Thread by @ntrouiller

Parfois, on entre dans un dossier comme dans une chambre de torture.
Je pense souvent à l'anecdote rapportée je crois par Plutarque du petit Spartiate qui planquait un renard sous son vêtement et qui a préféré se laisser labourer le ventre par l'animal que proférer un seul son.

Souvent pour tout un tas de raisons on ne peut pas parler. Accompagner les victimes c'est accepter pour les aider à sortir du silence de se murer avec elles dans le silence dans un premier temps. Et savoir que parfois la sortie du silence ne se fera pas. Il faut accepter cela.

En tournant les pages on a envie de hurler. De tout cramer. D'être violent. Vraiment. Pas tant, en fait, contre les criminels que contre les complices dans l'institution. Ceux qui couvrent, ceux qui mentent, ceux qui baladent, ceux qui citent l'évangile pour enfumer les victimes.

Il y a des dossiers où l'on cherche désespérément une lueur même faible d'humanité dans la façon dont les personnes ont été traitées. Et puis, miracle ! Il y a un gars, à un moment, qui a fait un truc de dingue : il a agi humainement.

Et là on éclate en sanglots et on a juste envie de l'appeler et de lui dire merci, vous êtes un saint. On est prêt à tomber à genoux devant comme deux minutes avant on était prêt à tout cramer. "S'il se trouve seulement vingt justes à Sodome..."

Et puis on referme le dossier, on prend l'air. On respire les cheveux de Petite Dernière. On dort un peu, aussi. On appelle une copine pour parler de choses banales et normales. Et les choses se remettent en perspective.

Le gars qui a agi humainement, en fait, il a juste... agi humainement. Ça lui a pris 5mn. Il a fait ce que n'importe quel honnête homme doté d'un minimum de conscience un peu éclairée aurait fait.
Même pas ce qu'aurait fait un bon chrétien, ce qu'aurait fait un citoyen lambda.

Seulement voilà. L'état de pourriture morale de l'institution est tel qu'en comparaison des autres, ce gars là est effectivement un saint.
C'est terrifiant.
Mais en même temps une évidence m'a sauté aux yeux.

Je le dis et je ne suis pas là seule, les victimes, c'est le Christ. C'est à ce titre-là que l'Eglise a le devoir absolu d'en prendre soin.
Il ne s'agit pas de diviniser les victimes. D'imaginer je ne sais qu'elle théologie bien déviante où les violences sexuelles les rendraient

saintes ou sacrées ou parfaites ou que sais-je. Non, c'est juste l'application de Matthieu 25. "Dans la mesure où vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait."
Et c'est vrai que du coup, c'est le Christ aux outrages que je vois dans

ces victimes baladées, à qui l'on ment les yeux dans les yeux, à qui l'on exprime des pseudo remords bourrés de lapsus à hurler.
Mais hier j'ai vu autre chose.

Hier j'ai lu une lettre qu'une victime adressait à un responsable en réponse à ses pitoyables justifications.
Une lettre si pleine de dignité, de courage, de noblesse, que c'est un autre Christ que j'ai vu dans cette victime.
J'ai vu le Christ en majesté.

Et un jour, justice passera et justice sera faite.
Et dans cette victime ou dans une autre, nous verrons les prémices de Pâques. ⏹️