Thread by @OlivierCyran

On nous répète ad nauseam qu’il "faut parler aux racistes". La question, c’est pour leur dire quoi. Pour les ruffiniens, les rousselistes et une bonne partie des élus de gauche localement, y compris LFI (je l’ai observé aussi dans mon patelin),

la réponse à cette question consiste tout simplement à ignorer ou étouffer tous les sujets susceptibles de fâcher le raciste enfoui ou revendiqué qui sommeille chez l’électeur. On ne parle pas des violences policières dans les quartiers,

on ne parle pas des lois et des invectives islamophobes dont est victime une partie de la population de ce pays, on ne parle pas du crime de masse qu’organisent les politiques migratoires européennes à nos frontières, on ne parle pas, ou le moins possible,

des discriminations et inégalités sociales spécifiques qui frappent les personnes immigrées ou issues de l’immigration.
Les Ruffin, les Roussel, les Deffontaines et consorts ont au moins le mérite, si l’on ose dire, d’énoncer haut et fort

(et de s’en vanter, en gros cyniques imbus d’eux-mêmes qu’ils sont) une stratégie que la plupart de leurs collègues ont déjà adoptée sans le crier sur les toits. En gros : vouloir «faire gagner la gauche» impose d’y aller mollo sur les sujets qui picotent les épidermes blancs

fragiles et de mettre le paquet sur ce qu’ils appellent le «social», entendu comme un moyen de ramener dans le bercail de la gauche les brebis égarées à l’extrême droite. Sur le plan comptable, cette mission pastorale peut effectivement se révéler gagnante :

vu la démographie majoritairement blanche du corps électoral, faire tomber les non-blancs sous le bus (républicain) permet certainement de gagner une élection de temps en temps. Ruffin, auto-auréolé de ses deux victoires consécutives dans une circonscription labourée

par l’extrême droite, n’a-t-il pas brillamment démontré la validité de sa martingale ? Combattre le racisme consisterait donc à le balayer sous le tapis et à n’endosser que les revendications jugées peu ou prou lepéno-compatibles.

D’où le choix fait par Ruffin, pour ne prendre que cet exemple entre mille, de dédaigner l’appel à solidarité lancé par Assa Traoré, au motif que la mort d’Adama dans les mains des gendarmes pouvait éventuellement être naturelle,

et que n’ayant pas fait l’enquête lui-même il n’était pas absolument certain que les gendarmes avaient mal agi en empêchant Adama de respirer. On peut s’étonner qu’une posture aussi misérable n’ait pas irrévocablement disqualifié Ruffin aux yeux de ses supporters, mais eux aussi,

probablement, n'en ont pas grand-chose à cirer de ces "histoires de racisme qui nous éloignent des vrais problèmes", ou parce qu’ils ont biberonné le cynisme de leur porteur d’espoir, et qu’ils croient dur comme fer qu’on ne peut pas faire gagner "la gauche"

sans faire aussi gagner un petit peu les idées d’extrême droite, qu’on n’attrape pas les mouches brunes avec du vinaigre anti-raciste, et patin couffin.
L'ennui, avec la prolifération de ce bon sens électoraliste près de chez vous, c'est qu'elle a pour conséquence

d’asphyxier les espaces politiques où il serait effectivement possible de "parler aux racistes" – non en les caressant dans le sens du poil et en les confortant dans leurs idées de merde, mais en leur mettant le nez dans leur racisme.

En leur expliquant les mécanismes et les conséquences des arsenaux racistes déployés en France et à l’échelle de l’Europe. En leur rappelant les solidarités nouvelles, sur le lieu de travail comme en dehors, qu’il est possible de tisser face aux classes dirigeantes.

En n'oubliant pas, puisque attaquer l'Europe est une figure obligée, d'en placer une au sujet de Frontex et des violences criminelles orchestrées massivement à nos frontières, qui laissent chez les rescapés des traumatismes profonds dont il ne faut pas s’étonner qu’ils conduisent

certains parmi eux – de façon extrêmement rare, l’immense majorité des réfugiés ne cherchant qu’à gagner leur vie en rasant les murs et en enfonçant la tête dans les épaules – à péter les plombs et à commettre des actes sanglants. Tu prétends faire de l’éduc pop ?

Alors saisis-toi du dernier fait divers sanglant impliquant un réfugié afghan, dont la France de Bolloré fait ses choux gras dégueulasses, et va expliquer aux gens qu’on n’en serait peut-être pas là si on arrêtait de faire régner un ordre capitaliste dévastateur qui consiste

notamment à massacrer des milliers de réfugiés en Méditerranée, en Libye, en Tunisie et aux frontières de Pologne, de Croatie, de Grèce ou de France. Peut-être que le monde serait un peu moins détraqué si on cessait d'y répandre la misère, la souffrance et la mort ?

Et si après ça l'électeur dans la salle est toujours raciste, eh ben tsékoi, son bulletin de vote, qu'il se le mange, et à la béchamel. Voilà le genre de discours "à nos amis racistes" qu’on aimerait entendre dans la bouche de quelqu’un qui se prétend représentant de la "gauche".

Mais on a bien compris que c'était beaucoup trop demander, et que flatter le faf est un réflexe plus commode, et sans doute plus naturel chez certains, que d'exposer la bouse toxique qu'il a dans la tête.