Dix leçons tirées de l’observation des évolutions politiques de la Russie.
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En 2017, l’historien Timothy Snyder publiait « De la tyrannie », où il se basait sur l’histoire de la montée du nazisme pour fournir des conseils de résistance aux Américains qui ont vu l’arrivée au pouvoir de Donald Trump. 2/20 gallimard.fr/Catalogue/GALL…
Chercheuse en science politique, je pense que le cas russe a aussi des choses à nous apprendre sur la manière dont une société cède peu à peu face à un pouvoir liberticide. Voici dix leçons tirées de l'observation de la transformation autoritaire en Russie. 3/20
Leçon 1. Un pouvoir liberticide s’installe petit à petit, de manière quasiment imperceptible. Ceux qui ont peur d’un basculement le lendemain d’une arrivée au pouvoir du RN se trompent: le pouvoir liberticide peut être rassurant, modéré et lent. 4/20
Cette lenteur a pour effet de neutraliser les critiques. Le pouvoir liberticide se place du côté du raisonnable et du consensuel, et marginalise les opposants en les qualifiant d’alarmistes. Le pouvoir liberticide prend son temps. 5/20
Leçon 2. Les premières réformes liberticides sont souvent techniques, opaques, mineures, sur des sujets qui intéressent peu les citoyens ordinaires. Qui s’intéressait en Russie, au début des années 2000, à la réforme du système d’enregistrement des partis politiques, ou... 6/20
...à la modification des seuils électoraux? Les réformes graduelles et techniques laissent peu de prise à la critique, car elles sont peu lisibles pour le grand public, et peu propices aux grandes mobilisations de l’opposition. 7/20
Les réformes techniques préparent le démantèlement des institutions et l’affaiblissement des libertés publiques. Petit à petit, elles grignotent les institutions qui seront prêtes à céder le moment venu, parce qu’un certain nombre de garde-fous seront fragilisés. 8/20
Leçon 3. Un pouvoir liberticide promet du confort, de la sécurité, et du pouvoir d’achat. Il est important de savoir qu’il tient parfois ses promesses. Il anesthésie les vulnérables. Dans une confrontation entre liberté et sécurité/prospérité, la liberté a du mal à tenir. 9/20
Leçon 4. Un pouvoir liberticide s’assure la loyauté des institutions les plus vulnérables. Il peut augmenter les salaires des enseignants et investir dans les écoles, recruter des fonctionnaires et améliorer le financement des services publics. Ca a été le cas en Russie. 10/20
Résister au pouvoir liberticide n’est pas facile. Faut-il refuser ce financement qui rendra meilleur l’accueil des élèves, quand en échange - dans un premier temps - on ne vous demande pas grand-chose? Le prix à payer est connu bien plus tard, quand le piège se referme. 11/20
Leçon 5. Un pouvoir liberticide s’installe en s’appuyant non seulement sur nos peurs les plus profondes, mais aussi sur nos meilleurs sentiments. L’amour de se famille, l’attachement à sa culture, l’amour de son histoire, le désir d’un monde meilleur pour ses enfants. 12/20
Leçon 6. Un pouvoir liberticide promet de l’efficacité en échange de la liberté. La liberté n’est pas palpable, tant qu’elle n’est pas perdue. L’efficacité peut se comptabiliser, elle est tangible, elle parle le langage du succès, des bénéfices, de la croissance. 13/20
Leçon 7. Un pouvoir liberticide ne demande pas la mobilisation de la population; il s’appuie au contraire sur la démobilisation et la dépolitisation. Il invite les gens à se recentrer sur leur vie privée, leur travail, leurs passions; à se désintéresser de la politique. 14/20
Un pouvoir liberticide promet de satisfaire vos demandes en échange d’une non-opposition. Le laisser-faire est sa mécanique centrale. L’indifférence pour le sort de l’autre, notamment celui qui est loin, qui est différent, est la principale émotion qu'il encourage. 15/20
Leçon 8. Une partie du monde associatif, notamment les groupes qui s’engagent pour une qualité de vie meilleure ou pour certaines causes environnementales/sociales, est assez vulnérable face aux promesses protectionnistes ou traditionalistes du pouvoir liberticide. 16/20
Leçon 9. Un pouvoir liberticide ne s’appuie pas sur la répression mais sur l’adhésion. La répression ne vient qu’en dernier recours. Elle est un outil coûteux et dangereux pour le pouvoir qui ne peut se la permettre qu’une fois solidement installé. 17/20
Leçon 10. Il faut du temps, parfois beaucoup de temps, avant que le prix à payer ne devienne visible. C’est lorsque les institutions sont suffisamment vulnérables au contrôle du pouvoir, et que le pouvoir liberticide est perçu comme bénéfique par une masse critique… 18/20
… de la population, que la répression contre les indésirables peut se mettre en place. Mais le pouvoir liberticide peut même fonctionner sans répression, si la neutralisation des institutions a été profonde. 19/20
Cette présentation est très sommaire.
Je partage le constat de Snyder: nous ne sommes pas mieux immunisés que d’autres contre l’installation d’un pouvoir liberticide. Il est crucial de connaître et reconnaître ses mécanismes, parfois très différents de ce qu'on imagine. 20/20🧶
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Comme beaucoup de collègues chercheurs, j’ai gardé pendant un moment le silence sur l’attentat de Krokus Hall dans la banlieue de Moscou. Pourquoi?
Je commence par une évidence: mon travail, à la différence de celui d’un journaliste de terrain ou d’un éditorialiste, … 1/
… ne consiste pas à mener une investigation à chaud, ni à commenter à chaud. Je dispose, dans une situation d’urgence comme celle-ci, des mêmes informations que les autres. Les répéter simplement n’a aucun intérêt. L’apport du chercheur est de replacer l’événement… 2/
… dans un contexte, d’expliquer sa logique, d’analyser le jeu des acteurs. Or, sur tous ces éléments, cet attentat m’a pris au dépourvu, tant ses clefs internes - en Russie - me semblent difficiles à percevoir, tant il semble être en rupture avec les attentats précédents. 3/
Pas besoin de faire un fil sur les fraudes électorales lors des élections présidentielles russes, @benvtk explique tout parfaitement dans cet article pour @lemondefr ⬇️ Je me permets juste d’insister sur quelque chose : 1/ lemonde.fr/international/…
Les 20-30 millions de faux votes pour Poutine que permet de repérer l’analyse statistique présentée dans le papier, c’est juste le bourrage d’urnes et la réécriture des résultats.
Il faut y ajouter l’éviction des candidats d’opposition, aussi modérés soient-ils, 2/
… le vote forcé des fonctionnaires et assimilés, le résultat totalement artificiel des régions annexées, la fraude du vote électronique (pour l’instant non chiffré). L’ampleur de la manipulation dépasse donc bien les 30 millions de voix. L’article en parle, mais 3/
87,3% pour Poutine?
Les rumeurs qui avaient circulé d’un objectif fixé à l’administration de 85% de participation / 85% de score pour Poutine semblent donc proches de la réalité. 85% augmentés d’un peu de zèle du côté des commissions locales, juste au cas où.
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Inutile de dire que ces résultats sont fabriqués et déconnectés de tte réalité. En tant que politistes, nous décortiquerons les techniques, raffinées de scrutin en scrutin, qui permettent au Kremlin d’y arriver. Mais est important de comprendre que ce résultat… 2/5
… n’est pas seulement le résultat d’une répression. Ni seulement le reflet d’une adhésion. Il est le fruit d’un long processus que j’évoque ici ⬇️
Comprendre le plus finement possible ce mécanisme est indispensable pour comprendre le système russe. 3/5
Le jour anniversaire de la mort de Staline (le 5 mars), on voit circuler depuis quelques années sur les réseaux sociaux cette affiche: "Celui-là a crevé, celui-ci crèvera aussi". Mais concrètement, dans l’hypothèse de la mort de Poutine, il se passe quoi en Russie? 🧶1/16
D’après la constitution, c’est le Premier ministre qui assure l'intérim du président en cas d’incapacité. Le premier ministre actuel, Mikhail Michoustine, 58 ans, est en poste depuis 2020. En avez-vous entendu parler? Non?
Notre focalisation sur les personnages les plus vocaux et les plus visibles à l’étranger (Poutine, Lavrov, Medvedev, Shoigu…) est une limite de notre compréhension des logiques internes du pays. Car Michoustine est loin d’être quelqu’un qui ne compte pas. 3/16
Toujours très intéressantes et inventives, les enquêtes d'opinion conduites en Russie par le projet "Chronicles".
Voici par exemple la dernière enquête qui éclaire de manière tout à fait particulière le contexte électoral russe. 🧶1/7 chronicles.report/en
Les sondeurs posent aux Russes trois questions: 1. Quels événements souhaiteriez-vous (personnellement) voir arriver dans un avenir proche? 2. Quelles décisions attendez-vous de votre candidat idéal? 3. Quelles décisions attendez-vous de Poutine en cas de réélection ? 2/7
58% de Russes souhaitent un cessez-le-feu avec l'Ukraine, mais seulement 29% l'attendent de Poutine.
51% veulent restaurer les relations avec l'Ouest, mais 28% pensent que Poutine le fera.
49% veulent une hausse des dépenses militaires, mais 72% l'attendent de Poutine. 3/7
Les élections présidentielles démarrent aujourd’hui en Russie.
La première phase est la procédure de vote anticipé qui s’étale jusqu’au 14 mars. En 2018, cette procédure était marginale (210 000 électeurs) et concernait surtout les régions reculées. 1/8 🧶tass.ru/politika/20077…
Cette fois-ci, elle s’élargit aux territoires militairement occupés par la Russie. Officiellement, 4,56 millions d’électeurs. Ce chiffre est défini par les autorités au doigt mouillé, mais donne une base pour les falsifications à mettre en place. 2/8
Le vote anticipé se fait via des urnes mobiles que deux (et dans certaines conditions un) membres de la commission électorale apportent dans les lieux de vote qui peuvent être un bureau improvisé mais aussi un coffre de voiture ou un banc de jardin… 3/8