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Nov 5, 2023 • 37 tweets • 7 min read • Read on X
🚨 L’ADN comme source de preuve en matière pénale: ne croyez pas tout savoir.

Beaucoup d’experts pensent maîtriser leur discours, beaucoup de magistrats lui donnent une force qu’il n’a pas, trop d’avocats le négligent.

Voici un « cas historique » français qui va faire date. ⬇️
Avant de vous exposer ce cas hors norme, faisons un rapide Ă©tat des lieux.

Depuis 1985 on sait qu’il est possible d’identifier avec un grand degré de confiance une personne grâce à son profil génétique.

C’est scientifique car la rareté d’un profil est calculée statistiquement.
Sauf erreur de prélèvement, contamination, mauvaise manipulation, erreur de retranscription, etc, si le profil est suffisamment complet et rare, l’identification est fiable.

C’est la seule partie des analyses génétiques qui repose sur une base scientifique maîtrisée.
On connaît la fréquence statistique de chaque caractéristique génétique dans une population donnée et, en multipliant les informations sur un profil ADN, il est possible d’exprimer sa rareté avec un rapport de vraisemblance dépassant un milliard.
On ne démontre pas qu’un profil est unique sur terre, mais on minimise le risque de correspondance fortuite et, à compter du milliard, on peut estimer que le risque d’erreur est infime.

Le raisonnement vaut hors liens familiaux et il est exclu pour les vrais jumeaux.
Connaître le profil génétique d’un individu permet de le rapprocher d’une trace retrouvée sur une scène de crime.

C’est l’objet principal du fichier national des « empreintes » génétiques en France, le FNAEG.

Identifier le titulaire d’un profil génétique est une première phase.
Mais ce qui intéresse le juge, c’est de connaître l’activité qui permet d’expliquer comment ce profil est arrivé là où il a été retrouvé.

Car une preuve doit permettre de relier un auteur à un crime avec un très haut niveau de certitude.

C’est ici que tout se joue.
Les experts en génétique ne sont là que pour caractériser des profils sur des traces ou ceux d’individus et éventuellement valider des rapprochements faits par le FNAEG.

J’en profite pour le répéter: un rapprochement FNAEG ne vaut pas identification, l’expert DOIT le confirmer.
Les experts en génétique en France ne savent faire que cela: caractériser et identifier des profils ADN.

Dans leurs rapports, sauf questions posées spécialement, ils ne disent rien sur l’activité à la source de la trace.

Pour beaucoup, l’activité serait une évidence…
Il y a un profil ADN supposé en lien avec le crime, c’est à son titulaire de s’expliquer. S’il ne sait quoi répondre, c’est une « preuve » supplémentaire, le dossier est plié.

Mais chacun de nous dépose plusieurs millions de copies de son ADN chaque jour dans son environnement
En 1985, il fallait de grandes quantités de traces biologiques pour caractériser un profil ADN.
Aujourd’hui, l’équivalent de l’ADN contenu dans quelques cellules suffit. Ce sont des traces invisibles et dont on ne connaît pas l’origine biologique (cellules de la peau, sang, etc)
Surtout, notre ADN voyage, essentiellement avec les objets que l’on a touché et les personnes avec qui nous avons eu des contacts rapprochés.

Mais pas que.

Nous ne saurons jamais où se retrouve notre ADN car il est impossible de maîtriser sa dissémination, elle est invisible.
Si je touche un objet avec ma main non gantée, je vais pouvoir déposer mon ADN sur cet objet. En quantité très variable selon mon état et les conditions de température et d’humidité notamment.

Entre un « bon » donneur et un « mauvais », le facteur peut être de plus de 100 fois.
Si je touche un objet ou une personne, le transfert d’ADN est direct.

Si une personne ou un objet est en contact avec ce dépôt d’ADN, il peut l’emporter sur lui: c’est un transfert secondaire. Le même que pour un virus ou une bactérie.

C’est le principe de la contamination.
La question n’est pas anodine, elle est devenue essentielle devant les juridictions lorsqu’il s’agit de contester des conclusions hâtives.

On ne sait pas dater un dépôt d’ADN, il a pu être déposé avant le crime.

Et comment exclure un transfert secondaire?
Interrogé devant une cour d’assises, un expert a affirmé qu’expérimentalement, dans son laboratoire, il avait conclu que l’on pouvait exclure un transfert secondaire d’objet à objet au delà d’une demi heure.

Nous étions hors champ de son rapport écrit et de son habilitation…
Mais bien entendu, de tels propos tenus par un « expert » ont un poids significatif, même s’ils sont hors cadre de ses compétences.

Comme souvent, c’est par un cas exceptionnel qu’il peut être démontré qu’il ne pouvait pas être aussi affirmatif.

C’est l’affaire Lukis Anderson.
Ce jeune homme est accusé d’avoir causé la mort d’un homme pendant le cambriolage de sa maison. L’ADN de Lukis Anderson a été retrouvé sous les ongles de la victime et Anderson est incapable de dire s’il a participé ou non à ces faits. (« Maybe I did do it »).

Affaire simple?
Nous sommes en Californie et l’avocate chargée de sa défense, Kelley Kullick, va mener des recherches.

Elle découvre que son client était, de façon certaine, hospitalisé dans un coma éthylique au moment des faits.

Il n’a pas pu participer à ce crime.

On enquĂŞte et on trouve.
L’équipe de « paramedics » qui a pris en charge Anderson dans le coma est la même qui, trois heures plus tard, va venir sur la scène de crime pour tenter de sauver la victime.

Le « coupable » du transfert d’ADN est sans doute l’oxymètre de pouls utilisé dans les deux cas.
Nous avons donc un transfert primaire du doigt de Lukis Anderson vers l’oxymètre, qui sert à apprécier la saturation en oxygène du sang et le pouls, et un transfert secondaire de cet appareil médical vers la victime.

Anderson était bien incapable de l’expliquer ou de le deviner
Ainsi, les certitudes affichées par notre expert aux assises sont contredites par la réalité. Combien d’innocents sont ainsi condamnés pour ne pas pouvoir expliquer comment « leur » ADN est retrouvé sur les lieux des faits?

Je ne connaissais pas d’autre affaire plus explicite.
C’est ici qu’intervient ce qui va devenir un « cas historique », un article complet est à venir en janvier sur @PenalDalloz.

Voici l’affaire en résumé.

Une villa parmi d’autres cette nuit là est vouée à la destruction par un groupe d’autonomistes d’une île de la Méditerranée.
Très classiquement, des bonbonnes de gaz sont déposées, ouvertes alors que le feu est mis.

L’incendie fait son office mais les bouteilles n’explosent pas.

Il est possible de les soumettre à des analyses génétiques.

Et bingo! Sur la base de chaque bouteille: le mĂŞme profil ADN.
Élément étonnant, c’est un profil génétique féminin.

On retrouve ce même profil sur le guéridon qui a été écarté et posé sur un lit pour mettre à sa place les bouteilles de gaz à un endroit stratégique.

L’hypothèse est alors qu’une femme a manipulé ce guéridon et ces bouteilles
Logiquement, on va discriminer cet ADN avec le profil de la propriétaire des lieux.

La maison appartient à un couple de retraités.

Laissons de côté tout suspense, c’est l’ADN de cette dame de 78 ans qui est retrouvé dans les analyses.

C’est là que cela devient passionnant!
On sait de façon certaine que les bouteilles de gaz ont été apportées par le ou les auteurs.

On sait que cette dame était, au moment des faits, « sur le continent ».

Elle n’a donc jamais été en contact avec ces bouteilles… sur lesquelles seul son profil ADN est retrouvé.
Il ne s’agit pas en effet d’un mélange d’ADN comme on peut le constater souvent.

Seule hypothèse envisageable: un des auteurs a manipulé le guéridon sur lequel il y avait l’ADN de cette dame. Se faisant, il a contaminé ses gants.

Nous avons ici un transfert secondaire.
Ensuite, après avoir déposé le guéridon sur le lit, il a manipulé les trois bouteilles de gaz pleines en les saisissant par le col et par la collerette qui est à la base des bouteilles.

Systématiquement, il a déposé l’ADN de cette dame sur les bouteilles et seulement son ADN.
Le transfert du gant vers les bouteilles est un transfert tertiaire.

Il est déjà impressionnant de constater que les trois bouteilles aient été contaminées ainsi.

Mais surtout, il est certain que cette dame n’a pas mis les pieds dans sa maison depuis près de 6 mois!
Nous avons donc ici un exemple concret, dans la vraie vie, d’un cas jugé plus qu’improbable par certains experts, qui doutent des expériences qui démontrent la réalité des transferts secondaires.

Les 3 heures de Lukis Anderson sont pulvérisées.
Cette affaire et ses conséquences sera analysée dans @PenalDalloz.

J’espère qu’elle vous intéresse.

Je tiens à remercier @Gui_Martine qui m’a permis d’accéder à ce dossier et m’a transmis tous les éléments de cette procédure incroyable.
Il ne s’agit pas en effet d’un mélange d’ADN comme on peut le constater souvent.

Seule hypothèse envisageable: un des auteurs a manipulé le guéridon sur lequel il y avait l’ADN de cette dame. Se faisant, il a contaminé ses gants.

Nous avons ici un transfert secondaire.
Ensuite, après avoir déposé le guéridon sur le lit, il a manipulé les trois bouteilles de gaz pleines en les saisissant par le col et par la collerette qui est à la base des bouteilles.

Systématiquement, il a déposé l’ADN de cette dame sur les bouteilles et seulement son ADN.
Le transfert du gant vers les bouteilles est un transfert tertiaire.

Il est déjà impressionnant de constater que les trois bouteilles aient été contaminées ainsi.

Mais surtout, il est certain que cette dame n’a pas mis les pieds dans sa maison depuis près de 6 mois!
Nous avons donc ici un exemple concret, dans la vraie vie, d’un cas jugé plus qu’improbable par certains experts, qui doutent des expériences qui démontrent la réalité des transferts secondaires.

Les 3 heures de Lukis Anderson sont pulvérisées.
Cette affaire et ses conséquences sera analysée dans @PenalDalloz.

J’espère qu’elle vous intéresse.

Je tiens à remercier @Gui_Martine qui m’a permis d’accéder à ce dossier et m’a transmis tous les éléments de cette procédure incroyable.

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