On aurait pu croire qu'après l'aventure de la marche de Wagner sur Moscou, l'Etat russe couperait court à tous projets de compagnies militaires en dehors du contrôle des ministères de force. Et pourtant... 1/14 🧶
D'une manière surprenante, en urgence, la Douma vient de voter l'autorisation donnée aux régions de créer des compagnies militaires locales, corps armés ayant le statut "d'entreprises étatiques unitaires spécialisées" . 2/14 sozd.duma.gov.ru/bill/312507-8
Officiellement, il s'agit donc de corps armés autorisés par Moscou, financés par Moscou, mais co-financés par les régions et armés par les régions. Rien n'est dit sur le profil et le statut des salariés (combattants) de ces "entreprises". 3/14
La fonction qui leur est attribuée est d'intervenir en soutien des forces armées contre toute menace, et surtout - ceci est spécifiquement explicité dans un long article - d'assurer la défense anti-drones. Curieuse précision qui est par ailleurs inutile dans la loi. 4/14
Le statut d'entreprise permet ici un mercenariat hybride, ni privé ni étatique. La formation, la déontologie, le contrôle interne de ces corps armés seront à la discrétion de leurs dirigeants. Ce n'est pas forcément très rassurant pour les habitants des régions concernées. 5/14
Pourquoi cette innovation? Mon interprétation aujourd'hui est que le pouvoir central russe poursuit une logique en place depuis le début de la guerre (en réalité depuis le Covid): faire porter aux régions la charge et la responsabilité de la guerre. 6/14
Pour rappel: les gouverneurs des régions, autorités civiles, étaient responsables de l'organisation de la mobilisation militaire, mais aussi de l'équipement des troupes mobilisées. Les régions frontalières ont été laissées se débrouiller face aux attaques armées. 7/14
Désormais, c'est aux régions d'assurer la création et le fonctionnement d'unités armées pour défendre leur territoire contre les drones, les incursions armées depuis l'Ukraine etc. Et si une attaque réussit, la responsabilité pèsera sur le gouverneur, pas sur Moscou. 8/14
Quelle que soit la réalité de ces compagnies militaires (qui sera variable selon les régions), elle témoigne d'une dynamique qui mérite d'être notée, car elle témoigne d'une évolution du régime politique russe. 9/14
Premièrement, alors que le Kremlin a tout fait depuis 2000 pour centraliser le pays et enlever toute marge d'autonomie aux régions, la guerre fait des régions des vrais acteurs politiques. Désormais potentiellement dotés de corps armés qui répondent surtout au gouverneur. 10/14
Deuxièmement, la multiplication des entités autorisées à utiliser les armes en temps de guerre dilue encore le monopole de la violence légitime, et ne va pas être forcément au goût des institutions militaires, déjà malmenées par l'affaire Wagner. 11/14
Tout ça ne consolide pas le régime. Le socle sur lequel le Kremlin a construit son autorité et sa légitimité ne cesse de bouger et de se distendre. L'armée, les autorités régionales et les milieux d'affaires étaient des éléments importants de ce socle. 12/14
Ce sont ces 3 groupes d'acteurs qu'il faudra suivre pour voir comment le régime se transforme. 3 groupes à qui le Kremlin fait porter le poids militaire, civil et économique de la guerre. 3 groupes profondément déstabilisés qui doivent s'adapter à des situations nouvelles. 13/14
Quand je parle d'un "régime qui se transforme", ce n'est pas juste par intérêt taxinomique du politiste. L'une des clefs de l'issue de la guerre est la manière dont elle modifie sur l'exercice du pouvoir en Russie. Et les évolutions sont dans ce domaine très, TRÈS rapides. 14/14
Parce que beaucoup de commentaires vont dans ce sens: on est très loin d’un risque de dislocation de la Russie. La logique est plutôt celle de l’accumulation d’un capital politique propre par les responsables régionaux. Comment ils vont l’utiliser est une autre affaire. 15/14
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Quelques mots sur le speech de Poutine ce matin.
Ce que je note, c'est le niveau auquel le président russe positionne lui-même la crise. Le parallèle qu'il fait avec 1917 (Première guerre mondiale + révolution bolchévique qui renverse le régime tsariste) est très parlant. 1/5
Le contraste est grand avec les discours usuels de ces derniers mois, "tout est sous contrôle, notre ennemi extérieur est impuissant contre nous". Désormais, la patrie est en danger, attaquée de l'intérieur, choisissez votre camp: les patriotes ou les traîtres. 2/5
Ce discours répond à deux objectifs: 1. Signaler clairement à chaque Russe de quel côté est le Kremlin, face à un Prigojine qui affirmait agir pour Poutine, pas contre lui. 2. Prévenir les fissures de loyauté au sein de ses propres élites, militaires et civiles. 3/5
Je vais faire ma prof de science politique. Depuis 2022, avec les collègues, nous insistons sur la dilution du monopole de la violence légitime que représente la présence de Wagner sur le front, mais aussi et surtout l’humiliation qu’il inflige aux institutions de force. 1/8
Le monopole de la violence légitime, c’est la capacité de l’Etat à convaincre qu’il est celui qui fixe les règles, utilise la force et punit par la force. L’action de Wagner, groupe armé irrégulier, a été une force pour le front, mais clairement une fragilité pour l’Etat. 2/8
Une fois que j’ai dit ça, je ne veux absolument pas aller plus loin. Le fait même que Prigojine ait réussi à marcher jusqu’à Rostov et à rentrer dans la ville montre que la question de « qui est le shérif de cette ville? » n’est pas si claire près de la zone de front. 3/8
Merci à @franceculture pour cette discussion du petit matin. Pas tant pour parler de l'opinion publique russe (concept peu heuristique en ce moment) que des logiques politiques et sociales que révèlent les attaques sur le territoire russe. 1/13🧶 radiofrance.fr/franceculture/…
La focalisation médiatique 1. sur "l'opinion russe" 2. sur Poutine 3. sur Prigojine occulte parfois des dynamiques sociales très importantes. Il faut regarder par exemple ce qui se passe au niveau des relations entre centre et périphérie... 2/13 carnegieendowment.org/politika/89992
... comme l'explique bien Andrei Pertsev dans cet ⬆️ article. De manière générale, je conseille les publications de Carnegie Politika, pour la plupart traduites en anglais, pour ceux qui veulent des angles et des analyses un peu pointus. 3/13
Suivi #Monmaster, je continue. Rubrique "les petits malins".
Les petits malins qui ont falsifié leurs notes dans le formulaire en rentrant des notes plus élevées que dans leur relevé, vous l'avez sans doute fait pour remonter dans les listes si on classe par moyenne. 1/7
Est-ce que ça va passer? Ça peut, si le prof qui examine le dossier n'est pas vigilant ou se perd dans l'énorme tableau Excel (ça arrive), et/ou que l'administration est trop débordée pour vérifier en détail les dossiers (ça arrive aussi). C'est injuste pour les autres? Oui. 2/7
Les petits malins qui n'ont pas rentré de notes dans le formulaire pour ne pas être classés par note: si le master a trop de candidatures et que les commissions trient un grand nombre de dossiers, vous risquez d'être triés par nom de famille ou par référence de dossier. 3/7
Les Russes qui déclarent si massivement soutenir la guerre en Ukraine, sont-ils prêts à s'engager dans l'armée pour partir combattre? Un élément de réponse nous est donné par le Commissaire militaire de la Carélie, région d'1/2 million d'hommes au nord-ouest de la Russie. 1/10 🧶
Depuis des mois, l'armée russe a lancé une immense campagne de promotion du service militaire sous contrat. A la télé, sur les panneaux géants, sur l'arrière des factures, dans les boîtes aux lettres... Et des points de recrutement mobiles partout. 2/10
La rémunération promise est d'au moins 200 000 roubles par mois (2300 euros), soit quatre fois le salaire moyen dans la république. Soutenue par l'argument de faire un vrai métier, un métier d'homme, digne, professionnel et lucratif. 3/10 gov.karelia.ru/news/18-04-202…
Comme je serai prise toute la journée du 9 mai, je n'aurai pas la joie de commenter en direct les célébrations russes de la victoire contre le nazisme. Voici un exercice "boule de cristal" pour vous raconter ce qui se passera ce jour-là.
Spoiler: probablement rien.
🧶 1/14
Ce "rien"- là n'avait rien d'évident. Comme la Russie a lancé son attaque contre l'Ukraine en février 2022 au nom d'une "dénazification", que les Ukrainiens continuent à être qualifiés de "néo-nazis", le 9 mai a forcément une importance symbolique majeure. Oui mais voilà. 2/14
Non seulement la victoire n'est pas au rendez-vous, mais même la prise de Bakhmut ne sera probablement pas actée. Le sujet le plus discuté est le coup de gueule de Prigojine sur fond de corps de combattants. Et le drone sur le Kremlin qu'on essaie de mettre sous le tapis. 3/14