Thread by @fmbreon

Comme annoncé, je reviens sur l’émission de France Culture au cours de laquelle la réalisatrice du documentaire "La pile, mon village nucléaire" est venue commenter sa création
radiofrance.fr/franceculture/…

J’avais déjà réagi à la sortie du documentaire. A mes yeux, il montre des témoignages intéressants par les acteurs autour de cette centrale.

https://twitter.com/fmbreon/status/1772343441466233112

Mais le problème est la volonté de vouloir mettre un focus sur les deux accidents nucléaires qui ont affecté cette centrale en 1969 et 1980. Volonté qui est encore renforcée dans l’interview commenté ici. Ce n’est pas sans conséquence.

La réalisatrice dit elle-même que, suite à la diffusion, elle est contactée par des personnes qui sont inquiètes et qui s'interrogent si des cancers chez leurs proches peuvent être liés à ces accidents

Or, le documentaire n’apporte RIEN sur les deux accidents. Il est manifeste que la réalisatrice s’est très peu informée. Elle présente ces deux accidents comme ayant été « cachés » ou qu’ils étaient « tabou » chez les intervenants. Cette opinion ne résiste pas à l’analyse

En fait, il y avait déjà eu un buzz médiatique suite à un reportage anxiogène en 2015.

La ministre de l’écologie de l’époque, Ségolène Royal, avait demandé un rapport . Toute personne intéressée par ces accidents, leurs conséquences sanitaires et environnementales et le traitement médiatique devrait commencer par là :
economie.gouv.fr/files/files/di…

Les deux accidents ont entraîné la fusion (fonte) de quelques dizaines de kg de combustible. Le produit est resté dans la cuve (elle n’a pas été percée) et il n’y a donc eu aucun relâchement immédiat de radioactivité en dehors de la centrale.

Il a fallu par la suite faire diminuer la pression dans l’enceinte, conduisant à des rejets contrôlés de la radioactivité dans l’environnement de la centrale. La question est combien ?

Pour l’accident de 69, le combustible était « neuf », faiblement irradié, ce qui limite la concentration des produits de fission. On peut lire « Des contrôles ont été réalisés sous les vents dominants et aucune irradiation ou contamination n'a été décelée. » Sans surprise

Pour l’accident de 80, les rejets sont plus importants, mais restent dans les limites autorisés.
Et les mesures faites dans l’environnement n’ont rien montré de significatif.

On peut donc affirmer que l’impact des accidents en dehors de la centrale est négligeable, et c’est bien pour cela que leur classement INES est de 4 et pas plus. Pour rappel, l’accident de 3MI a été classé au niveau 5 ...

car les rejets radioactifs à l’extérieur ont été plus importants, même si aucune conséquence sanitaire n’était attendue (ni constatée).

A noter qu’il y a eu un autre incident le 21 Avril 1980 dans une piscine de la centrale, ce qui a conduit à une pollution radioactive dans la Loire « l'émission de rejets limités mais tout à fait mesurables dans la Loire, rejets comportant des émetteurs α. » (cf section 2.3.3)

Pour revenir aux accidents dans les cuves, il a fallu extraire le combustible fondu et nettoyer. L’essentiel du travail a été fait par des outils robotisés, mais des opérateurs ont dû intervenir. La dose reçue par les travailleurs était mesurée.

Pour l’accident de 69, 105 agents sont intervenus et ont reçu quelques dizaines de mSv

https://twitter.com/Mangeon4/status/1572602878837100550

C’est similaire pour l’intervention de 80, avec un suivi précis des doses reçues par le personnel qui intervient. D’ailleurs, dans le reportage discuté ici, à 37:40, on nous montre la liste des 400 personnes intervenant et il est dit explicitement que la liste donne la dose reçue

Avec les hypothèses de la loi linéaire sans seuil, on a une augmentation de la fréquence de cancers de 5% pour 1000 mSv. Pour une exposition de 50 mSv (valeur limite à l’époque pour les travailleurs du nucléaire), ca fait donc 0.25%. Appliqué à 400 intervenants, ça fait 1 cancer

Pour rappel, plus du tiers des français développent un cancer au cours de leur vie. Donc 1 de plus sur les 400 intervenants serait statistiquement invisible.

Pour être clair, 50 mSv, ce n’est pas « rien », et je serais personnellement assez réticent à l’idée de me prendre une telle dose. Mais il ne faut pas imaginer non plus que la moitié de ceux qui se prennent une telle dose vont y passer. On est très loin d’un tel impact.

Donc, pour le père de la réalisatrice qui a fait partie de ceux qui sont intervenus dans la (les ?) cuves et qui a plus tard développé un cancer, on ne peut pas exclure que sa maladie soit liée à cette intervention, mais ca reste peu probable.

D’ailleurs, les travailleurs du nucléaire sont suivis de près, y compris après leur départ à la retraite, et les réslutats des études épidémiologiques sont cohérentes avec le modèle linéaire sans seuil (ie la probabilité de développer un cancer en lien avec

l’exposition augmente linéairement avec la dose
bmj.com/content/382/bm…

Donc, selon ces résultats récents, toute dose additionnelle augmente le risque, mais celui-ci reste faible dans le sens ou, même avec une exposition à 100 mSv, le risque de développer un cancer est « petit » devant le risque des cancers « hors exposition ».

Dernier point sur la communication vers les populations. La réalisatrice affirme que l’accident aurait été caché, qu’il était « tabou ». Ce point est largement discuté dans le rapport suscité que je vous encourage à lire. C’est toute la section 5. En résumé, ni secret ni tabou.

La suite et fin ici :

https://twitter.com/fmbreon/status/1774816037457821988