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Apr 11, 2024 37 tweets 6 min read Read on X
Abus sexuels dans la communauté catholique Saint-Jean : des religieuses dénoncent la loi du silence. Absence de sanctions, le pardon en forme d'absolution, la peur de saisir la justice, la fuite... (Re)voir l'enquête de l'Œil du 20H @infofrance2
Thread : Saint-Jean est une congrégation catholique, fondée en 1975. Dans la tourmente il y a 10 ans après des révélations de violences sexuelles de son fondateur Marie-Dominique Philippe, elle dit avoir procédé, depuis, à son examen de conscience. Qu'en est-il vraiment ?
Nous avons recueilli de nombreux témoignages de religieuses qui évoquent des d’abus récents, et alertent souvent en vain. Qui sont ces sœurs apostoliques ? A l'inverse des sœurs contemplatives, cloitrées, elles dépendent de l'évêque d’Autun depuis 1993.
40 des 170 sœurs apostoliques que compte Saint-Jean seraient aujourd'hui exclaustrées = sorties. Officiellement "en dispense de vie communautaire" (sic l'évêque d'Autun). Pour quelles raisons ? C'est tout l'objet de notre enquête.
xx a 35 ans. Religieuse pendant 12 ans à Saint-Jean témoigne d'agressions sexuelles répétées de la part, notamment, d’une sœur supérieure. Jusqu’au jour où elle dénonce les faits à la hiérarchie : ladite sœur supérieure sera déplacée dans un autre prieuré.
Une absence de sanction qui ne lui laisse d’autre choix que de quitter la communauté. Quitter la communauté revient à quitter son foyer sur la point des pieds. Démuni. A la rue. Sans logement, ni compte bancaire, ni sécurité sociale. Parfois sans téléphone ni vêtements. Rien.
Elle affirme n'avoir pas été entendue. Cette autre religieuse non plus : "Ma congrégation m’avait dit : on dénonce pas son frère, je ne veux rien savoir. On a toujours l’impression que c’est nous qui sommes en faute. J’étais la méchante parce que je parlais, j’étais le traitre”.
Une loi du silence qui semble difficile à rompre. Pourtant, sur son site internet, la communauté encourage les victimes “ à signaler ces faits à la justice”. Selon nos informations, trois sœurs auraient porté plainte.
En 2023, à la demande de la communauté Saint-Jean, 130 des 170 sœurs apostoliques ont répondu anonymement à un questionnaire interne dont nous sous sommes procuré le rapport confidentiel : la 1/2 d’entre elles déclare avoir été victimes de violences, contraintes, menaces, viols.
La moitié ! “Un abîme de dysfonctionnements, de souffrances, de malheurs”, conclut le rapport. Que fait - que ne fait pas l'Eglise ? Mgr Benoît Rivière, évêque d'Autun depuis 2006 et référent des sœurs apostoliques de Saint-Jean a bien voulu répondre à nos questions.
“Je n’ai pas lu tout ce rapport en détail. Je suis effaré par le nombre que vous citez. C’est effectivement considérable, c'est dramatique". Et le drame, c'est que pendant longtemps, les personnes ne se sentaient pas en capacité de pouvoir parler.
Les mots ne viennent pas toujours à la bouche pour en parler. Et aujourd'hui, heureusement, dans la société tout entière, dans l'Eglise en particulier, nous nous formons tous les uns et les autres à ouvrir la possibilité qu'un récit puisse se faire, un récit ouvert à l'avenir.
Toutes les personnes que j'ai écoutées, en tant qu'évêque - et indépendamment de Saint-Jean d'ailleurs -, qui ont été profondément abîmées, brisées, on peut le dire par des abus sexuels ou des abus même graves, je veux leur dire qu'un chemin de vie peut s'installer.
Avec des blessures, des blessures qui resteront - c'est un long processus, je ne dirai pas de guérison mais un processus qui permet de vivre sans mettre sous le tapis ce qui s'est passé, et en même temps sans s'enfermer dedans."
- Beaucoup de ces sœurs me disent ne pas avoir été entendues par leur communauté, beaucoup me disent vous avoir sollicité et ne pas avoir obtenu de réponse. Pouvez-vous affirmer vous être posé en recours pour ces sœurs ?
- "Franchement, je ne pense pas qu'il y en ait beaucoup. Je ne peux pas affirmer que j'ai pu tout le temps répondre à tout. Ce n'est absolument pas de la négligence, ça n'est absolument pas volontaire, bien sûr. C'est la charge de travail.
Mais il est très possible qu'une fois ou l'autre, je n'ai pas assez relayé ou assez pris le temps. Il est possible qu'à certains moments, je n'aie pas été assez disponible. Mais jamais je n'ai refusé de recevoir une sœur. Jamais."
- Pas assez pris le temps. Convenez que cette réponse puisse être difficilement audible pour les victimes - "Une cellule d'écoute a été mise en place pour les sœurs apostoliques depuis plusieurs années, qui je le crois a été améliorée dans son fonctionnement.
Cette cellule d'écoute, c'est d'abord elle qui est chargée d'écouter. Et pas directement l'évêque ordinaire, c'est vrai. Je n'aurais pas forcément bien fait étant un homme, étant l'évêque. Mais je ne me suis jamais dérobé".
- N'eut-il pas été plus sain de dissoudre ? - "Je les ai découverts il y a 18 ans, j'étais alors à mille lieux d'imaginer ce qui a été découvert par la suite
Les déviances. Et il faut bien le dire, les modes d'exercice, des relations d'autorité. Et progressivement, ces choses-là sont venues au jour. A ce moment-là, avec un certain nombre de frères et de sœurs, j'ai commencé à regarder l'ampleur de cette déviance originelle
dans la congrégation. Certains m’ont posé la question : faut-il dissoudre, carrément ?J’ai toujours pensé que non, parce qu’il y a un croisement de fils Je pensais que non, parce que depuis que le monde est monde, il y a un croisement de fils, le fil de la vie et des fils
de perversité, de violence, parfois de mensonge. Et je crois toujours que le fil de la vie est plus important, à condition de regarder les choses en face et de dénoncer le mal, voilà. C'est ce qui a été fait dans cette congrégation que j'ai accompagnée comme j'ai pu, voilà"
- Vous croyez vraiment que de tout ce mal peut forcément sortir du bien ? - "Bien sûr. Je le crois fondamentalement. Je crois que le bien précède le mal. Le mal n'est pas à l'origine de tout. Je crois qu'à l'origine de toute vie, de toute vie en société, de toute vie personnelle,
il y a une bienveillance. Et dans un institut qui a été aussi abîmé à cause du mal qui a été peu à peu distillé, à cause du comportement complètement déviant du fondateur et de certains qui ont été autour de lui, je pense que lorsque les choses sont dites,
que les personnes qui ont été si gravement atteintes ont pu parler, être écoutées, c'est progressivement ce fil de vie qui est plus important que le mal, et qui permet justement un avenir".
- Pourquoi ne pas avoir fait de signalement au procureur ? - "Alors, j'ai vérifié que c'était fait par les autorités de la congrégation. Souvent ce sont elles qui sont allées voir le procureur et qui ont fait un signalement. C'est une pratique courante depuis 10-15 ans.
Et très souvent l'église est plus sévère que la loi civile sur ces questions-là. Aujourd'hui, nous allons beaucoup plus loin dans l'examen et la réception de plainte pour des personnes qui ont été abusées ou qui ont eu à subir des agressions.
Par exemple, des gestes déplacés entre un prêtre et une femme qui ont eu lieu il y a 30 ans, la loi civile dit : “circulez, il n'y a plus rien à voir”. Nous, nous regardons de près maintenant. Il y a une écoute longue de la personne victime dans un chemin de restauration,
de réparation aussi. Et quand la personne abuseuse est toujours en vie, il y a des réductions d'exercices du ministère. Quand il y a une chose grave, il faut évidemment laisser jouer la loi.
La personne peut porter plainte au civil. Qu'elle le fasse ! Je pense qu’il y a des années en arrière, à Saint-Jean comme dans d'autres congrégations, on n'aurait pas conseillé de porter plainte mais ça n'est plus du tout le cas aujourd'hui.
Même si pour certaines personnes, ça demande de dépasser des craintes, des peurs. "Est ce que j'ai le droit ? Est-ce que ça va pas être trop difficile ? Je vais devoir reraconter mon histoire..."
Mais, dans des cas comme ça, il faut absolument que la justice civile soit saisie et c'est à la personne qui est abusée de porter plainte, bien sûr." - Pour les sœurs contraintes de quitter la communauté, l'on me rapporte des situations souvent catastrophiques sur le plan
financier. - "C'est exagéré. Oui, je crois vraiment que là, il y a une sorte d'exagération. Je suis témoin d'un processus où beaucoup d'argent est versé en concertation avec un organe de médiation national.
Qu'il y ait un ou deux cas qui ne se passent pas toujours comme la sœur aimerait, c'est possible. C'est une des raisons pour lesquelles Rome a demandé que quelqu'un de dédié se penche sur ces cas des sœurs en discernement de sortie. Nous devons améliorer le processus
d'accompagnement des sœurs qui sortent. Et évidemment leur donner ce qu'il leur faut pour vivre dans la mesure évidemment des limites. Et pour ce qui est des cotisations sociales, franchement, c'est une communauté qui n'a pas été en dehors des clous."
Fin du thread.

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