Mathilde Larrere Profile picture
Historienne des révolutions du 19e sc et de la citoyenneté (Enseignante chercheuse UPEM) / Arrêt sur image/ Politis/ histoire émancipatrice/ militante féministe

Aug 19, 2019, 28 tweets

Cette Liberté guidant le peuple de Hong Kong me donne envie de vous en dire un peu plus et sur le tableau original, et sur ces reprises révolutionnaires
fil à dérouler⤵️⤵️

1)De son propre aveu, Eugène Delacroix n’avait vécu la révolution de Juillet 1830 qu’en « simple promeneur ». Mais comme il l’écrivait à son frère, « si je n’ai pas vaincu pour la patrie, au moins pourrais-je peindre pour elle ».

2)Réalisée en quelques semaines, à l’hiver 1830 La Liberté guidant le Peuple s’inscrit dans un vaste corpus de représentations iconographiques des Glorieuses, sous forme de toiles mais aussi de gravures ou de lithographies.

3) Comme le tableau de Delacroix, toutes les images de la révolution s’attachaient à figurer les barricades apparues en Juillet et immédiatement érigées en symbole révolutionnaire

4) Elles montraient, elles aussi, le peuple héroïque (présenté dans sa diversité sociale), combattant pour la liberté, et donnaient à voir la violence des combats en figurant les victimes à terre.
(j'en dis plus ici)
arretsurimages.net/chroniques/arr…

5)Et pourtant, c’est le tableau de Delacroix qui est passé à la postérité, au point d’être maintes fois reproduit (sur des timbres, des billets, dans les manuels scolaires), cité, détourné…

6)La puissante modernité de la toile choqua ses contemporains. « Vraiment, M. Delacroix a peint notre belle révolution avec de la boue » déplorait un critique au lendemain du Salon de 1831 où fut présentée l’œuvre.

7)en effet, de façon toute réaliste, les combattants, les victimes sont sales, couverts de poudre, de poussière, de sang séché. Alors que d'autres oeuvres dans un souci d'héroïsation et parce que c'était les codes plus classiques gommaient ces aspects

8)La Liberté surprit plus encore. Delacroix jouait là avec les codes de l’art classique pour donner naissance à « un bizarre mélange de Phryné, de poissarde et de déesse de la Liberté » comme le notait Heinrich Heine.

9)Alors ne vous méprenez pas, ce n’est pas le sein nu qui choqua
De fait, comme le drapé, les pieds nus, la poitrine offerte rattache la Liberté aux allégories antiques
Ce qui choqua c’est le réalisme de ses muscles, de son teint tanné et de la pilosité suggérée de son aisselle !

10)Le bonnet phrygien était comme un clin d’œil à la Révolution française, et permettait de voir dans le tableau un hymne à toute les révolutions plus qu’aux seules journées de juillet. ce qui explique que souvent on ne sait pas que le tableau figure 1830

11)Mais surtout, Delacroix opérait un magistral retournement de point de vue. Les représentat° traditionnelles des combats de rues empruntaient alors à la peinture militaire ses compositions qui plaçaient le peintre et donc les spectateurs légèrement en surplomb et en retrait

12) Or Delacroix, bien au contraire, campe le peuple face au spectateur, comme prêt à surgir du tableau. Plus que la composition pyramidale somme toute classique mais qui permet d’ériger la barricade en monument, c’est cette dynamique qui fait la force et la modernité de l’œuvre

13) Le nouveau roi acheta le tableau pour l’exposer au musée du Luxembourg.
Mais la monarchie s’éloignant de ses promesses révolutionnaires, il n’était plus très heureux de rappeler les combats, et la toile est retirée en 1833, puis finalement restituée à son auteur.

14) Rien de surprenant à ce que la révolution de 1848 la sorte de l’oubli. Mais pas pour longtemps, le prince président le juge trop engagé et le remise à nouveau. Ce n’est qu’en 1863 qu’elle entre, pour ne plus en sortir, dans les musées nationaux.

15) Depuis la liberté a été plusieurs fois reprises. Je ne vous présente ici que ses déclinaisons révolutionnaires ou insurrectionnelles car il y en a bien d'autres (et je vais en oublier surement!)

16)Commençons par cette Liberté turque : İnkılap yolunda (Sur la voie de la Révolution), Zeki Faik, 1933, peinte pour célébrer le dixième anniversaire de la révolution

17)la Liberté prend appui sur un socle solide sur lequel est gravé la date de fondation de la république turque.
Une enfant porte un livre dont le titre est en graphie latine, et foule au pied une écriture arabe, évocation de la révolution graphique qui s’est opérée.

18) Les opposants à la révolution, à terre, portent barbes et turbans verts : ce sont les islamistes. Les révolutionnaires ne portent eux pas de barbes et son habillés à l’européenne.

19)Ici c’est Mustapha Kémal (plus que la Liberté) qui est le centre de l’attention, ce qui ne surprend guère au vu du culte de la personnalité qui eut tôt fait de se mettre en place après la révolution.

20)On a également ce photomontage de John Heartfield, un artiste allemand, communiste, qui avait fuit le nazisme en 33 et qui place donc une photo de Reisner devant le tableau. (Publiée le 24 sept 1936)

21)La photo initiale montrait la foule acclamant un défilé de troupes fidèles aux républicains. La citation iconographique à la Liberté pose la lutte des répu espagnols dans l’héritage des révolutions

22) Cette photo a été prise par en 2012, à Bethléem par @v_lemire
La fresque fut vite effacée…

@v_lemire 23) lors d’Occupygezi, Ertugrul Ismet Örs a composé une photo en prenant clairement la Liberté de Delacroix en modèle

@v_lemire 24) la liberté a aussi été reprise par le mouvement Gilets jaunes : on la retrouve sur cette fresque à Aubervilliers
(le sein a été couvert, la pilosité effacée!)

@v_lemire 25) je termine par cette composition de @kiosk_kiosquec

@v_lemire @kiosk_kiosquec et c'est la Liberté que l'illustratrice Agatha Frydrych a reprise pour illustrer un livre qui sort à la rentrée aux éditions @DuDetour

@v_lemire @kiosk_kiosquec @DuDetour et une nouvelle version de Hong Kong

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