Ce livre sort en poche. Les Champs-Élysées, condensé d'histoire sociale et politique, forment un microcosme hors-normes, symbole d’un monde social traversé d’inégalités. Histoire sensible d'un lieu métaphorique, où la richesse extrême cohabite avec la plus grande pauvreté.🧵
À propos des Champs-Élysées, la construction de l'"enchantement" produit un monde hors du monde, une bulle détachée de la réalité sociale. Mais cette fabrique du prestige s’est toujours faite au prix d’une grande précarité et de conditions de travail souvent rudes. Contre-Champs.
Ce livre plonge dans l’ambiguïté et la tension des Champs: avenue aristocratique et populaire, luxueuse et déviante, prestigieuse et contestée, toujours provocante dans ses habits d’apparat mais mise à nu parfois dans les moments de révolte et d’insurrection.
📸 Serge D'Ignazio
Les Champs‐Élysées sont un concentré de démesure et de richesses, un "beau quartier" où se trament bien des conflits, comme une métaphore du monde tel qu’il est et tel qu’il est disputé, attaqué, refusé. Les Champs‐Élysées racontent en condensé une histoire des rapports sociaux.
Rousseau dans La Nouvelle Héloïse en parle comme du lieu "où les fortunes sont les plus inégales et où règnent à la fois la plus somptueuse opulence et la plus déplorable misère". Les archives nous la décrivent, comme ici avec Félix, petit mendiant arrêté sur les Champs en 1889.
C’est la promesse d’Homère
"Aux champs Élysées tout au bout de la terre
La plus douce des vies est offerte aux humains"
Les champs Élysées grecs & romains sont le paradis des Anciens. En 1694 en donnant ce nom à une voie parisienne on pensait que ce paradis serait aussi terrestre
À cette époque c'est un endroit boueux aux confins de Paris: cabanes de chaume, vaches en pâturage, lopins de vigne, fosses à purin. Les couleuvres y glissent au milieu des vergers. Des troupeaux y paissent librement. L'actuelle rue Marbeuf se nomme rue des Gourdes (les courges).
À la fin du 18e siècle, les Champs-Élysées sont fréquentés autant par les aristocrates que par les sans‐asile: un lieu très mélangé socialement, comme il le sera longtemps. Ici on voit le roi Louis XVI s'y promener et croiser un balayeur des allées, qui ne le reconnaît pas.
Les Champs se politisent. Le 5 octobre 1789, une partie du peuple de Paris marche sur Versailles. Ces femmes et ces hommes passent par les Champs‐Élysées et les empruntent au retour avec le roi et sa famille. Chateaubriand est effrayé et décrit "des harpies", des "laronnesses"…
Le rêve de vengeance mijote chez ceux que la Révolution a privés de leurs privilèges. Le 30 juillet 1792, les Champs-Élysées sont le lieu d'une tuerie perpétrée contre les fédérés marseillais. Les grenadiers qui tirent sur les révolutionnaires le font au cri de "Vive le roi!"
Sous l'Empire, le pouvoir veut débarrasser les Champs-Élysées des classes populaires. On détruit des fermes et des masures, on chasse les plus pauvres, tandis que l'empereur fait donner des fêtes somptueuses et des cérémonies à son honneur. Cette tension sociale sera permanente.
La voie devient l’endroit où faire démonstration de puissance. Puissance impériale d'abord. Puis, en 1814 et 1815, c'est comme si tous les combattants d’Europe marchaient sur les Champs‐Élysées. Les troupes étrangères y bivouaquent, parmi lesquelles Prussiens et Cosaques.
À partir de 1823, de grandes artères sont percées. Les lotissements sont bâtis sur le modèle des cottages anglais avec pavillons luxueux et hôtels particuliers. Les masures que le pouvoir juge "sordides" sont abattues sur ordre des autorités, pour chasser les classes populaires.
Obsession aussi sous la Monarchie de Juillet. Louis‐Philippe fait abattre les échoppes considérées comme des "verrues". Selon le préfet de police, en 1831, ces modestes boutiques sont jugées incompatibles avec la puissance des monuments publics: elles "nuisent à leur dignité".
Louis Napoléon Bonaparte choisit l'un de ces hôtels particuliers pour y installer son palais de président de la République en 1848. Il appartenait autrefois à la marquise de Pompadour: c'est dire si ce lieu est bien peu républicain. Il sera rapidement appelé "Élysée Napoléon".
Les Champs sont associés à la démonstration ostentatoire du pouvoir, lieu mondain où s’installent la finance et l’industrie. Napoléon III en fait l'arsenal de la "fête impériale". En 20 ans la valeur immobilière fait plus que doubler à Paris avec une ségrégation sociale exacerbée
Les notables ont migré vers l’ouest: en ce long siècle révolutionnaire, le centre de Paris leur apparaît trop dangereux, battant au rythme des soulèvements populaires. En 1871, la rue de Morny devient certes la "rue de la Commune", mais cette dernière est horriblement massacrée.
Les hôtels particuliers rivalisent d'un luxe époustouflant, comme ici celui de la Païva. Mais au même moment, à la fin du XIXe siècle, il arrive qu'on trouve dans les bosquets des Champs-Élysées des cadavres de personnes mortes de faim ou froid. Tragiquement dévorés par les rats.
Le quartier est le terrain de conflits au travail, parfois même de grèves longues comme chez les ouvriers construisant l’Arc de Triomphe, victimes de répression, et plus tard sur le chantier de la Tour Eiffel. Autre façon de voir ces lieux: par le travail et les luttes sociales.
La Grande Guerre affecte les travaux et les jours. Une main‐d’œuvre nouvelle est réquisitionnée, comme ces Kabyles affectés à la voirie, que l’on voit balayer les Champs‐Élysées. Les origines des travailleurs se diversifient, à la mesure des bouleversements dans le recrutement.
La fin de la guerre et les célébrations du triomphe font des Champs un lieu de gloire nationale. Pour la première fois on voit défiler des chars d’assaut français et alliés, au côté des différents régiments. On a entassé des canons pris aux Allemands, que surmonte un coq gaulois.
Les autorités ont oublié d'honorer les aviateurs lors des cérémonies officielles: un affront. Le 9 août 1919, le pilote Charles Godefroy fait voler son avion sous l’Arc de Triomphe. Roland Garros l’avait envisagé et avait conclu "Celui qui essaiera de passer là se tuera" (non).
Le 11 novembre 1920 est portée en terre la dépouille d’un soldat inconnu. L’écrivain Henri de Jouvenel en a eu l’idée, suppliant pour le soldat sans nom: "Ne l’enfermez pas au Panthéon, portez‐le au sommet de l’avenue triomphale, au milieu de ces 4 arches ouvertes sur le ciel."
Sous le Front populaire, des cortèges de grévistes disputent l'avenue aux ligues de droite et d'extrême-droite qui en ont fait leur lieu sacré. Ces travailleuses et travailleurs en grève font résonner l'histoire des Champs, lieu de tensions renouvelées entre classes sociales.
En 1940, l'avenue est une proie nazie. Hitler descend les Champs puis la Wehrmacht y défile chaque jour; la croix gammée flotte sur l'Arc de Triomphe. De nombreux immeubles sont réquisitionnés, notamment pour les bureaux de la Propagandastaffel et les expositions de la Waffen SS.
Des cinémas réquisitionnés sont réservés aux Allemands. C’est le cas aussi de certains cafés où s’affichent les pancartes "Interdit aux Juifs". Le Lido devient lieu de divertissement pour l'occupant et ses soutiens. Pas de réquisition pour Renault: il travaille pour la Wehrmacht.
Des groupes paramilitaires et des ligues françaises pronazies s'emparent aussi des lieux. Le petit monde de la Collaboration festoie au Fouquet’s. Parmi eux, le propriétaire de la Samaritaine Gabriel Cognacq, l’industriel des liqueurs Albert Dubonnet, la styliste Nina Ricci…
Le 8 juillet 1944, des prisonniers américains et anglais capturés en Normandie sont traînés en cortège sur les Champs et conspués; des badauds les frappent ou leur crachent au visage. Cette scène violente sera vite oubliée, enfouie et refoulée dans l’inconscient collectif.
Le 17 août 1944, les syndicats dissous sur ordre de Vichy qui avaient poursuivi une activité clandestine appellent à une grève générale. Dans Paris il n’y a plus de métro, ni de gaz, de postes, de cinémas, de théâtres, de ramassage des ordures ménagères. Les combats font rage.
On connaît bien sûr le défilé triomphal du 25 août 1944, avec "la mer" que Charles de Gaulle, porté par la foule immense, croit percevoir. Mais à peine le cortège a‐t‐il quitté les Champs que plusieurs fusillades éclatent, faisant des morts: les combats ne sont pas terminés.
La guerre froide traverse et déchire les Champs. Le 11 novembre 1948 un défilé de résistants pour la plupart communistes tourne à l'affrontement avec les forces de l'ordre, qui tirent. En février 1951 une manifestation contre la venue d'Eisenhower conduit aussi à un affrontement.
Durant la guerre d'indépendance algérienne, les Champs connaissent des nuits rouge sang. Le 17 octobre 1961, comme d’autres grandes artères de la capitale, ils sont le théâtre sinistre du massacre perpétré par la police contre des manifestants algériens.
Sur les Champs et à la Concorde, des manifestants tombent sous les coups de crosse ou meurent étouffés; d’autres sont fauchés par des rafales de pistolets‐mitrailleurs. "On tirait sur tout ce qui bougeait, c’était l’horreur, la chasse à l’homme" témoigne le policier Raoul Letard.
Lors de la grève générale de 1968, les Champs-Élysées sont le lieu d'une intense politisation. Y défilent le 30 mai les partisans de De Gaulle, dont certains crient "Renault au boulot!", parfois "Les cocos au poteau" et même "Cohn-Bendit à Dachau".
Les Champs deviennent un lieu de tension politique voire de "guérilla urbaine" dans les années 1970, avec plusieurs épisodes de révoltes anarchistes: vitrines brisées, barricades incendiées… L’avenue se retrouve au cœur d’affrontements qui l'érigent en symbole et en cible.
En revanche c'est à une dépolitisation qu'on assiste durant le Bicentenaire de la Révolution. Le défilé conçu par Jean-Paul Goude est assumé comme une sorte de publicité, une "forme un peu gratuite", dit Goude lui-même. La Révolution serait "terminée" comme le proclame Fr. Furet.
Lieu de fête, de sacré et de conflictualité, les Champs sont un concentré où accents patriotiques et "universels" se mêlent. Un lieu‐monde: non seulement parce qu’ils sont connus dans le monde entier, mais surtout parce qu’ils énoncent un certain état du monde.
Un long chapitre est consacré à l'histoire de l'Arc de Triomphe qui, contrairement à ce qui a pu être raconté, n'a rien de "républicain". Ses origines sont évidemment napoléoniennes et son achèvement date de la Monarchie de Juillet. C'est la guerre et ses victoires qu'il exalte.
Depuis plusieurs décennies, sur décision du général Combette, des jeunes de milieu scolaire participent chaque soir au rituel du ravivage de la flamme au côté de militaires. Des discours célèbrent les guerres mondiales et celles d’Indochine et d’Algérie "en défense de la patrie".
Un chapitre explore l'histoire du Fouquet's, bistrot de cochers ouvert en 1899 par le limonadier Louis Fouquet, et la manière dont il devient un lieu mondain. En 1936, un chroniqueur commente pourtant: "Je n’y comprends rien, c’est cher et ce n’est pas meilleur qu’ailleurs…"
En 1994 le Fouquet's connaît un scandale sanitaire. La Direction générale des fraudes relève que les "fromages de ferme" sont industriels; la "poularde de Bresse" est un poulet élevé en batterie. Des blattes envahissent le local à vaisselle. Le foie gras est illégalement congelé.
Fruits et légumes gisent à même le sol. Des produits vendus au prix fort sont depuis longtemps périmés. Les casseroles de cuivre sont dans un état douteux…
Le tribunal correctionnel condamne son PDG à 40000 francs d’amende pour publicité mensongère et infractions à l’hygiène.
Depuis 1998 le Fouquet's appartient au groupe Barrière dirigé par Dominique Desseigne, un ami de Nicolas Sarkozy. Il détient 36 casinos, 19 hôtels de luxe et environ 150 restaurants. Son chiffre d’affaires est estimé à 1,2 milliard d’euros. Il a ouvert un autre Fouquet's à Dubaï.
Le 16 mars 2019, au cœur du mouvement des Gilets jaunes, le Fouquet's a brûlé. Pour E. Macron, c'était "la République" qui était prise pour cible. La cuirasse dont le Fouquet's s’est ensuite enrobé ressemblait à une protection blindée, un camp retranché. "Full Metal Fouquet’s"?
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La promotion médiatique de R.Glucksmann est caricaturale mais peu surprenante. Comme le silence sur le départ de presque la moitié des fondateurs de Place publique dénonçant un fonctionnement "pyramidal", une "organisation dont le seul objectif est de mettre en valeur un homme"🔽
Farid Benlagha, l'un des fondateurs, est par exemple parti en accusant un "groupuscule" formé autour de Raphaël Glucksmann et ses proches d'avoir pris seul toutes les décisions. "Une forme de putsch" disait-il publicsenat.fr/actualites/non…
"D'un mouvement polyphonique, on est passés à un fan-club de Raphaël Glucksmann", pour qui "les pouvoirs ont été concentrés entre ses mains". On n'en entend curieusement jamais parler.
Gideon Levy, journaliste du quotidien Haaretz, intègre et juste, est traité de kapo et de nazi dans son pays parce qu'il décrit le génocide à Gaza et estime que de véritables sanctions contre Israël arrêteraient la barbarie. Soutien et gratitude pour son courage. Merci à lui 🙏
Dans ce texte encore une fois probe, courageux et précis, Gideon Levy décrit l'hypocrisie qu'il y a de la part de certains gouvernements… à envisager la reconnaissance d'un État palestinien mais sans jamais envisager de véritables sanctions contre Israël haaretz.com/opinion/2025-0…
"La reconnaissance européenne de la Palestine est un geste creux exonérant Israël de toute responsabilité.
Sans sanctions pour arrêter le massacre à Gaza,
ce n'est pas de la diplomatie, c'est de la complicité." (Gideon Levy, Haaretz, 3 août 2025)
Racisme abject et récupération monstrueuse du meurtre de Mélanie. On ne saurait s'en étonner: Thibault de Montbrial est une pièce essentielle de l'écosystème #Stérin pour coloniser les esprits et les imprégner d'extrême droite, comme l'a révélé L'Humanité.
C'est un dispositif coordonné, avec ses mots de passe et ses infâmes tours de passe-passe. Ici Hortefeux raconte que le meurtre de Mélanie par un ado prénommé Quentin est dû à
- mai 68
- l'immigration.
Ces gens sont au-delà de l'abjection.
Honte, approximations, erreurs et mensonges de bout en bout!
Un fil détaillé ⤵️ parce que là c'est vraiment trop.
Comment peut-on être aussi indigne tout en se faisant à ce point donneuse de leçons? Et évidemment sans contradiction.
#CarolineFourest #GazaGenocide
Caroline Fourest ose parler de "populisme sémantique" à propos de la qualification de génocide à Gaza. Elle passe par une comparaison honteuse avec l'accusation monstrueuse que porte Trump sur un prétendu"génocide de Blancs" en Afrique du Sud.⬇️
Pire: elle prétend de manière vraiment infâme que cette accusation de Trump sur un prétendu "génocide des Blancs" serait un "retour de bâton", le "retour d'ascenseur", en quelque sorte la monnaie que l'Afrique du Sud paierait pour avoir parlé d'un génocide à Gaza⬇️
C'est important que des artistes évoquent enfin Gaza et parlent d'un génocide. Mais c'est monstrueusement tard. Le silence gêné de ces milieux a pesé terriblement contre la mobilisation et l'interpellation du pouvoir français pour AGIR. Ça nous apprend beaucoup, dramatiquement🧵
Pendant des mois lorsque nous évoquions un génocide avec des sources précises et documentées, il n'y avait quasiment AUCUN relais sauf ici sur les réseaux. Certaines émissions de grande audience laissaient parler des Sophia Aram sans aucune contradiction.
Exemple: Le Monde avait publié une tribune accusant la "gauche radicale" de propager l'antisémitisme parce qu'elle parlait d'un génocide. Et refusé de publier notre réponse argumentée. Monstrueux pour Gaza et pour la lutte contre le véritable antisémitisme
Raphaël Enthoven sombre toujours plus bas dans l'ignominie. Il propage des fake news que tout média honnête démonte méthodiquement en dix minutes (comme ici⏬). Et ces gens évidemment sont sur tous les plateaux, vivent de leurs mensonges et de la colonisation des esprits. Infamie
Réfutation méthodique⏬
"chaque main compte bien 5 doigts. Lorsque l'on regarde attentivement la photo il est possible de distinguer le 5e doigt de la main tenant le drapeau, partiellement caché par la tige qu'il soutient"
Quel gâchis de temps et d'énergie observers.france24.com/fr/france/2025…
Évidemment l'infamie suprême reste ces propos répétés et martelés sur tous les plateaux télé: "Y a pas de génocide à Gaza j'y peux rien, y a pas de génocide à Gaza"... Avec ce redoublement de la honte, dans sa liste des génocides qui oublie celui des Tutsi