Bon, j'ai enfin lu cette tribune problématique, une tentative pour accorder la théorie du nouvel antisémitisme (la gauche et le soutien à la Palestine comme carburants de l'antisémitisme) avec le refus de sa conséquence, à savoir la banalisation de l'extrême droite. Thread ⬇️
Arié Alimi, avocat membre du collectif Golem, et Vincent Lemire, historien très médiatisé spécialiste d'Israël/Palestine, font cette tribune pour à la fois accuser la FI d'antisémitisme, et appeler à voter pour elle malgré cela, et s'en expliquent. Soit. Mais sur quelles bases?
La FI serait un parti à "l’antisémitisme contextuel, populiste et électoraliste". Comme ses détracteurs de droite se sont empressés de faire remarquer, la tribune ne définit pas ce qu'est un antisémitisme "contextuel", alors même que la notion est étrange. A l'inverse, elle parle
"d'antisémitisme de gauche" ou d'un "antisémitisme anticapitaliste, idéologiquement assumé et construit" au sujet du PCF des années 30 (j'y reviendrai). Il y a donc une confusion sur la thèse défendue: antisémitisme "contextuel"? Mais alors il faudrait savoir ce que ça veut dire.
Antisémitisme "idéologiquement assumé et construit"? Mais alors, ils participent à légitimer une idée au centre de la campagne RN, à savoir que l'antisémitisme serait un attribut essentiel de la gauche et donc que le front républicain devrait se reconstituer contre le NFP.
J'ai fait un thread récent sur l'histoire de la lutte contre l'antisémitisme à gauche.
La notion d'antisémitisme contextuel s'éclaire cependant, et d'une lumière assez trouble, par celle "d'antisémitisme électoral". La FI serait antisémite pour gagner des voix, donc. Implicitement: des voix de noirs et d'arabes, attachés à la décolonisation de la Palestine.
Le sous-texte raciste est transparent, et en tout cas, si Alimi et Lemire ne pensaient pas à ça en écrivant, la moindre des choses aurait été de prévenir ce type de lectures racistes de leur notion "d'antisémitisme électoral". On constate aussi que pour défendre cette idée,
aucun besoin de recourir à des données, d'argumenter, de donner des exemples (à part une référence à "résiduel", mais c'est tout de même léger pour argumenter la thèse défendue): la qualification de la FI comme antisémite semble aller de soi.
Alimi et Lemire rappellent avec raison la montée du risque antisémite, mais en des termes dérangeants: certaines vies sont valorisées plus que d'autres quand même... Le massacre des Palestiniens, dont il ne sera jamais fait clairement mention, est un simple "contexte tragique".
Rien de spécialement "débridé", au contraire de la "haine antijuive". Aucune mention de l'islamophobie non plus, qui est pourtant au moins aussi débridée, et beaucoup plus invisibilisée, y compris à gauche dans la liste Glucksmann qui a eu les suffrages des auteurs.
Dès le début, l'antisémitisme est donc extrait de son contexte de hausse plus générale des racismes, ce qui fausse les termes de la discussion, et assoit l'opposition implicite entre lutte contre l'islamophobie et lutte contre l'antisémitisme ("antisémitisme électoral")
La partie sur l'antisémitisme du RN, "fondateur, historique et ontologique", est très bien, les exemples donnés sont importants. La partie sur le front populaire de 36 a le mérite de rappeler que c'est une alliance qui n'est pas moins "contre-nature" qu'aujourd'hui, mais
je suis en désaccord avec l'interprétation qui est donnéee de l'antisémitisme du PCF à l'époque. Alimi et Lemire parlent d'un "antisémitisme anticapitaliste, idéologiquement assumé et construit". Je pense plutôt que, dans le PCF stalinisé des années 30-40,
l'antisémitisme est d'une part un truc que la période stalinienne tolère beaucoup plus que la précédente, et d'autre part va avec le retour du nationalisme grand-russe en URSS. En France, c'est aussi l'époque où le PCF sort de la ligne anti-nationaliste
au profit d'un patriotisme révolutionnaire ("Les trois couleurs à la voirie/Le drapeau rouge est le meilleur" c'est Aragon en 1932, 4-5 ans plus tard Thorez parle d'unir drapeau tricolore et rouge). L'antisémitisme du PCF de l'époque, en plus de se nourrir des représentations
hostiles à Trotsky dépeint comme juif traître, se nourrissent aussi du caractère national de l'anticapitalisme: les capitalistes sont aussi les cosmopolites, ceux qui n'ont pas d'attaches à la nation.
Pour le PCF comme LFI aujourd'hui, je conteste que l'antisémitisme soit au centre de la pensée anticapitaliste.
Pour revenir à la tribune, la libération des otages et la dénonciation de l'augmentation des actes racistes est présentée comme une concession de LFI
aux autres forces du NFP. C'est diffamatoire, puisque LFI a toujours défendu ces différents points, à part le terme terroriste, LFI s'étant tenue au droit international sur le 7 octobre. Pourquoi insinuer des choses qui sont fausses, à quoi ça sert?
On mesure en tout cas la force des attentes des auteurs en matière d'antiracisme à leurs modèles: l'alliance du parti de Mansour Abbas et d'une coalition de "centre" en Israël, qui n'a que je sache pas freiné la colonisation en Cisjordanie, le blocus de Gaza, qui ne s'est pas
spécialement occupé des problèmes des Palestiniens de 48, bref qui n'a pas spécialement agi contre les différentes dimensions du régime d'apartheid, loin de là. Si c'est pour faire pareil, je pense qu'il serait préférable de se passer de leurs conseils.
Il est urgent de lutter contre la montée de tous les racismes, dont l'antisémitisme, mais cela ne peut se faire en opposant entre elles les luttes antiracistes: "en tant que groupe minoritaire en France, les Juif·ves n'ont aucun intérêt divergent avec les autres groupes
Dès lors, "Si la lutte contre l’antisémitisme doit être, comme le mal qu’elle combat, multiforme, sa dimension politique est centrale. Sa boussole ne peut être que celle de la justice, de l’émancipation collective et des débouchés politiques en rupture avec les structures qui
Quand on va sur youtube et qu'on parle hébreu, on a accès à ce qu'il faut bien appeler un nouveau genre musical qui se développe: le rap génocidaire israélien. Avec plusieurs constantes:
-déjà, beaucoup de choses qui sont dites sont vraies. Comme l'a montré l'Afrique du Sud dans
ses plaidoiries, ce qui frappe est le lien serré entre le discours génocidaire et son application sur le terrain, avec des aller-retours: les rappeurs décrivent très précisément ce qui se passe (par exemple ici: on ne cherche même plus à prévenir les habitants avant de bombarder
un immeuble), et une réappropriation en retour par les génocidaires sur le terrain, qui se filment sur tiktok en passant ces sons, en premier lieu Harbu Darbu mais pas seulement. Pour le dire autrement: quand on écoute ces chansons il faut s'imaginer que tout est vrai, aucun