Thread by @PascalMarichal1

𝐿𝑒 𝐶𝑁𝑅𝑆 𝑠𝑜𝑢𝑠 𝑙'𝑒𝑥𝑡𝑟𝑒̂𝑚𝑒-𝑑𝑟𝑜𝑖𝑡𝑒 : Récit⏬
(Ceci n'est pas de la politique-fiction)
Août.
Le nouveau gouvernement a nommé un administrateur provisoire du CNRS. Conformément à ce qui a été promis, il est d’abord chargé d’un audit général de l'organisation.

« Etablir, pour le Ministre, un rapport sur la situation administrative et financière du Centre, et proposer toutes mesures concernant l’utilisation du personnel, du matériel et des crédits ».
L’administrateur provisoire a été choisi précisément parce qu’il n’est pas du sérail.

Il voue même une haine solide à l’égard de ceux qu’il qualifie de « bande », le « clan des normaliens » qui, il en est convaincu, le regardent de haut, et il veut sa revanche. Il dénonce aussi le fait que la recherche française est gangrénée par des théories venues de l'étranger.

Après quelques semaines de travail, l’administrateur provisoire rend son rapport au gouvernement. L’objectif affiché du document est de transformer de fond en comble le CNRS afin que désormais il « collabore au relèvement de la patrie », au « redressement national ».

Ceci passe notamment par la remise en place de structures plus hiérarchiques au sein des laboratoires de recherche, contre le « virus démocratique » qui selon l'auteur du rapport a gagné la recherche dans les dernières années. Il s’agit désormais de « charpenter la recherche ».

Les mots « ordre », « pouvoir fort » reviennent souvent sous la plume de l'administrateur. Il plaide notamment pour la suppression de tous les comités et conseils (scientifique, d’administration, d’éthique...) afin qu’il n’y ait « plus qu’une seule Direction ».

« Pour les conseils et comités, je suis de ceux qui estiment que, dans notre pays, il faut en finir avec les Assemblées nombreuses, nommées ou élues, qui interfèrent les unes avec les autres »
L’administrateur provisoire a aussi ses idées bien arrêtées sur le statut du personnel

Selon lui, ce n’est pas une bonne idée d’avoir un « corps de fonctionnaires comportant des chercheurs à vie », il faut cesser de « considérer le chercheur comme un individu d’une caste privilégiée », et au contraire le contrôler par la précarité généralisée, comme dans le privé :

« On devrait habituer réellement les chercheurs à l’idée que leurs allocations sont temporaires, insiste-t-il, en rapport avec des travaux de recherche, et ne seront maintenues que suivant le rendement de leurs travaux ».

Rendement qui se mesurera d'abord dans les apports de la recherche à l'industrie et à l'armée, étant donné que le rapport préconise la « fusion de la science pure et de la science appliquée ».

Un an plus tard, l'administrateur zelé se félicite dans une lettre à un ministre que "le CNRS ne compte plus aucun juif dans son administration centrale", une politique d'éviction qu'il est en train d'étendre à l'ensemble du personnel "non-aryen" à tous les échelons.

Vous l'aurez compris, tout ce qui précède est le récit véridique de ce qui s'est passé au CNRS à partir de l'été 1940, lorsque la France était dirigée par un gouvernement d'alliance droite/extrême-droite qui s'est rapidement fascisé. L'administrateur s'appelait Charles Jacob.

A la Libération 1944, il fut évincé, remplacé à la tête du CNRS par le physicien Frédéric Joliot-Curie, membre du Parti communiste qui avait activement participé à la Résistance universitaire.

Il ne tient qu'à nous de faire que le cauchemar d'une recherche publique sous l'extrême-droite ne se reproduise pas. Cela passe par le refus de cette fausse équivalence entre Nouveau Front Populaire et extrême-droite que médias et macronistes rabâchent depuis des semaines.

Sources : le travail de Denis Guthleben, en particulier "La nomination de Charles Jacob à la tête du CNRS de Vichy", 2005 journals.openedition.org/histoire-cnrs/…

Voir aussi cet extrait du livre de Guthleben, Histoire du CNRS de 1939 à nos jours : une ambition nationale pour la science (Armand Colin, 2009) : astee-tsm.fr/numeros/tsm-1-…