Je suis vraiment perplexe devant cette passion pour Maurras dans la droite d'aujourd'hui. Le lire et l'apprécier est une chose, considérer incontournable son apport sur un plan théorique et doctrinal suscite en revanche mon scepticisme.
lemonde.fr/livres/article…
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Beaucoup de choses me rendent Maurras sympathique, si on écarte son oeuvre la plus polémique et journalistique ainsi que ses choix politiques désastreux dans des moments décisifs. Il a écrit de jolis textes, il a animé un courant politique qui aurait sans doute peu pesé sans lui.
Et surtout, j'ai de l'affection pour sa personne même, poète perdu en politique, amoureux du classicisme et des Grecs, affirmant qu'il aurait souhaité n'être qu'un magistrat de province dans une France en ordre, plaçant la paix et la culture plus haut que la politique.
Par ces traits comme bien d'autres (son éloge d'Antigone et de la loi naturelle contre la tyrannie moderne...) il est l'homme d'une droite conservatrice et classique, non de la racaille criminelle de l'extrême-droite (les Céline, Rebatet et autres fascistes, nazis, collabos...).
Intellectuellement comme humainement, il me paraît annoncer, esquisser assez maladroitement, ce que sera le meilleur de la pensée conservatrice anglo-saxonne d'après-1945, marquée par les grands noms de Strauss, Voegelin, Kirk, Oakeshott,...
Le problème est que ce ne fut justement qu'une esquisse, gâchée par ses propres limites, par un enracinement trop marqué dans la vie intellectuelle et les enjeux purement politiques de la France d'alors, un manque d'intérêt pour l'étranger, l'obstination dans la polémique,
bien sûr aussi l'antisémitisme,... Et aussi par ce problème insoluble : un mouvement conservateur, mais hostile au régime même d'une France où la République ne peut unir, incitant ainsi à l'action politique violente. Seul De Gaulle permettra de dépasser cette situation.
Sa lecture n'est pas dépourvue d'intérêt : ses textes les plus inspirés frappent par le sens commun de leur auteur, par leur modération, parfois leur lucidité - et c'est un témoin important autant qu'émouvant de son époque et d'une France qui court au désastre.
Toutefois c'est un auteur à lire avant tout par curiosité historique, ses textes sont dans l'ensemble superficiels, journalistiques et n'offrent absolument pas de théorie valide, de cadre intellectuel susceptible d'inspirer aujourd'hui une action politique, rien d'élaboré.
Il serait bon que la droite française abandonne son fétichisme de Maurras qui l'enferme dans une histoire politique hexagonale assez pauvre pour ce qui est du conservatisme au XXe siècle, et qu'elle s'intéresse un peu à ce qui s'est pensé et écrit ailleurs.
Il y a d'infinies ressources intellectuelles pour le conservatisme, en particulier chez les Anglo-saxons et les Allemands, qui permettent de réfléchir et de travailler sérieusement. S'obstiner à invoquer le fantôme de Maurras dans ces conditions est stupide, voire criminel.
