présents dans la voiture 13 pourrait devenir mon Vendredi. Cependant, pour plus de modernité, je lui donnerai une connotation anglo-saxonne en l’appelant The Weeknd. J’espère que le nom n’est pas pris.
Je n’ai jamais été aussi heureux d’arriver dans les Yvelines. 7.8 adoré, je chéris ton nom. Image
Dans le TGV, la liesse est totale. Des serpentins fusent. La délivrance arrive. Patrick Sébastien est venu en voiture 13 faire l’hélicoptère avec son sexe. C’est tellement le style de France 98 que des blancs et des noirs s’enlacent. Un asiatique, en pleurs, crie « et moi ? ».
Départ de Rennes prévue : 18h35.
Arrivée à Paris prévue : 0h40.
La Bretagne, ce pays étranger.
Je propose que l’indépendance en soit déclarée dès demain par une Nolwenn Leroy exaltée devant le Parlement de Bretagne.
Je pense à toi, Fred, fier conducteur de notre TGV tout nul et qui a su persévérer, m’emmener à Paris plutôt que tout laisser tomber pour te barrer tout nu dans la Sarthe. Tu es bien le seul de tout le train qui n’aura pas droit à un bon d’achat. Je crois que je t’aime.
Le TGV le moins rapide de l’histoire arrive à Paris, et nous hésitons entre joie et accablement. Ces sentiments contrastés, ce mélange de soulagement et de désespoir profond, n’existe que parce que la SNCF existe. Cette entreprise est une expérience sur l’humain.
J’aimerais remercier celles et ceux qui ont suivi ce live-tweet, et celles et ceux qui le liront en décalé, plus tard. Fred et moi allons nous coucher, séparément mais heureux néanmoins. Bisous à tous et courage à ceux qui ne sont pas encore arrivés à destination.
Alors, euh… Image
Alléluia. Image

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