1/n Pendant cette trêve, vous reprendrez bien un peu d’histoire de la "courbe de Laffer," pour comprendre ce qu’on invoque en citant le nom de cet économiste, et vous préparer ainsi au chaos de ces prochains mois ?
(cette fois, c’est long)
1974 : Arthur Laffer dine avec...
2/n ...Donald Rusmfeld, Dick Cheney & Grace Arnett, membres de l’équipe du président Ford, & Jude Wanniski, journaliste au Wall Street Journal.
Laffer, universitaire qui aspire à une carrière politique. Laffer explique qu’une baisse des impôts peut s’auto-financer parce qu'..
...elle peut augmenter les recettes fiscales. Laffer fait à peu près le dessin ci-dessous sur une serviette de table
(laquelle est Smithonian Museum, mais son authenticité est contestée. Laffer ne se souvient pas du diner, Wanniski, Arnett et Cheney si) nytimes.com/2017/10/13/us/…
Mais qu'importe, ce n’est pas Laffer qui fait la renommée de la courbe, c’est Wanniski, qui, en 1978, publie un livre-programme. Il y reproduit et explique la courbe de Laffer.
Celle-ci est symétrique et centrée autour de 50% (à 5% près semble-t-il)...
il explique que
-le taux max est à déterminer par le pouvoir politique, -chaque revenu fiscal peut être obtenu avec 2 taux (bas/haut)
-le pic correspond à ce que ‘l’electorat souhaite être taxé'
Il tacle Keynes et Friedman et affirme que les electeurs en savent + que les écos
La même année, la Proposition 13 limitant sévèrement les impôts (par ex fonciers) que l’état a le droit de lever, est passé en Californie après une série de révoltes fiscales
Et la même année, Wanniski est viré du WSJ après avoir été surpris tractant pour un candidat conservateur(une brèche de l’éthique journalistique), devient conseiller de Reagan, et fonde une partie du programme de ‘supply-side economics,’ terme qu’il a proposé en 76, sur la courbe
1981, Reagan est élu, et Wanniski contribue à rédiger la loi qui réduit les taux d’imposition sur les hauts revenus de 70% à 50%, et l'impôt sur les benefs (avec, au passage, une tentative de réduire le budget NSF des sciences sociales de 75%. Cheh)
Très débattu à l'assemblée...
....et comme le montrent ces sociologues qui ont épluchés les données parlementaires , avec beaucoup de références à la courbe de Laffer depuis fin 70s.
Tres vite, la baisse d’impôts échoue à relancer l’activité, ça s’autofinance pas, la dette augmente... link.springer.com/article/10.100…
La faute à la politique monétaire monétariste, disent Wanniski et les autres (beaucoup d’écos participant au à la période Reaganomics ont écrits des mémoires).
Mais les démocrates se moquent en utilisant le terme "courbe de Laffer" pour désigner l'incurie des économistes
Cette histoire n’a jusqu’ici aucun rapport avec la recherche universitaire en éco
Ca fait des siècles, voir des millénaires que les écos bossent sur l’effet de l’impôts et expliquent que certains taux sont désincitatifs : Ibn Khaldun, Dupuit-ce-heros, Say, Keynes et d’autres...
A ce stade, la question, c’est quel impôt, quel taux, quel mécanisme, et un dessin et un bouquin qui ne répondent à rien, on s’en fout!
Même Laffer prend au début ses distances avec la Courbe telle que présentée par Wanniski. Il explique qu’il y a 2 effets d’une baisse d’impôt..
1. réduction du revenu par dollar 2. élargissement de la base fiscale. Et on ne sait pas lequel prime
Mais dès 1982, la courbe est agitée comme preuve que les écos se plantent, alors ils réagissent, comme le détail cet excellent papier de Yann Giraud papers.ssrn.com/sol3/papers.cf…
Don Fullerton essaie de fonder théoriquement la courbe. C’est plutôt une crête qu’un pic, ou bien plusieurs pics, et il peut y avoir une infinité de courbes. Et puis il faut 3 axes (pour avoir l’elasticité de l’offre de travail).
Buchanan et Lee explique, public choice style...
...pourquoi un gouvernement peut choisir un taux inefficace en différentiant courbe de court et long terme
Les travaux empiriques qui apparaissent lentement (par exemple Golsbee) confirment que l’existence d’une "courbe" est difficile à tester
Ce qui occupe les écos...
....ce sont les taux marginaux qui réduisent les recettes fiscales, et les mécanismes associés (élasticité de l’offre de travail, fraude, etc)
Mais le nom de Laffer passe progressivement dans cette littérature académique : on écrit sur le "taux Laffer," "l’effet Laffer"
mais il est rarement question de cette courbe bien symétrique qui continue sa vie dans les publis, sur les sites et plateaux TV neoconservateurs pour critiquer des taux supérieurs à 50%, et quand c’est le cas, elle n’a pas cette forme
Le dessin humoristique de Garner dans Scientific American, qui qualifie la courbe de "bonne blague," représente, je le maintiens, assez bien l’avis des écos universitaires sur le sujet : toutes les pentes, toutes les formes, une infinité de courbes, le plus souvent, pas de courbe
Résumons : quand on invoque le nom de Laffer, plus encore de "courbe de Laffer," on fait référence à deux choses distinctes
1. Un dessin *politique* utilisé par les néoconservateurs pour légitimer des baisses d’impôt, lequel évoque des taux désincitatif à partir 50%..
...une baisse de la fiscalité dégageant ses propres recettes sans dette.
L'aspect politique est établi ET revendiqué par les écos qui ont développé et circulé la "courbe de Laffer" (de la même manière que Friedman a revendiqué le terme "neoliberal" pour lui-même depuis 1951)
2. des siècles de travail théorique & empirique sur l'effet des variations des taux marginaux ou moyens sur l’offre de travail, l’assiette fiscale, la dette, l’innovation, la croissance, l’exil fiscal de variations. Lesquels font occasionnellement référence au nom de Laffer
Du coup
-le dessin est en fait plutôt une courbe de Wanniski. C’est un objet politique, d’origine neoconservatrice assumée
-ce qu’en pense Laffer lui-même n’a aucune importance, il n’a qu’un rôle secondaire et dans l’histoire de la courbe, et dans la recherche en éco publique
- les travaux des écos sur les taux/zones/effets désincitatifs sont à prendre au serieux. Il n’y a pas d’accord, mais c’est une base de discussion plus fiable/scientifique que le genre de réforme au doigt mouillé faite en 81 aux US, et les avis à 2 balles des chroniqueurs
A cause de cette ambiguité, une référence à Laffer dans le débat public (où à table) gagne à être suivie de questions:
de quel impôt parle-t-on?
de quel taux? 50-75-90%?taux marginal, moyen?
quel mécanisme (baisse de l’offre de travail, fraude, exil fiscal, autre)?
Quel était l’objectif recherché d’une hausse/baisse d’impôt (peut-être pas d’augmenter les recettes fiscales)?
D’où viennent les preuves empiriques? Quelles données sur quelles réformes fiscales sont utilisées? Ou quelle simulation ?
Merci à @FrancoisGeerolf @RenaudFoucart @EmmPont pour les critiques polies & constructives sur la V1 effacée
Merci pour celles à venir
Je bloque au moindre "c’est ridicule, tu connais rien, t’as rien compris," qu’il s’agisse du troll anonyme ou du chercheur next door
FIN
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Ce genre de paragraphe est dangereux, car il transfère l’équivalence de Macron entre RN et FP au champ de l’économie universitaire.
Or il y a une différence de NATURE entre les débats sur les programmes eco LR/Macron/FP et ceux sur le programme FN 1/n
Dans le 1er cas, il y a des désaccords profonds, souvent anciens, entre les ecos qui soutiennent les programmes présentiels, LR et NFP. Ils portent sur :
1. les données : par exemple quel est le niveau et l’évolution des inégalités, de la pauvreté, de la productivité en France
2. la modélisation : quelles sont les conséquences théorique et empiriques de ↗️ de l’endettement, l'↗️ des impôts sur les inégalités et les mouvements de capitaux, l’↗️ du salaire minimum sur l’emploi et les profits, la réforme des allocations chômage sur l’emploi et la pauvreté
Okay, you're taking this ways too seriously. I tweeted this because I envied the sharp title and the privilege of writing a sharp "pissed" abstract, something I could never do. A serious read shows that the 5-pages paper doesn't deliver, and a historian's read would point that..
Igersheim shows that economists initially expressed enthusiasm when the Theory of Justice came out:
...but many quickly emphasized that they had a problem with Rawls' treatment of risk in the TJ (here Cooter and Arrow). Other trivialized his theory as a special case of utilitarianism