Thread by @CBreteuil

[Pas Rigolo]

🧶J'ai bien hésité à l'écrire, parce qu'autant vous prévenir d'emblée : ce fil n'aura rien de drôle 😓

Les violences entre collégiens me font remonter des souvenirs un peu lourds, je vais m'en décharger.

Si ça peut vous aider à comprendre 2-3 trucs tant mieux ⤵️

Il y a un quart de siècle, on m'a bombardé prof de maths dans un bahut de banlieue.

Tu débutes, t'as pas de points, tu essayes de rester près de chez toi et tu te retrouves dans un collège éducation prioritaire, "zone sensible, zone violence" 😬

Bon en fait ça m'allait bien. J'étais super content d'enseigner, c'est un métier qui m'a toujours plu, et faut bien enseigner quelque part...

Alors autant aller là où les gamins ont besoin de toi 😅

Sauf qu'en fait j'imaginais pas trop la réalité du truc.

Déjà le jour de la prérentrée, je chope mes listings de classe (eh ouais, pas d'appel sur l'ordi à l'époque, fallait se débrouiller pour te faire ta propre liste d'élèves dans ton carnet perso 😆) et je vois un truc trop beau pour être vrai.

Toutes mes classes avaient 28-30 élèves sauf la 4eB (la fameuse), qui n'en comptait que 20.

M'enfin ?

Tout timide je me dis qu'il y a potête une erreur et je pose la question à des collègues.

J'ai pas été déçu de la réponse :

🧐 : "Oui bonchour voilà, je suis le petit nouveau, je très désole vous dérange, mais j'ai comme qui dirait une interrogation : je remarque que cette 4eB elle a que 20 élèves et je me demandais, en somme, euh... keskeupourkoi ?

😳😱😧😬 : Ah c'est toi qui les as ?!?"

Ah...

Spoiler : niveau apprentissage sur une classe difficile, j'ai pas été déçu de mon année.

Le collège c'est un peu comme la viticulture : certaines cuvées, tu sais pas pourquoi, sont particulièrement acides.

Bon bah celle là personne peut dire pourquoi vu que on était pas là et tant mieux, mais y a dû avoir un souci de lune montante au moment de la conception, avec Uranus en opposition, chaipakoi, mais la cuvée était TRÈS bouchonnée.

Voire complètement bouchée.

24 ans après je me souviens encore de l'heure de cours des jeudis de 16h à 17h avec eux.

C'était juste IMPOSSIBLE de leur faire cours.

J'ai essayé des activités ludiques, des TD, des interros (degré zéro de la pédagogie mais j'en pouvais plus)...

Rien.

Chaque semaine j'y allais à reculons.

Et parmi les valises de trucs surréalistes qui se sont produits avec ces 4eB, j'ai une anecdote très précise pour vous expliquer l'ambiance.

Alors que l'on venait tant bien que mal de préparer un exercice ensemble, je demande qui veut passer au tableau le corriger... et Alexandre lève la main.

Franchement, c'était pas un cadeau.

Alexandre, un peu enveloppé, un peu mal dans sa peau (ouais bah 14 ans hein...)

Alexandre en survêtement mochouille, qui va systématiquement rechercher l'amitié des pires crapules, prêt à n'importe quoi pour avoir des potes mais qui sait pas y faire.

Alexandre fils unique, pas aidé par sa maman qui l'élève seule et qui ne l'aide pas, mais pas du tout.

C'est horrible ce que je dis mais il faut comprendre la misère sociale de cette banlieue.

La drogue, le chômage, le manque de repères, d'éducation, de tout.

La maman nous avait sorti en réunion parents profs, devant TOUS les autres parents :

"C'est pas parce que Alexandre a un tout petit zizi qu'il faut que les autres se moquent de lui"

Et lui c'était sa vie.
Son quotidien.

Qu'est ce que tu veux faire face à ça ?

Je veux dire, même avec toute l'énergie et la motivation d'un jeune prof de maths, qu'est-ce que tu veux faire ?

C'était horrible.

Personne ne comprend ça en dehors de ceux qui y bossent ou y vivent, mais les cités, c'est aussi ça.

Bref, Alexandre (c'est pas son vrai prénom évidemment mais c'était ce genre là) lève la main et moi je suis pas chaud pour l'interroger.

Parce que c'est une victime et que t'as pas envie quoi.

Mais justement il faut. Justement tu dois.

L'aider, le pousser. Et le protéger.

Alors ok, viens au tableau Alexandre mais pitié démerde toi pour rien faire qui amène les autres à se foutre de toi, s'il te plaît

Pour toi, et puis très égoïstement pour moi aussi parce que sérieux là il est 16h27 depuis au moins trois plombes ça avance pas, alors joue-la clean

Alexandre se lève, prend son cahier, renverse son 4 couleurs que je ramasse sinon on va lui piquer, remonte les rangs et moi je pose le 4 couleurs dans la trousse que je referme et...

Il se prend les pieds dans l'estrade en bois.

On est en 2000-2001, c'est l'année du Loft, il y a des tableaux à craies, pas de téléphones portables et une putain d'estrade en bois et il se prend les pieds dedans ce putain de boulet.

Moi je suis au fond, pour surveiller le groupe classe et lui il tombe.

Une classe c'est pas comme dans les films.

Jamais.

C'est un équilibre.

Ça peut parler de tous les côtés en même temps, ça bougeotte, ça discute, faut toujours être attentif.

Surtout là.

Donc j'avais placé mes élèves pour éviter les paires de boulets, répartir les relous.

Devant, c'était un peu les plus remuants. Les perturbateurs que tu veux pas laisser au milieu

Ceux qui engrainent leurs camarades mais que tu chopes jamais

Et Alexandre qui s'étale avec son cahier, ses feuilles de contrôle, son survêt moche et sa mère cinglée pile à leurs pieds

Les deux gamins se sont instantanément levés pour le frapper.

Ils n'ont pas discuté. Ils ne se sont pas mis d'accord. Il n'y a pas eu de stratégie ou d'échange ou que sais-je.

Il est tombé.
Ils se sont levés pour le frapper à terre.
Immédiatement.

Je ne peux plus voir une image de MMA, vous savez ce "sport" ou des personnes sont dans une cage et se bastonnent.

Parce qu'ils se frappent à terre.

C'est le pire que puisse faire un être humain. En frapper un autre à terre. Ça me révolte.

Dans ces cas-là, en tant que prof tu ne calcules pas trop...

J'ai couru (il ne faut pas, ça excite tout le monde, mais bon...), j'ai attrapé Florian et je l'ai jeté en arrière.

J'ai chopé Wissam et je l'ai soulevé.

Ça va que je suis grand et qu'ils étaient jeunes.

(pitié gardez vos remarques racistes :

Oui dans ce bahut il y avait des Wissam, des Florian, des Alexandre, des Kevin, des Ibrahima et des Younouss, et je peux vous assurer que la bêtise, la gentillesse, l'intelligence et la méchanceté étaient distribuées très équitablement)

Donc je me retrouve avec Wissam dans ma main droite, Alexandre qui se relève à gauche et dont je vois dans le regard qu'il va lui en décoller une bonne.

J'avais presque envie de le laisser faire d'ailleurs, ça aurait peut-être fait du bien à tout le monde.

Sauf que bon...

Mon job c'était un peu que personne ne finisse à l'hosto.

Donc je chope mon Alex au maillot de la main gauche, et là je me dis qu'il y en a un 3e, et qu'il faudrait pas qu'il lui vienne des idées de retour à lui aussi vu que j'ai plus trop de main en rab.

Alors je cherche mon Florian du regard et là, consternation...

Avec le stress et l'adrénaline, je l'avais jeté à l'autre bout de la salle.

Littéralement.

C'est grand pourtant une salle de classe.

Chaipa le gosse avait dû voler, je regardais pas, mais il était à 4m, en PLS

Il finit par se relever, je tiens toujours mes deux zigotos, et je dis très calmement (non) à l'ensemble de la classe que le prochain qui moufte je le défonce.

Et t'as pas envie de dire ça.

Et il NE FAUT PAS dire ça.

Parce que t'as appris à transmettre Pythagore et la double distributivité et que toi c'est ça qui te plaît.

Et pour eux c'est ça qui pourrait les aider.

Mais c'est ça qui sort.

Ces gamins ils sont tout le temps dans la violence.

La seule bulle, le seul tipi de zen, c'est le collège.

Tu es au calme. On essaye de t'apporter des choses. Il y a à manger le midi. C'est propre. On respecte les horaires. On s'occupe de toi.

Faudrait jamais dire ça.

Mais voilà, la violence appelle la violence.

Le cours s'est fini tant bien que mal.

J'ai écrit des rapports, on a convoqué et reçu les parents. L'année a continué.

Mais moi ça m'a beaucoup perturbé.

Tu as du mal à faire cours à des élèves en te disant que si tu glisses, peut-être que...

Tu as du mal à leur préparer leur fiche d'exercices en sachant que leur réflexe, devant quelqu'un à terre c'est de lui filer un coup de pied.

C'est pas TPMP, ça n'existait pas.

C'est pas les réseaux sociaux, y en avait pas en 2001.

C'est pas la politique actuelle ou j'en sais rien.

C'était il y a un quart de siècle !

C'est de naître dans la violence. D'y vivre tous les jours. D'y retourner tous les soirs.

C'est horrible.

Alors que faire ?

Eh bien continuer à essayer de leur apporter du Pythagore, du Molière et des cours sur Napoléon.

Leur montrer ce qui est beau. Leur donner les moyens de se construire, d'apprendre, de découvrir autre chose.

Leur apporter un cadre, de la sérénité.

Si possible

Moi j'ai tenu 5 ans.

Cinq années dans ces collèges.

Puis je suis parti dans un lycée. En banlieue aussi, du côté de Trappes, si vous voyez.

Ça ne m'était plus possible.

Les collégiens c'est particulier, moi j'y arrivais plus. Ça m'abimait.

Je sentais que cette violence me contaminait, je n'arrivais plus à m'en extraire.

Tous les soirs j'avais besoin d'une douche de 30 minutes en rentrant. Et je finissais par m'y habituer.

Trouver ça normal.

Je ne voulais pas.

Bref, c'est ma vie, on s'en fout, mais la violence en milieu scolaire c'est pas simple

Et je veux remercier, soutenir toute la communauté éducative de ces banlieues et de partout

Les éducateurs, les pions, les assistantes sociales, CPE, les asso de parents, de quartier...

Je vais m'arrêter ici.

Juste il ne faut pas lâcher.

Continuer à donner à ces gamins des savoirs, des repères, de la culture.

Croire en eux. Surtout en Alexandre, Wissam et Florian. Les aider. Les cadrer. Les endoucir.

Les amener à devenir de bonnes personnes. Casser le cercle

Aujourd'hui...

Florian est devenu garagiste. Il était très fier d'avoir fait la révision de ma Dacia, et j'ai jamais eu une voiture aussi propre. Merci à lui.

Wissam a une boîte de plomberie je crois, j'ai vu une camionnette avec son nom dessus.

Alexandre je ne sais pas.