Thread by @Nolwenn_Guellec

Après l’intéressante soirée d’hier je profite de cet excellent thread de @TBaubet qui montre le mécanisme qui créée l’expert médiatique pour revenir sur ce sujet

https://twitter.com/TBaubet/status/1073531019825999872?s=20

D’où je parle (vous allez voir, c’est important) : je travaille dans le documentaire, versant édito, depuis 15 ans, et j’ai commencé ma carrière en bossant pour un talk show culturel.

Comme le montre Thierry Baubet il y a beaucoup de choses totalement indépendantes des compétences qui entrent en ligne de compte pour être un “bon”expert médiatique : la disponibilité, les relations qu’on entretient avec les journalistes, l’apparence physique

(si vous voulez devenir psy de plateau je recommande la veste en velours et les lunettes), et la capacité à performer les codes de la télé.
Y’a rien de pire pour un programmateur de direct que de voir son super invité devenir abscons ou mutique devant une caméra,

et vu que les gens aiment protéger leur cul, ils auront toujours tendance à revenir vers quelqu’un dont ils savent qu’il est bon dans l’exercice plutôt que de donner la parole à un meilleur spécialiste.

En documentaire, c’est un peu différent, mais la contrainte de performance demeure, et il n’y a rien de pire que de devoir mettre à la poubelle une interview d’une personne qu’on sait pourtant intéressante, sans compter qu’il faudra justifier la journée de tournage inutilisable.

C’est très important d’avoir cette idée en tête. Et de savoir que dans ce cas là être une jolie femme, mince, valide et blanche, n’est pas vraiment un handicap, plutôt le contraire.

Du coup, comment on fait pour choisir un expert ? Et bien ça n’est pas vraiment une question de diplômes. Une assistante sociale à l’ASE peut être une experte aussi pertinente qu’un sociologue qui a publié des travaux peer reviewed sur l’enfance maltraitée.

Je suis aussi très vigilante à ne jamais réduire la parole des personnes victimes à une parole de témoignage - car les victimes ont souvent pour survivre dû développer une véritable expertise de leur propre histoire.

Leur donner la parole sur le plan de l’analyse, c’est aussi ne pas les réduire à ce qu’elles sont subi, et c'est aussi un moyen de se prémunir contre le trauma porn, où on se repaît des détails sordides de l'histoire de quelqu'un sans réellement l'écouter.

Par contre, le point fondamental, celui par lequel on devrait à mon avis commencer, c’est de bien s’assurer que la personne est claire sur la position d’où elle parle : sur ses enjeux personnels, sur sa position par rapport au sujet, et sur les titres dont elle se réclame.

Une personne qui n’est pas enseignante-chercheuse peut avoir des choses très intéressantes à dire sur un sujet ; par contre, le fait qu’elle entretienne le flou sur la réalité de ses activités universitaires, c’est pour moi un red flag qui m’incite à la méfiance.

Savoir d’où on parle, c’est aussi savoir délimiter explicitement son domaine d’expertise : @TBaubet explique bien comment on se retrouve par glissement progressif à l’étendre au delà du raisonnable, le domaine d’expertise apparaissant ex post du fait de l’exposition médiatique.

Ce retournement de causalité est hyper courant, et je pense qu’on y glisse très facilement : Peltier et Lamy ne sont ni les seules ni les pires dans ce domaine.

Ma conclusion c'est que le star-system qui résulte de l’exposition médiatique ne produit jamais rien de bon, ni pour les personnes qui s'exposent, ni pour ceux qui les sollicitent, ni pour le niveau du débat en général.